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Le poiré et sa fabrication

Il est d’usage, lorsqu’on parle des fruits de pressoir, de tout rapporter aux pommes à cidre, comme si les poires à poiré n’existaient pas. Cependant, les deux principales régions cidrières, Normandie et Bretagne, notamment dans la première, des départements comme l’Orne, l’Eure, le Calvados, possèdent des cantons où le nombre des poiriers atteint celui des pommiers, où la réputation du poiré obtenu dépasse même celle des cidres qu’on y prépare.

Il est, d’autre part, absolument anormal de vouloir ériger en règle l’assimilation complète de toutes les phases de la fabrication du poiré à celles du cidre, car il y a autant de différence entre les deux boissons, qu’entre les arbres et les fruits qui les produisent.

La qualité du poiré est essentiellement liée à l’époque du brassage, qu’il faut savoir choisir. Ainsi des poires qui ne paraissent pas assez mûres aujourd’hui peuvent l’être trop dans trois ou quatre jours.

À l’égard de leur maturité, les poires à poiré sont classées comme les pommes à cidre en trois saisons qui comprennent, la première, les variétés mûrissant à l’arbre jusqu’à la fin septembre ; la seconde, celles qui, au cours d’octobre, mûrissent à l’arbre ou au grenier ; la troisième, celles qui sont cueillies en novembre à maturité ou non, mais qui la terminent généralement en décembre, sauf pour quelques variétés.

Les poires de la première saison demandent à être brassées deux ou trois jours après la récolte, tandis que d’autres peuvent attendre un peu plus longtemps, mais beaucoup moins toutefois que les pommes.

Les variétés cueillies en novembre terminent pendant la garde leur maturité complémentaire qu’elles poursuivent jusqu’en décembre, parfois même jusqu’en janvier, pour certaines d’entre elles dont la pulpe est très dure et qui pourrissent plutôt que de blettir. Ces fruits devront être mûrs et non blets. Le jus des poires blettes plus ou moins écrasées, en se répandant sur les fruits environnants, constitue un milieu de culture optimum pour le développement des bactéries acétiques et lactiques, ainsi que des vibrions butyriques qui, successivement, provoquent les fermentations de même nom. Enfin, où la pourriture envahit certains fruits, la fermentation putride suit immédiatement. On n’en obtient que des poirés non seulement troubles et désagréables, mais peu alcooliques rapidement aigres et parfois malsains.

Lorsqu’on brasse trop tôt les poires de deuxième et surtout de troisième saison à chair dure et presque vertes contenant par litre de jus entre 10 et 15 grammes de tanin et de 10 à 15 grammes d’acidité, il est certain que le poiré que l’on en obtient, même quand il est joliment ambré et très limpide, est absolument imbuvable et ne peut servir qu’à la production de l’eau-de-vie, qui en est souvent très bonne. Le meilleur moment pour le brassage des poires est indiqué quand elles commencent à céder sous la pression des doigts.

Fabrication.

— Le broyage des poires est en général plus difficile que celui des pommes.

La pulpe de poire peut, sans inconvénient, être mise à cuver à l’abri de l’air. Le cuvage des poires destinées à fournir du poiré pour la consommation est à recommander. Il peut être de douze à vingt-quatre heures et il favorise la clarification du jus lors de la défécation.

Le jus de la poire s’extrait aisément par pression et l’on obtient à la première opération un plus grand rendement qu’avec les pommes, de sorte que, souvent, on ne fait pas intervenir l’eau dans la fabrication. Dans les années d’abondance, on ne fait pas de remisage pour épuiser le marc.

La fermentation sera précédée de la défécation du moût comme dans la fabrication du cidre.

Certaines variétés riches en pectase permettent une clarification rapide, telles sont : Longuet, Fer, Rouget, Gaubert, Huchot, Bec d’Oie, Plant-Blanc, etc., variétés communes dans l’Orne.

La défécation du moût, premier phénomène qui s’y passe quand il vient d’être mis en cuve, sera, comme pour le moût de pommes, facilitée par une basse température. Le chapeau aura une couleur moins foncée, il sera moins volumineux que celui du moût de pommes, mais il devra être homogène, sans mousse blanche.

La défécation étant obtenue, on soutirera entre deux lies et l’on conduira la fermentation très lentement à basse température pour obtenir des poirés de commerce à saveur douce, ou rapidement vers 20°, si l’on a en vue la production de poirés devant être bus rapidement ou servir à la distillation.

Le poiré durcit plus vite que le cidre et doit être consommé dans l’année qui suit sa fabrication. Il est surtout apprécié quelques semaines après.

Le poiré en bouteilles.

— Le poiré se conserve bien en bouteilles, il y prend la mousse et acquiert des qualités qui le rapprochent des vins de Champagne. Les bouteilles utilisées sont des champenoises. On met en bouteilles trois semaines après le cuvage, lorsque le poiré est encore doux et capiteux. On bouche comme pour le Champagne et l’on maintient les bouteilles couchées. Le liquide reste pétillant, un peu sucré, avec le bouquet de chaque cru. Après six semaines à deux mois de fermentation, celle-ci est presque achevée : néanmoins, mis en bouteille, il sera encore un peu pétillant, plus corsé, plus coloré que le précédent.

Le poiré est sujet aux mêmes maladies que le cidre ; on les évitera de la même façon que les dernières et on leur appliquera les mêmes traitements curatifs. Le meilleur moyen est d’agir préventivement en lavant les poires, les pressoirs, les broyeurs, en utilisant des fruits sains, ni blets, ni atteints de pourriture, et en se servant de fûts propres, dans lesquels on aura brûlé une mèche de soufre. Cette année, il y a eu peu de pommes et il conviendra de bien traiter le poiré, qui atteindra ainsi de très haut prix.

LANEUVILLE.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 37