Parmi les humains, certains, sans avoir le sens à proprement
parler de la destruction des objets, possèdent tout au moins une aptitude
spéciale à détériorer aussi bien leurs voitures que leurs armes : d’autres
usagers se font remarquer par un conservatisme quasi indéfini. Entre ces deux
extrêmes, le sage sait assurer aux objets une durée raisonnable et, si, quelque
jour, il se décide à remplacer un article vieilli, c’est bien plutôt par amour
du progrès que par nécessité.
À ces gens du juste milieu, nous dédions aujourd’hui
quelques conseils qui leur permettront de maintenir pendant de longues années
en bon état de fonctionnement l’excellent compagnon de chasse qu’ils apprécient
en la personne, osons le dire, de leur fusil.
Dans l’entretien des armes il convient de distinguer le
nettoyage d’un fusil qui sert à peu près tous les jours et le nettoyage sérieux
de fin de saison, à la veille de remettre à l’étui l’arme pour plusieurs mois.
Il est très facile de protéger contre l’attaque des gaz de
la poudre les canons d’un fusil et d’éviter les oxydations plus ou moins
importantes que l’on appelle des « minures » à l’intérieur. Il suffit
de s’astreindre à passer successivement dans l’intérieur des canons une brosse
en acier et un chiffon gras, ce qui n’a rien de bien compliqué. Mais, cette
petite opération, ce n’est pas le lendemain de la chasse qu’il convient de la
faire : c’est le soir même, avant de se livrer au repos, surtout s’il fait
humide.
Ne discutons pas sur le plus ou moins grand degré de
nocivité des poudres de chasse en ce qui concerne l’attaque des canons, tout a
été dit et redit à ce sujet. Il demeure entendu que la poudre T est plus
corrosive que les vieilles poudres noires et que la poudre K2 l’est moins
que la T. Mais, quelle que soit la poudre dont on se sert, s’il fait sec,
il n’y a pas grand dégât à craindre ; s’il fait humide, comme nous le
disions plus haut, il faut toujours se dépêcher d’opérer. Et il faut si peu de
temps pour donner les quelques coups de baguette indispensables que le chasseur
peu soigneux est inexcusable.
Si nous ne chassons pas le lendemain, il sera bon de donner
un coup d’œil à l’intérieur des canons et de récidiver le grattage à la brosse
métallique en cas d’apparition d’une légère tache de rouille. Une ou deux fois
par semaine, laisser passer la nuit sous une couche d’huile neutralisante ou, à
défaut, d’huile camphrée. Tous ces petits soins nous conduiront sans accrocs à
la fin de la saison.
À ce moment, un nettoyage d’ensemble s’impose ; nous
passerons plusieurs fois les canons à la brosse et à l’huile neutralisante, et
ce n’est qu’après être certains qu’aucune repousse d’oxyde ne se produit plus
que nous procéderons à un dernier graissage, non pas à l’huile cette fois, mais
à la graisse d’armes. Et il ne nous restera plus alors qu’à mettre notre fusil
en lieu sûr.
Mais, avant d’en terminer avec l’entretien des canons, nous
allons donner aux chasseurs soigneux et surtout aux autres un excellent
conseil. Il est très simple : c’est de faire parachromer lesdits canons.
Cette opération donne d’excellents résultats. Nous nous
sommes servi, pendant toute une saison de chasse, d’un canon double parachromé,
sans autre entretien que le passage, une fois ou deux par semaine, d’un simple
chiffon sec. Bien que nous ayons tiré dans cette arme tous les types de
poudres, alternativement, nous n’avons constaté aucune oxydation du métal en
fin de saison. Le parachromage simplifie dans une proportion de 95 p. 100
l’entretien des fusils. Il s’applique à tous les canons neufs, ou dont
l’intérieur des tubes est encore en bon état, et n’en modifie nullement le
groupement. Les canons usagés, qui comportent des « minures »
généralisées et profondes, ne peuvent pas être parachromés. En effet, la couche
protectrice ne peut se déposer dans le fond des minures, qui est toujours
fortement oxydé.
Nous passons maintenant à l’entretien du mécanisme des
armes. Ici, c’est plutôt ce qu’il ne faut pas faire qu’il y a lieu d’envisager.
En effet, dans les armes modernes, le mécanisme, entièrement caché, ne demande
guère que des visites espacées, même très espacées si le fusil ne sert pas
beaucoup, et ces visites ne sont pas du ressort du chasseur, mais bien de
l’armurier, qui est seul outillé convenablement pour procéder aux démontages
nécessaires. Et, surtout, il convient de s’abstenir de ces produits abrasifs et
désastreux qui se nomment le papier de verre, la toile émeri et la brique
pilée. Et cela pour deux raisons, la première est que l’on risque de désajuster
son arme en enlevant par des nettoyages répétés une quantité de métal en
certains points sensibles, la seconde est que les grains d’émeri risquent de
pénétrer dans le mécanisme, où ils ne peuvent faire que du mal. À la rigueur,
on se permettra d’attaquer une tache de rouille sur un pontet avec un peu de papier
de verre, mais en commençant par boucher au chiffon le passage des détentes.
Toutes les fois qu’il s’agira d’enlever une tache un peu importante sur les
crochets, les verrous, la tranche de culasse, la tranche de bascule il n’y faut
employer que du pétrole et un morceau de bois. Ajoutons-y quelque patience et
résignons-nous à laisser plutôt une marbrure sur la pièce qu’à entamer le métal
si peu que ce soit. Pour les parties bronzées, il existe d’excellentes gommes
spéciales très douces et très efficaces qui font merveille sans rien
détériorer.
Et, pour le bois de la crosse, un essuyage sérieux suffit
amplement en cas de pluie ; évitons-lui surtout les chocs désastreux,
générateurs d’enfoncements peu esthétiques. Nous pouvons prédire aux chasseurs
qui suivront ces conseils, sans plus, que leur arme durera autant qu’eux-mêmes
et pourra souvent passer aux générations suivantes. Nous n’en voulons pour
preuve que la parfaite conservation de fusils à baguette bien entretenus par
leur propriétaire et dont ni le métal ni les dispositions mécaniques ne
facilitaient la durée.
Il nous arrive parfois d’examiner des armes en assez mauvais
état d’entretien et dont cependant le fonctionnement est satisfaisant :
cette constatation est tout à l’honneur de la technique armurière qui, de nos
jours, a su adopter des dispositions mécaniques fonctionnant même mal
entretenues. Que certains chasseurs ne s’autorisent pas de cette constatation
pour négliger leur fusil. Nous allons leur dire, non pas ce qui arrivera, mais
ce qui peut arriver : à eux de décider entre paresse et risques divers.
Les minures à l’intérieur des canons n’entraînent qu’une
légère perte de vitesse et quelques irrégularités dans le groupement ; il
faut que ces défauts soient à la fois mal placés (proximité des chambres) et
assez importants pour que les risques d’éclatement soient notables. Le grand
inconvénient des minures est la difficulté du nettoyage, laquelle entraîne
l’approfondissement progressif du creux correspondant. Au début, un polissage
judicieux fait disparaître les minures ; à partir d’une certaine
profondeur, le remède est pire que le mal, car ledit polissage entraîne alors
une augmentation du calibre préjudiciable aux résultats balistiques. Notons, en
passant, que la réfection des chambres par alésage et rapport d’un fourreau est
à déconseiller au point de vue de la résistance du tonnerre, qui se trouve
affaiblie.
Le mauvais entretien du mécanisme a pour conséquence une
usure prématurée de certaines pièces ; il entraîne la dureté des détentes,
parfois leur instabilité par encrassement. Les corps étrangers introduits dans
les platines ou les batteries peuvent provoquer des départs intempestifs
lorsqu’ils viennent se loger entre les crans et les becs de gâchette. Ce n’est
jamais une précaution inutile que de faire réviser le mécanisme d’un fusil à
chiens intérieurs tous les deux ou trois ans, par exemple.
Il reste une dernière précaution à laquelle peu de chasseurs
pensent en temps utile : c’est la vérification des grenadières ou plutôt
des vis transversales de ces pièces. Si ces vis viennent à s’échapper, l’arme
portée à la bretelle tombe aussitôt à terre. Nous pensons bien que nos lecteurs
ne commettent pas l’imprudence de porter à la bretelle une arme chargée,
mais ... il y a tout au moins risque de détérioration grave de celle-ci.
La bretelle automatique, ne comportant que des pièces rivées ou soudées,
échappe à cet inconvénient.
Soigner un fusil, c’est penser aux joies qu’il nous a
procurées et qu’il nous procurera longtemps si nous savons l’entretenir.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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