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En tournant les pages

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Fils de Camargue, Bresson avait pour cette île bénie un amour immense ; mais, à travers cet attachement profond, perce une note d’amertume et de tristesse : son pays natal est trop connu, trop fréquenté. Et, comme la plupart des mortels, se tournant vers le passé, il exprime ses regrets :

« Autrefois, il y a quelque cent ans de cela, cette île renommée était dix fois plus giboyeuse qu’aujourd’hui, ses marais regorgeaient de toutes espèces d’oiseaux aquatiques et ses bois fourmillaient de lapins et de perdreaux. Ah ! c’est qu’autrefois il n’y avait que les grands seigneurs qui se livraient au plaisir de la chasse, et les grands seigneurs chassaient noblement Les braconniers, espèce de tigres à deux pattes, n’avaient pas encore fait irruption dans cette contrée sauvage où ils auraient été pendus sans pitié si on les avait pris les armes à la main. On tuait les canards et les sarcelles à la passée du soir et du matin, et les chasses de nuit, si destructives, n’étaient pas encore inventées.

» Après la révolution de 1789, la Camargue fut envahie par des milliers d’hommes qui s’abattirent sur le gibier comme des loups dévorants ; ils braconnèrent nuit et jour, ils couvrirent les étangs de lacets, de filets et d’engins destructeurs ; ils inventèrent cette chasse meurtrière qu’on appelle chasse à l’embarcation, et, tels des pirates à bord d’un navire marchand, ils tuèrent pour le plaisir non pas de tuer, mais de détruire. Depuis lors, la destruction est à l’ordre du jour dans ces vastes solitudes, refuge des braconniers ! »

Quel sombre tableau ! ... La Camargue semble devenue le repaire des pires destructeurs bipèdes. Cependant, Bresson et ses compagnons y trouvent encore de quoi satisfaire leur passion. Les marais solitaires, Éden d’une multitude d’espèces portant palmes ou échasses, les attirent. Au printemps, c’est la poursuite des bécassines, poules d’eau, marouettes, râles qui abondent dans les roseaux : Au soir des mois glacés, rendez-vous au bord des étangs « avec le grand fusil chargé de plomb no 4 et no 3 » pour la passée. Lorsque, par gros temps, une forte houle agite les eaux, canards et sarcelles, sans cesse en mouvement, donnent l’occasion de nombreux coups, surtout dans les parties abritées, les « baïsses ». Juillet, son atmosphère embrasée, ses moustiques n’arrêtent pas les intrépides chasseurs d’halbrans. Puis, écoutez cette battue aux foulques (qu’il appelle macreuses) sur l’étang de Scamandre ou de Leyran.

« Le bruit qu’elles font en partant ne peut être comparé qu’au plus fort coup de tonnerre ou à l’explosion de vingt pièces d’artillerie crachant à la fois ... Puis nous voyons l’attaque par les embarcations qui les poursuivent sans cesse. Sur les bords, d’autres chasseurs attendent ; finalement elles ne peuvent plus voler et sont massacrées à coup de rames. C’est une Saint-Barthélemy épouvantable ! »

À première vue, en examinant les tableaux, on s’aperçoit que le nombre de pièces est assez modeste malgré l’abondance de volatiles (vingt-huit canards tués par Allut d’Aimargues semblent un record). Seulement, réfléchissons un peu à toutes les difficultés rencontrées par ces intrépides. À la passée, deux coups sont rapidement tirés. Il faut bourrer l’arme dans la pénombre et le froid ; pendant ce temps, sarcelles et canards franchissent la zone dangereuse.

Les chasses aux lévriers étaient alors fort en honneur. Bresson nous montre joliment cette envolée des petits chevaux à travers la sansouire, précédés des sveltes et rapides animaux. Un lièvre bondit, bien vite il serait saisi, mais ses arrêts brusques et mille ruses lui permettent d’échapper momentanément aux bolides canins et font l’attrait de cette poursuite. Le rôle du cavalier n’est pas de tout repos s’il veut une réussite complète. Emporté par son cheval ... et aussi par un tempérament méridional, l’auteur nous dit : « Une fois à la poursuite du lièvre, animez-vous, exaltez-vous comme les chiens qui volent devant vous ; s’ils rencontraient un brasier de vingt mètres, ils le franchiraient avec rage ; faites de même. Rien ne doit vous arrêter, ni haies, ni fossés, ni flaques d’eau ; poussez toujours en avant, tuez-vous, s’il le faut, mais poussez sans crainte. »

Puis voici le tour des perdreaux rouges d’être chassés, si l’on peut dire, de la même façon. Il s’agit, dans ces immenses étendues plates, de poursuivre sans répit la compagnie, qui, au bout de peu de temps, épuisée, se laisse anéantir par les chiens. « Galopez autour d’eux, lancez-leur des coups de fouet ; ils courent devant vous, l’aile pendante et l’œil humide. Excitez vos chiens, excitez-les toujours, car ils les ramassent comme des poules. »

Peut-on appeler cela du nom de chasse ? Quant au renard, qui a la fâcheuse habitude de filer droit sans ruser, il est très vite pris s’il n’y a point de fourrés en vue.

Vers 1840, le miroir qui attire et fascine l’élégante alouette est déjà fort en vogue. « La chasse au miroir aux environs de Nîmes est, comme l’on dit, une espèce de rage : il y a des matinées où, dans la plaine du Vistre, il se tire un millier de coups de feu.

» Certains amateurs, préférant la marche à l’attente et quelques difficultés supplémentaires, emploient la chouette. Les deux procédés constituent un excellent apprentissage pour les débutants qui se consacreront à la plume. Mais voici une charge à fond contre la chasse au poste et les divers modes de braconnage. Je ne vous dirai rien de la chasse à la marseillaise, chasse ridicule et absurde, où un homme enfermé dans une hutte plus ou moins élégante abat une grive qui se perche parfois sur une branche nue à quinze mètres de distance. Quant à ce qu’on appelle la chasse aux appeaux, aux filets, aux nappes, aux rejets, aux trébuchets, aux panneaux, à la sarbacane, aux lacets et aux trappes, je voudrais qu’on fouettât le croquant sur la place publique. »

À la lumière de ces feuillets, on peut se demander si, en un siècle, le gibier a considérablement diminué dans le Midi. Le lièvre se fait plus rare ; par contre, le lapin, débordant le delta du Rhône où il pullulait, s’est glissé dans toutes les chasses et constitue le morceau de résistance, sinon de choix. La perdrix rouge, malgré tous ses ennemis, s’accroche à nos sèches collines et ne tend à disparaître que dans les coins où l’affût règne en maître. Réapparition du sanglier après une éclipse quasi totale.

Le gibier migrateur paraît en meilleure posture, surtout pour les espèces aquatiques. Malgré la multitude de chasseurs, nos visiteurs emplumés trouvent en Camargue un immense et sûr asile : l’étang du Vaccarès, devenu parc national. À côté de cela, les plus grands domaines, sérieusement gardés, maintiennent l’abondance de canards et sarcelles. Chaque vague de froid permet de réaliser des tableaux magnifiques et variés.

Vous vous plaignez du manque de bécasses ! Consolez-vous : il y a cent ans, la divine mordorée n’était point très commune. La chasse à la bécasse devrait s’appeler la chasse à la patience, surtout dans notre province, où on en voit si peu. Tuez une bécasse et vous rentrerez au logis satisfait !

La valeur culinaire des charmantes cailles est peut-être cause de leur rareté actuelle. Cette diminution n’étonnera personne, car, à côté des destructions massives opérées en Afrique, il y avait cette chasse de printemps et d’été qui ne devait pas être l’apanage de l’auteur : « Au printemps et pendant l’époque des couvées, le perdreau est sacré pour moi ; je ne tue que la caille, qui n’est jamais qu’un oiseau de passage, et le lapin dans des pays où cet animal destructeur abonde. »

Voulez-vous maintenant un aperçu des différentes lois sur la chasse à travers l’histoire, dont la première date, paraît-il, est de 440 ? ... Charlemagne défend aux ecclésiastiques d’aller à la chasse. Gontran, duc de Bourgogne, fit tuer son chambellan qui avait abattu un buffle dans ses forêts. Sous Louis XI, les délits de chasse sont punis de mort. François 1er, plus humain, n’applique cette peine qu’en cas de récidive. Charles IX revint à la peine de mort et publia un édit obligeant les paysans à ne mener dans les champs que les chiens ayant le jarret coupé. Louis XIV abolit la peine capitale, et l’Assemblée Nationale donne à tous les propriétaires le droit de chasse. Sous Napoléon 1er, le prix du permis fut fixé à 30 francs, réduit à 15 francs sous Louis XVIII et porté à 25 francs sous Louis-Philippe.

Chasseurs, mes frères, estimons-nous heureux qu’il n’ait pas suivi la hausse générale découlant de la dévaluation du franc !

A. ROCHE.

(1) Voir Chasseur Français d’octobre 1941.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 7