Maître de cent forêts Seigneur des guérets
Je suis le Roi des Landes ...
Je ne peux écrire ce mot : cerf, sans entendre résonner
dans mon cœur ces premières paroles de la belle fanfare : le Roi des
Landes. Le cerf, en effet, est le roi des animaux de vénerie, comme sa
chasse était celle de nos rois.
Si un modeste veneur peut prendre des lièvres à pied avec un
petit équipage de cinq ou six couples de chiens ; si un autre, guère mieux
monté, peut houspiller des renards en petit comité, pas plus que leur confrère
qui courre des chevreuils avec dix-huit ou vingt-cinq chiens, ils ne peuvent
songer à prendre place et à mener le train, quasi royal, qu’exige la chasse du
cerf avec son faste et son décorum.
Il n’est pas question de savoir ici s’il est plus agréable de
chasser simplement un modeste animal que de courre un cerf avec tout l’apparat
dû à cette chasse-là, mais il s’agit de reconnaître que la chasse la plus noble,
la plus représentative est celle du cerf, et ceci, du reste, personne ne le
conteste.
Je l’avoue avec plus d’aisance car, je le confesse, c’est la
chasse que j’ai le moins pratiquée, n’ayant jamais couru que le lièvre, renard,
chevreuil et sanglier et ceci avec mes chiens ; je n’avais guère le temps
alors de voir chasser les autres. De plus, je m’en confesse encore, je n’aimais
vraiment chasser qu’avec mes chiens. Les connaissant parfaitement, vivant avec
eux, j’arrivais à comprendre la moindre hésitation dans leur récri, leur façon
de chasser, tout me semblait clair et facile. Au contraire, avec une meute dont
les chiens ne m’étaient pas familiers, un idiome inconnu me blessait les
oreilles et j’étais comme un homme qui ignore la langue, perdu en pays
étranger.
Et c’est pour cela que, lorsque j’ai eu à juger les épreuves
de meutes, je me pénétrais bien de l’idée que nous ne savions pas grand’chose ;
expliquer une chasse dans son pays et avec ses chiens n’est pas toujours
commode, vouloir juger impartialement une meute inconnue dans l’espace
d’un laisser-courre m’a toujours semblé bien difficile et j’essayais, quand je
le pouvais, de lire sur le visage du maître d’équipage les péripéties de la
chasse ; c’était souvent plus instructif que de surveiller les grands requêts
d’un chien barrant au loin ...
Le cerf est le plus bel animal de nos forêts ; tout le
monde connaît sa grande et noble silhouette, si souvent reproduite par le
pinceau des peintres et le ciseau des sculpteurs, le décrire serait donc
fastidieux et inutile.
Pour beaucoup, la tête du cerf est un mystère ; j’ai
entendu des profanes qui semblaient croire qu’un dix-cors venait au monde
daguet et que tous les ans il lui poussait une « corne », si bien
qu’en les comptant, on savait infailliblement son âge.
Avant de voir, en détail, comment le cerf fait sa tête, nous
allons le prendre dès son plus jeune âge. La biche porte neuf mois et, assez
régulièrement, la naissance a lieu au moins de mai. Le jeune faon porte alors livrée,
c’est-à-dire qu’il a un pelage qu’il garde six mois. Il devient alors haire,
son poil est bourru, il est à l’âge ingrat.
Maintenant les bois vont lui pousser. D’abord, il n’a que
des bosses garnies de poils et, à un an, deux petites perches ; ce sont
les dagues qui sont bien formées ; à l’automne, il devient alors daguet.
À la fin de l’automne, ses dagues ont atteint une bonne
longueur, la peau qui les recouvrait s’est fendillée, est tombée et la
« corne » est apparue lisse et blanchâtre. Mais, au printemps
suivant, le grand mystère commence.
Le cerf — il a deux ans et entre dans sa
troisième-année — va perdre ses bois — il met bas sa tête. Peu
après, le bois commence à pousser comme une branche d’arbre qui serait
recouverte de mousse. Il est au velours ; puis ce bois durcit et
cette enveloppe de poils et de chair tombe à nouveau ; ceci vers la fin
juillet pour notre daguet, car les grands cerfs mettent bas leur tête beaucoup
plus tôt, généralement fin février, finissent également plus tôt. (On peut donc
dire, en principe, qu’il faut quatre mois et demi à cinq mois pour que la tête
repousse complètement.) Cette deuxième tête porte généralement encore
les dagues et ce n’est qu’à quatre ans qu’il devient cerf à sa quatrième
tête ou cors jeunement ; à six ans, il devient dix-cors
et ensuite vieux cerf et grand vieux cerf.
Il n’entre pas dans le cadre de ces modestes causeries
d’indiquer comment on peut reconnaître l’âge d’un cerf par l’examen de ses
bois ; s’il ne s’agissait que de compter le nombre de ses andouillers et
des corps, cela serait facile, en effet, mais ces indications ne sont que
vagues et peu précises, car, à cinq ans par exemple, un cerf dit à sa quatrième
tête peut porter dix ou douze andouillers. Pour arriver à quelque précision, il
faut considérer la tête dans son état : les meules, les pierrures, la
grosseur du merrain, la profondeur des gouttières, la largeur des empaumures,
l’emplacement des andouillers, leur longueur et leur force, enfin toutes choses
qui ne sont familières qu’aux vrais connaisseurs.
À l’époque où le cerf vient de refaire sa tête, suit celle
du rut. C’est le moment où ils deviennent agités et furieux ; ils vont,
viennent, poussent des cris qui ressemblent à ceux d’un homme qu’on égorge, ce
que les veneurs nomment : raire. Les mâles de même taille se
livrent des combats acharnés pour conquérir les biches, cependant on peut dire
que le plus beau cerf — et le plus fort — règne en sultan dans son
domaine ; cette admirable sélection, conduite par la nature et reposant
sur la vigueur, se rit des méfaits que pourrait causer une consanguinité
avancée, car, bien souvent, un cerf ajoute ses filles et parfois ses
petites-filles à son harem.
Il est bon de savoir où les cerfs aiment à demeurer suivant
saisons, hormis l’époque du raire (qui prend fin à peu près à la mi-octobre) et
où ils sont toujours en mouvements et déplacements.
À l’automne, les cerfs gagnent les grands forts et les fonds
de forêt, mais les jeunes cerfs demeurent avec les biches tandis que les vieux
vivent seuls. Ils y passent une grande partie de l’hiver et quand le temps
s’adoucit, vers la fin février, les animaux se cantonnent sur les bordures Où
ils sont plus près pour donner dans les blés et y faire leur nuit.
Pour rembucher un cerf, il faut pratiquer comme pour les
autres animaux, cette recherche s’inspirant de ce que nous venons de dire
brièvement sur ses mœurs et ses habitudes. Le veneur le juge par ses allures,
ses portées et ses fumées.
Les allures, c’est en somme la façon de marcher des
animaux, en considérant la position du pied de derrière par rapport au pied de
devant.
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Fig. 1. Pieds devieux cerf. |
Fig. 2. Pieds d'un dix-cord. |
Fig. 3. Pieds de jeune cerf. |
Fig. 4. Pieds d'une biche. |
Les portées. Dans leur passage sous bois, les animaux
laissent des traces dans le fourré même, soit en cassant des brindilles de bois
mort, en dérangeant les branches vertes, les ronces, en mettant parfois de la
boue sur les feuilles qu’ils frôlent. Ces indications, placées à différentes
hauteurs, permettent au veneur exercé d’évaluer la taille de l’animal qu’il
travaille et viendront corroborer les connaissances acquises par l’examen du
pied ; cependant ces indications sont assez peu exactes et plutôt
accessoires ; elles sont de plus assez difficiles à déceler.
En examinant les pieds des animaux représentés, on
s’aperçoit que le pied d’un vieux cerf est très arrondi, les pinces sont très
fermées, le talon très large, les os sont gros et très près du talon. Le pied
de derrière est presque aussi gros que celui de devant et, dans ses allures,
vient se placer très en arrière.
Le dix-cors a les mêmes caractéristiques, mais moins
accusées. Les os s’éloignent l’un de l’autre ; les allures sont longues et
le pied de derrière couvre légèrement celui de devant.
Un jeune cerf, au contraire, a les pinces plus pointues,
plus ouvertes, moins grosses, les côtés sont moins usés, les os peu ou pas
marqués et assez loin du talon. En marchant, le pied de derrière vient couvrir
celui de devant, il le dépasse parfois sensiblement.
Il est souvent difficile pour un débutant de différencier un
pied de biche d’un pied de jeune cerf ; pourtant, la biche a le pied plus
étroit, plus ouvert, plus long. En général, le cerf diffère toujours de la
biche par ses allures, elle met le pied de derrière dans celui de devant et
souvent rejeté en dehors ; enfin son talon est petit, les pinces pointues
et un peu en croissant.
Guy HUBLOT.
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