Véritable ministère international, tant par le nombre des
collaborateurs (plus de 3.500), par l’extension des locaux que par la
multiplicité de ses sciences, l’Agence centrale de Genève déploie une activité
dont on ne peut se faire une idée sans avoir au moins parcouru cette ruche
bourdonnante.
Elle est une émanation du Comité International de la
Croix-Rouge (C. I. C. R.), formé de citoyens suisses, qui non
seulement coordonne les sociétés nationales de la Croix-Rouge, mais qui, en
vertu des conventions révisées en 1929, reçoit toutes les communications
officielles des gouvernements de tous les pays belligérants.
La recherche des prisonniers de guerre, des disparus, loin
d’être l’unique activité de l’agence, constitue néanmoins sa tâche primordiale.
Pour l’accomplir, elle possède deux sources de renseignements : les fiches
de capture écrites par le prisonnier lui-même à son arrivée au camp et les
listes officielles imprimées ou manuscrites, établies par les autorités de
chaque camp (dont des photographies sont envoyées aux gouvernements
intéressés). Pour chaque prisonnier, les indications sont transcrites sur des
fiches, de couleur verte pour les Français, par une nuée de dactylographes.
Cartes de capture et fiches vertes sont ensuite classées dans des boîtes ou
fichiers, en principe par ordre rigoureusement alphabétique, que l’expérience
oblige parfois à transgresser en opérant des « fusionnements » à
cause de l’incertitude orthographique de certains noms propres.
Les demandes sont classées dans ce même ordre et dans les
mêmes fichiers que les cartes de capture et les fiches vertes. Lorsqu’il se
trouve une « concordance », le dossier est sorti, remplacé par une
fiche témoin, vérifié avec soin, et communication est faite aux familles. Il en
a été fait actuellement près de 8 millions.
Au début, les demandes se faisaient par lettre et les
indications utiles étaient transcrites sur des fiches blanches ; devant
l’afflux du courrier (il arrive jusqu’à 60.000 lettres par jour), le C. I. C. R.
fit éditer des cartes imprimées avec les indications nécessaires, cartes qui
bénéficient de la franchise postale.
Bien rédigées, les cartes permettent une identification
rapide ; ce n’est, hélas ! pas toujours le cas, à chaque ligne peut se
glisser une difficulté.
Le nom devant toujours être correctement orthographié et
écrit lisiblement, en caractères d’imprimerie (caractère « bâton »),
il doit toujours être celui que porte le livret militaire (beaucoup de gens
sont connus de leurs amis par un titre qui n’est pas leur véritable patronyme).
Pour prendre des exemples dans l’Histoire, le maréchal de Richelieu eût été
inscrit sur les contrôles sous le nom de Duplessis, et le duc d’Otrante sous
celui de Fouché ; des cas analogues ont exercé la sagacité des fichiers. Il
en est de même pour le ou les prénoms, le premier, le seul qui compte, n’est
souvent pas celui qui est adopté par les relations. La date de naissance manque
trop souvent de précision et, pour le lieu de naissance, c’est souvent le
contraire ; la demande indique un lieudit, ou un hameau, alors que la
carte de capture mentionne la commune, ou vice versa.
Le terme « incorporation » est souvent mal
compris ; ce qu’on demande, c’est le numéro du régiment, si possible du
bataillon et de la compagnie, ou des formations analogues.
Bien d’autres difficultés surgissent à chaque instant dans
cette œuvre, en apparence si simple, de classement de fiches. Le nombre de
celles-ci augmentant sans cesse, il fallut augmenter le nombre des fichiers,
gagner toute la place possible, occuper de nouveaux locaux. Pour fixer un
détail, et sans abuser de la statistique, — c’est un peu le péché mignon
de l’agence, — disons qu’au début toutes les fiches concernant un même
soldat étaient réunies par de petites agrafes métalliques d’un poids insignifiant ;
pour dégager les boîtes on dut les supprimer ; en quelques jours, rien que
pour le fichier français, on en récupéra 250 kilogrammes !
Un service spécial a la charge des militaires coloniaux
(ceux de l’Afrique du Nord sont classés par régiments), un autre du personnel
sanitaire et des grands blessés soignés dans les hôpitaux, dont le C. I. C. R.
organise le rapatriement selon les conventions en vigueur.
Le « service Watson » attire tout particulièrement
l’attention des visiteurs ; il s’agit d’un service entièrement mécanisé,
grâce auquel peuvent être résolus rapidement une foule de problèmes posés par
les enquêtes spéciales. Des machines impriment des fiches spéciales et en
traduisent les informations par des perforations d’apparence cabalistique. À
l’aide de ces perforations, une autre machine effectue en quelques minutes
toute espèce de classement, par ordre alphabétique, par grades, par régiments,
etc., et une troisième machine traduit, toujours automatiquement, le paquet de
fiches ainsi classées en une liste imprimée.
S’agit-il de la recherche d’un disparu ? En quelques
instants, on aura une liste de soldats prisonniers appartenant au même
régiment, répartis en divers camps, un questionnaire sera adressé à chacun, et
l’on obtient ainsi un renseignement qualifié d’officieux qui, surtout en cas de
décès, ne sera communiqué qu’après confirmation par un acte officiel.
Ces enquêtes spéciales sont de nature très diverse, tantôt
c’est un prisonnier qui ignore l’adresse actuelle de sa famille, qui demande
des nouvelles d’un camarade, d’un parent présumé également prisonnier, d’un
officier désireux de connaître le sort de ses hommes. À ce service incombe
encore la transmission d’une procuration, d’une délégation de solde, de pièces
pour un mariage par procuration, etc. ...
Le service des secours aux prisonniers a subi, comme tous
les autres, un développement rapide et considérable. Alors qu’à l’origine
l’agence se contentait de faciliter l’envoi de colis individuels, en adressant
de son propre chef aux prisonniers dépourvus de famille ou sans nouvelles des
leurs (environ 8 p. 100 des prisonniers français), on fut rapidement
débordé et l’on dut changer de méthode en procédant à des envois collectifs.
Avec ses modestes ressources, mais grâce à l’aide de groupements
charitables, de sociétés nationales et les C.-R. d’Europe et d’outre-mer, elle
a constitué à Genève des stocks impressionnants de marchandises diverses :
vêtements, linge, objets de toilette, conserves, café, sucre, tabac,
cigarettes, médicaments, etc., qui, une fois réparties en paquets, sont
envoyées par wagons entiers, aux divers camps, à l’adresse de l’homme de
confiance (choisi par les prisonniers) qui les répartit et en accuse réception,
avec ses observations, au sujet desquelles il est toujours fait une enquête.
Ces envois ne se limitent pas aux besoins matériels ;
d’office ou selon les demandes, on adresse aussi des secours intellectuels, de
nature très variée, tels que des ornements sacerdotaux, des objets du culte,
des livres, des jeux ; l’agence a déjà envoyé plus de 250.000 ouvrages
réclamés, des cours par correspondance, des partitions.
Toujours bienvenus sont les jeux de cartes, d’échecs, de
tennis de table, les ballons de football, les gants de boxe et surtout les
instruments de musique.
Ajoutons les expéditions de médicaments, d’objets de
pansements, de matériel sanitaire qui a pu aller jusqu’à l’envoi d’un train
sanitaire complet, d’un hôpital de deux cents lits entièrement installé.
Pour ce service, le C. I. C. R. a dû affréter
des bateaux auxquels son patronage permet de franchir tous les blocus, établir
un cabotage de Lisbonne à Marseille et à Gênes, charger des trains entiers,
installer de vastes entrepôts en gare de Genève.
L’action de l’agence s’étend encore aux civils internés dans
les pays belligérants, qu’elle a pu faire assimiler aux prisonniers de
guerre ; elle s’étend aussi aux civils des pays occupés qui, par son
intermédiaire, peuvent transmettre des messages aux membres de leur famille
dont ils sont entièrement séparés ; elle s’occupe encore de rechercher et
de regrouper les membres épars des familles dispersées.
Avec la collaboration de la Ligue des C.-R., organe de la
fédération des C.-R. nationales, le C. I. C. R. participe encore
à l’œuvre de secours aux civils non internés.
Le C. I. C. R. possède dans tous les pays des
délégués permanents de nationalité suisse ; envoie des missions
temporaires chargées d’inspecter les camps, de s’entretenir librement avec les
prisonniers, de recevoir leurs réclamations, leurs observations, leurs désirs.
Grâce à toutes ces mesures, le sort des prisonniers, de
l’avis unanime, est moins pénible qu’il ne le fut pendant la guerre de
1914-1918.
Cet exposé est loin de résumer tous les services que rend l’Agence
des prisonniers, il montre cependant que le monde entier bénéficie de
l’activité humanitaire et charitable qui rayonne de Genève.
A. G.
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