Dans des causeries insérées dans cette revue fin 1939, nous
avons fait connaître les règles régissant à cette époque les rapports entre
locataires de chasse et propriétaires. À ce moment, il n’existait aucune
disposition législative réglant la question ; aussi avions-nous dû nous
borner à faire à cette matière l’application des règles du droit commun.
Depuis lors est intervenu un décret-loi en date du 1er juin
1940, inséré au Journal officiel du 2 juin, décret réglant pendant
la guerre les rapports entre bailleurs et preneurs de baux à ferme, décret dont
l’article premier stipule expressément que les dispositions en sont applicables
aux baux de chasse et de pêche. Les événements qui ont amené l’interruption de
cette revue nous ont empêché de donner plus tôt les explications et
commentaires que mérite ce décret. Mais il n’est pas trop tard pour le faire,
ses dispositions étant toujours applicables. Toutefois, nous n’avons à nous
occuper ici que de celles de ces dispositions qui concernent les baux de chasse
et de pêche, c’est-à-dire celles qui sont relatives à la faculté de faire
prononcer la résiliation de ces baux et celles qui traitent des réductions des
loyers ou fermages.
En ce qui concerne la résiliation pour toute autre cause que
celles résultant de l’état de guerre, les principes de droit commun restant
applicables, nous n’avons pas à nous en occuper ici ; seule nous intéresse
la résiliation spéciale prévue par le décret du 1er juin 1940,
c’est-à-dire celle qui est la conséquence de circonstances résultant de l’état
de guerre.
La résiliation ne peut être demandée que par le
locataire : le propriétaire n’est pas recevable à se prévaloir pour la
demande de modifications apportées à la situation par suite de la guerre.
D’ailleurs le locataire, pour avoir la possibilité de faire résilier le bail de
chasse ou de pêche, doit démontrer que des circonstances tenant à l’état de
guerre, survenues postérieurement à la date à laquelle il a passé le bail, ou
bien l’empêchent d’entrer en jouissance, ou bien l’empêchent « d’assurer
normalement l’exploitation en vue de laquelle les lieux ont été loués ».
Cette dernière formule a été employée en considération des
baux à ferme ordinaires et doit être interprétée lorsqu’on se trouve en face
d’un bail de chasse ou de pêche, car il ne peut s’agir alors d’une
« exploitation à assurer ». On doit en ce cas rechercher si les
circonstances invoquées empêchent le locataire de jouir normalement des droits
et avantages qu’il entendait s’assurer en louant la chasse ou la pêche, en
d’autres termes, le locataire doit établir qu’il n’a pas été à même de chasser
ou de pêcher dans les conditions où il a pu croire qu’il pourrait le faire au
jour où le bail a été conclu.
L’armistice survenu n’a pas mis fin à l’état de guerre, en
sorte que les entraves apportées au libre exercice du droit de chasse ou de
pêche du fait de la situation créée par l’armistice et par l’occupation peuvent
encore être invoquées à l’appui d’une demande en résiliation de bail.
La mobilisation du locataire, ou sa détention comme
prisonnier de guerre sont également des circonstances susceptibles d’être
invoquées à l’appui d’une demande en résiliation. Et il en est de même, à plus
forte raison, de l’interdiction de l’exercice du droit de chasse ou de pêche
promulguée par le Gouvernement français ou par les autorités étrangères sur les
territoires où elles ont un droit d’occupation.
Aucun délai n’est imparti pour demander la résiliation du
bail. La demande amiable n’est soumise à aucune formalité particulière ;
mais, faute d’accord, le locataire doit s’adresser au juge de paix ou au
président du Tribunal civil suivant le montant du loyer annuel et suivre les
formes de procédure imposées par la loi. Nous donnerons un peu plus loin, à cet
égard, toutes les précisions voulues.
Les conséquences de la résiliation, soit qu’elle ait été
amiable, soit qu’elle ait été prononcée par le juge, sont les suivantes. Le
locataire perd le droit de chasse ou de pêche que le bail avait eu pour effet
de lui concéder. Cet effet se produit à la date convenue entre les parties ou
fixée par le juge à défaut d’accord. En contre-partie, le locataire n’a plus à
payer le loyer convenu, à partir de la date à laquelle la résiliation prend
effet : si des loyers ont été payés d’avance pour une période postérieure
à la date dont s’agit, le propriétaire est tenu de les restituer ; le
locataire peut obtenir même une indemnité s’il justifie avoir fait des dépenses
pour l’amélioration de la chasse, à condition que ces dépenses aient été
imposées au locataire par le bail ou par les circonstances, ou qu’elles aient
été faites avec le consentement du propriétaire. Ce dernier, inversement, peut
avoir droit à des indemnités s’il justifie avoir, à la demande du locataire et
pour les convenances de celui-ci, fait des travaux ou aménagements
exceptionnels dans les lieux loués. Le montant de ces indemnités peut être fixé
à l’amiable ; en cas de désaccord, il faut, pour les faire déterminer,
recourir au juge et à la procédure qui seront indiquées ci-après.
Le locataire qui ne demande pas la résiliation de son bail
de chasse ou de pêche peut se borner à demander une réduction du loyer,
convenue au bail. Les conditions pour avoir droit à la réduction sont les mêmes
que pour pouvoir obtenir la résiliation du bail, il faut que le locataire
justifie que, en raison de circonstances tenant à l’état de guerre, il a été
privé d’une notable partie des ressources sur lesquelles il pouvait compter
pour payer le loyer, ou bien qu’il n’a pu jouir normalement du droit de chasse
ou de pêche à lui conféré par le bail ; il faut, au surplus, que ces faits
se soient produits postérieurement à la passation du bail. La réduction est
convenue amiablement, ou fixée par le juge à défaut d’accord ; le
locataire peut même obtenir une exonération complète. La réduction ou
l’exonération peuvent être accordées jusqu’à la date de la cessation des
hostilités. Si, postérieurement à l’accord ou au jugement, les circonstances
viennent à se modifier, le propriétaire peut demander la suppression de la
réduction ou la modification du taux de réduction, et le locataire peut au
contraire demander l’augmentation du taux de la réduction.
Pour tous les litiges susceptibles de naître à l’occasion
des dispositions légales qui viennent d’être exposées, qu’il s’agisse de
résiliation des baux de chasse ou de pêche, ou qu’il s’agisse de demandes en
réduction des loyers, la compétence et la procédure sont celles instituées par
le décret-loi du 26 septembre 1939 pour les litiges analogues nés à
l’occasion des baux à loyer.
Le litige doit être porté devant le juge de paix du canton
dans lequel se trouvent les terres sur lesquelles s’exerce le droit de chasse
ou les eaux dans lesquelles s’exerce le droit de pêche ; si ces terres ou
ces eaux font partie de plusieurs cantons différents, c’est devant le juge de
paix du canton où se trouve la plus grande partie des terres ou des eaux que le
procès doit être porté. Mais le juge de paix ne peut être saisi que si le
chiffre du loyer annuel ne dépasse pas 4.500 francs. Si ce chiffre est
dépassé, le litige doit être porté devant le président du Tribunal civil dans
le ressort duquel se trouvent les terres ou les eaux sur lesquelles s’exercent
les droits de chasse ou de pêche, ou les majeures parties de ces terres ou de
ces eaux.
La procédure commence nécessairement par une tentative de
conciliation : le demandeur doit faire convoquer le défendeur devant le
juge de paix ou le président du Tribunal civil au moyen d’un avertissement par
lettre recommandée adressée par le greffier de la juridiction saisie. Les
parties doivent comparaître en personne à moins d’excuse jugée valable, auquel
cas elles sont autorisées à se faire représenter. Devant le président du
Tribunal civil, les avocats et les avoués sont seuls autorisés à représenter
les parties tant pour l’audience de conciliation que pour celle de jugement.
Si les parties se concilient, il est dressé par le juge un
procès-verbal constatant les conditions de l’arrangement ; ce
procès-verbal rendu exécutoire permet de poursuivre l’exécution forcée de
l’accord, faute d’exécution volontaire. Si les parties n’ont pu se concilier,
le demandeur fait citer par huissier le défendeur devant le juge compétent. Les
parties doivent encore comparaître en personne sauf excuse permettant la
représentation comme il a été dit ci-dessus. L’audience n’est pas publique. Le
juge entend les parties ou leur avocat ou avoué. Avant de statuer et si les
parties le demandent, le juge peut prendre l’avis de deux personnes qualifiées
qu’il choisit sur les listes préparées à cet effet par les chambres
d’agriculture du département.
La décision est toujours susceptible d’appel : cet
appel est porté devant le Tribunal civil si la décision émane d’un juge de paix
et devant la Cour d’appel dans le cas contraire. Les délais et formes de
procédure de droit commun sont applicables à l’appel. La décision rendue sur
l’appel peut être déférée à la Cour de cassation, le pourvoi qui n’est pas
suspensif doit être formé par requête dans la quinzaine de la signification de
la décision attaquée, il doit, dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la
requête, être notifiée la partie adverse. Le pourvoi est dispensé du ministère
d’un avocat et de la consignation d’une amende, il est porté directement devant
la chambre sociale de la Cour de cassation.
En principe, seuls les Français peuvent se prévaloir des
dispositions qui précèdent ; cependant il est fait exception à cette règle
en faveur :
1° des sujets des pays placés sous le protectorat ou sous le
mandat de la France ;
2° des étrangers servant ou ayant servi depuis le
3 septembre 1939 dans les diverses formations exclusivement militaires
françaises ou alliées ;
3° des étrangers dont les descendants ou le conjoint servent
ou auront servi au cours des hostilités dans les mêmes formations.
Si le locataire qui aurait pu se prévaloir des dispositions
du décret que nous venons d’analyser est décédé ou que tout au moins son décès
est présumé, la demande en résiliation peut être formée en son nom par son
conjoint ou tout ayant droit à la succession.
Signalons enfin que les dispositions du décret sont d’ordre
public en ce sens qu’il n’est pas permis de renoncer à s’en prévaloir ; on
peut toujours revenir sur une telle renonciation, sauf au juge à tenir compte
des circonstances qui l’ont occasionnée.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
|