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En face du créneau

La chasse à la hutte n’est pas, comme certains le croient, un sport de tout repos. Mais que de souvenirs charmants et d’idées riantes éveille chez le chasseur de sauvagine ce simple mot de hutte, ou gabion, suivant les régions !

Si cette chasse n’est point une chasse précisément savante, elle nécessite cependant une certaine expérience et exige en outre une forte dose de volonté et de patience. Elle plaît ou ne plaît pas ; au premier abord, on sait à quoi s’en tenir, et celui qui y mord ne lâchera pas de sitôt le morceau. Elle devient une belle et bonne passion qui s’en va avec la vie.

Pour établir une hutte en étang, il faut choisir d’abord l’endroit le plus éloigné d’habitations ou de chemins passagers, si possible dans des places où de petits arbres ou arbustes offrent un camouflage naturel. Bien des chasseurs se contentent d’une simple petite cabane en paille de seigle où ils peuvent se tenir assis, à genoux ou couchés. Ils la camouflent bien, surtout à l’avant et au-dessus, et mettent à l’intérieur de la paille, du foin ou des feuilles pour être très au sec. Une fermeture hermétique qui sera utilisée seulement pour les vents venant de la direction de l’entrée, car, autrement, il faut pouvoir voir et écouter. Dans le sens de l’étang et des appelants, deux petits créneaux ronds, percés pour tirer en passant le fusil librement.

Sur les étangs qui ne se prêtent à aucun camouflage naturel, on opère différemment. Après avoir recherché l’endroit favorable, on établit une hutte dans la terre même, au printemps, pour chasser l’automne et l’hiver de façon que l’herbe puisse repousser et que le terrain ne présente qu’un petit mamelon ne se distinguant par rien autre que son élévation sur le terrain environnant. Un boyau d’approche est alors nécessaire.

À la hutte, ce sont les nuits claires, la passée, du soir au matin, qui conviennent le mieux. Par les nuits brumeuses il n’y a aucune réussite. Les huttes situées dans les marais bien fournis de roseaux et situées à quelques kilomètres de la mer sont excellentes par les sautes de vent d’ouest. Le soir et le matin, on y rencontre toute espèce de sauvagine.

Dès le commencement de novembre, les possesseurs de huttes doivent se préoccuper de l’état des étangs sur lesquels elles sont construites et de l’état de ces huttes elles-mêmes. Comme, généralement, elles sont installées avancées sur une pièce d’eau, qui n’est jamais à sec, vers le mois de septembre il faut faire faucher ce que l’on peut appeler le champ de tir, c’est-à-dire la surface de l’eau qui fait face et parfois entoure les côtés, afin qu’aucune touffe d’herbe ne dérange l’œil du tireur dans le rayon de la portée de son arme. Il faut s’assurer ensuite que le niveau d’eau est à peu près normal et que les déversoirs ne sont point obstrués. Puis, on plante ça et là des piquets, qui serviront de points de repère pour les distances auxquelles on peut tirer. C’est là une opération importante, surtout si la superficie de l’étang est grande, car les distances sur l’eau sont souvent décevantes et il n’est pas toujours facile de les apprécier, surtout par les temps de brume et de neige. Ainsi, le premier piquet est fixé à 30 mètres, le second à 45 mètres et le troisième à 60. Passé ce dernier, il faut avoir recours à la canardière chargée en conséquence.

Quand l’hiver s’annonce prématurément, il est bon de piquer les canards appelants dès la première quinzaine de novembre. La sauvagine, au début de sa migration, incertaine encore de la voie qu’elle suivra, se laisse facilement séduire par l’aspect de ces nappes d’eau entourées de roseaux et s’y abat sans trop se faire prier, d’autant mieux qu’elle n’a été encore que peu tirée. Il faut donc profiter, du passage de l’avant-garde et l’on en est souvent récompensé.

Enfin le moment est venu. Dès que le jour commence à tomber, après les derniers préparatifs, vous voilà parti. Vous êtes aussi chargé qu’un soldat en campagne : chaussé de grandes bottes et vêtu de très chauds vêtements, au côté un sac gonflé de munitions et de provisions de toutes sortes ; et encore le fusil et les appelants.

Ceux-ci placés vous vous glissez dans la hutte ...

Bientôt ils caquettent ... Tout à coup leurs clameurs redoublent ... ils ont éventé du gibier qui arrive à tire d’aile.

Une troupe de canards, après avoir hésité un instant, ne tarde pas à s’abattre à une certaine distance de la hutte en faisant rejaillir autour d’eux l’eau en perles humides. Puis, sans doute encouragés par les avances de leurs semblables, ils se dirigent vers eux avec prudence. Le grand moment approche. Quelque vieux que vous soyez dans le métier, n’est-ce pas que le cœur vous bat fort dans la poitrine ? À peine osez-vous respirer. La main sur la gâchette, découvrant soigneusement le gibier, vous suivez les mouvements des oiseaux qui s’avancent ...

Deux coups de fusil ... cinq ou six canards sont restés sur place ...

Bien découvrir le gibier est une des conditions de réussite à la hutte. En découvrant bien le gibier, on l’atteint sous les ailes, dans les parties où il est moins garni de plumes, tandis que plus haut, l’épaisseur de ses ailes lui forme comme une cuirasse.

Cette chasse passionnante donne par certains hivers des résultats magnifiques et est bien faite pour séduire, vu qu’il est certaines espèces de canards très méfiants qui ne se tuent que grâce à cette stratégie.

Une nuit passée à la hutte ne manque, de plus, ni de charme ni même de poésie. Quand la lune, dans son plein, prêtant à tout ce qui nous entoure des ombres fantastiques, produit par son miroitement sur l’eau les mêmes effets que la lumière sur le diamant, c’est certainement un beau spectacle, qui à lui seul vaut bien la peine qu’on change son lit pour une couche un peu plus dure.

R. VILLATTE DES PRUGNES.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 69