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Les engrais et leur récupération

Depuis toujours, nous laissons perdre par négligence quantité de produits ou de matières qui seraient fort utiles dans nos jardins. En présence des difficultés actuelles et de la pénurie de certains engrais chimiques, nous pensons vous rendre service en vous en signalant un certain nombre.

Rappelons tout d’abord qu’en régie générale il convient de restituer, chaque année au sol, les éléments nutritifs dont les récoltes l’ont dépouillé. Nous le faisons habituellement sous forme d’apports d’engrais organiques ou chimiques.

Nous savons par expérience que les meilleurs engrais organiques sont les fumiers ; cheval, vache, porc, mouton, puis les débris végétaux, feuilles, humus des forêts et terreaux divers. Toutefois, l’action de ces engrais organiques demande à être complétée par celle de certains engrais chimiques, azotés, phosphatés, ou potassiques.

Les engrais azotés agissent surtout sur la vigueur des végétaux, des légumes notamment, et en favorisent le développement foliacé ; les tissus sont tendres, pourvus de sève, un excès de végétation se produit au détriment de la floraison et de la fructification. C’est pour cette raison qu’il faut, aussitôt que la floraison commence, arrêter tout arrosage avec nitrate de soude ou sulfate d’ammoniaque aux tomates, pois, haricots, mais qu’on peut le continuer avec succès sur les cardons, céleris à côtes, poirées, etc., parce que ce sont des légumes feuillus, dont les pétioles doivent prendre un fort développement, ou bien sur les épinards, tétragones ; oseilles, etc., qui doivent donner une quantité de feuilles à la cueillette. De même, il convient d’en distribuer par arrosages aux légumes racines, carottes, scorsonères, dont le développement souterrain est en rapport avec celui des feuilles.

Les engrais phosphatés remplissent auprès des plantes le même rôle que les phosphates et la chaux dans l’organisme humain, ils donnent aux tissus et à la charpente plus de fermeté et toute la robustesse nécessaire, mais surtout ils favorisent la fécondation.

C’est pendant tout le cours de la végétation, et surtout au début, que ces engrais sont nécessaires, mais il faut les incorporer au moment des bêchages.

Les engrais potassiques complètent l’action des deux précédents, ils sont indispensables pour la fécondation,, la formation et la maturation des graines et des fruits, ainsi que pour la formation de la fécule, de l’amidon, du sucre.

Si, pour les légumes feuillus, cet engrais n’est pas indispensable, il en faut, par contre, aux légumes-racines, tubercules, graines, fruits, sans quoi les récoltes sont déficientes.

Attention cependant à leur emploi : mis en contact immédiat avec les racines, les cristaux des sels potassiques les détruisent en se décomposant et c’est pourquoi on recommande toujours de distribuer et d’enterrer les engrais potassiques en automne et pendant l’hiver, mais jamais au cours de la végétation.

La quantité d’engrais à employer est assez variable, suivant les terrains et les cultures. En ce qui concerne le fumier, celui de cheval, lorsqu’il est frais, pèse de 350 à 400 kilogrammes au mètre cube ; s’il s’agit, par contre, de fumier décomposé, le poids varie de 8 à 900 kilogrammes. Les terreaux, suivant leur composition, varient très sensiblement eux aussi.

N’exagérez pas en employant les engrais chimiques ; des dosages ont été établis, ne les dépassez pas. Le nitrate de soude et le sulfate d’ammoniaque peuvent s’employer à raison de 1kg,500 en deux ou trois fois au cours de la belle saison, principalement au départ de la végétation et en juillet ; il est bon de les faire suivre d’un arrosage. Le nitrate de soude convient mieux, dans des terrains non calcaires, alors que le sulfate d’ammoniaque doit être employé de préférence en terres calcaires.

Les engrais potassiques, sulfate de potasse, chlorure de potassium, sylvinite riche, carbonate et nitrate de potasse, s’emploient à la dose de 3 à 4 kilogrammes aux 100 mètres carrés ; les engrais phosphatés, superphosphate de chaux notamment, à la dose moyenne de 6 ou 7 kilogrammes pour 100 mètres carrés, tandis qu’avec les scories de déphosphoration vous pouvez aller jusqu’à 8 et 9 kilogrammes en terre non calcaire.

À l’heure actuelle, malheureusement, beaucoup de ces engrais sont introuvables, mais, à coté de ceux que nous pouvons encore nous procurer, cyanamide calcique, engrais de poissons, guano, nous devons récupérer : le purin et l’urée qui, trop souvent, coulent le long des chemins ; les déjections humaines, vendues très cher après préparation, sous le nom de poudrette, les déchets organiques des abattoirs, sang, peau, poils, viande, corne et sabots torréfiés et broyés ; la colombine, fiente des pigeons, engrais aussi actif que le guano ; la poulette, excréments de poules et de canards qui convient particulièrement aux terres froides et humides et aux semis.

Récupérez également les os de toutes sortes, qui seront broyés et réduits en poudre, ainsi que les cendres de bois ou de houille et la suie provenant des ramonages. Leur valeur comme engrais n’est pas négligeable, si l’on en juge par leur composition :

Cendre de bois : Acide phosphorique 6 à 12 p. 100.
Potasse 12 à 25
Chaux 30 à 50
Suie de bois : Matières organiques 72
Azote 1,3
Acide phosphorique 0,4
Potasse 3,4
Os brûlés : Silice 1 à 3
Phosphate de chaux
(ce qui correspond à 27,5 à 29,8 p. 100 d’acide phosphorique).
60 à 70
Potasse 3,4
Cendre de houille : Chaux 8 à 9
Magnésie 2
Acide sulfurique 6 à 7
Acide phosphorique 0,7 à 0,8
Potasse 0,5 à 0,6
Suie de houille : Matières organiques 10 à 45
Azote 1 à 3,5
Acide phosphorique 0,3 à 0,4
Potasse 0,5 à 0,7

Ne dédaignez pas non plus les déchets de métallurgie, poussière de fer ou d’aluminium, provenant des tours et autres machines-outils.

Et, surtout, pensez aux engrais verts ! On n’y songe pas assez dans nos jardins ; cependant, ils fournissent au sol azote et humus, surtout si on les enfouit au printemps ; si c’est un apport que vo us en faites, c’est alors un engrais idéal.

Dans le même ordre d’idée, vous pouvez utiliser à l’automne les feuilles de betteraves, les ajoncs, les tiges tendres de genêts, les fougères, les pointes d’arbustes : troènes, buis, fusains ; toutes les feuilles et la tourbe, surtout lorsqu’elles ont servi de litière. La tourbe, en particulier, pulvérisée et étendue sur les semis, constitue une protection parfaite contre la sécheresse et les gelées printanières.

En temps ordinaire, les tourteaux, le marc de raisin et de pommes, les drèches des brasseries, les vinasses des distilleries, les pulpes, les déchets de sucrerie, de chocolaterie étaient autant d’engrais employés dans les jardins par quelques rares amateurs. Le malheur nous a tous instruits et nous pensons que, lorsque la vie sera redevenue normale, nous ne laisserons plus rien perdre, pour le plus grand bien de chacun et de notre économie nationale.

Marcel EBEL,

Meilleur ouvrier de France. Horticulture, Paris, 1933.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 30