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La chasse au loup au XVIIe siècle

D’après un ouvrage écrit en vieux français, de Jean de Camorgan, paru au début du XVIIe siècle, j’ai pu réunir les connaissances que l’on avait du loup à cette époque, les préjugés qui s’y rapportaient, ainsi que la manière de dresser les chiens pour ce genre de chasse et la chasse proprement dite de cet animal.

Du loup et de sa nature.

— Les habitants d’Asie, d’Afrique et d’Europe, connaissent combien le loup est bête cruelle et mauvaise, pour les grands torts et dommages qu’ils en reçoivent, tant pour eux que pour leurs enfants et même pour leur bétail. Les habitants de l’Amérique (Brésil, Antilles, Floride, Canada, Ochelada, Terre-Neuve), la Suède, la Norvège, ainsi que d’autres pays orientaux et occidentaux en sont tourmentés de même façon.

Malgré que peu de gens ne connaissent pas les loups, je n’ai pas voulu omettre la description de la forme, des mœurs, de la nature et différence des loups. Le loup est donc une bête ayant le poil gris mêlé de noir, blanchâtre sous le ventre, la tête grosse, armée de dents longues, d’oreilles courtes et droites, dont est sorti le proverbe : « Je tiens le loup par les oreilles » quand celui qui parle est en doute de ce qu’il doit faire. Pline, auteur singulier et fort renommé, au livre VII, chapitre XXII, de son Histoire naturelle, dit que la vue du loup est fort mauvaise.

Les loups d’Afrique sont petits, mais ceux des régions froides sont grands, âpres, cruels. La cruauté et la malice des loups se manifestent surtout en janvier, quand ils vont après la louve. Durant les grands froids, ils s’assemblent, ce qui les rend hardis, et mettent les habitants des régions froides en telle peine que ceux-ci n’osent sortir sans un bon bâton ou armés de bonnes arbalètes ou arquebuses.

Il y a encore une autre sorte de loup appelés loups-cerviers, comme dit Pline, dont les princes et seigneurs portent les fourrures. Si ces loups ont pris une bête, ils lèvent la tête pour regarder ailleurs, ils oublient leur proie et la laissent là pour en chercher d’autres, Le même auteur, au chapitre XXIV dudit livre, écrit d’une autre sorte de loups nommés thoès, qui sont plus longs de corps, ayant les cuisses et jambes plus courtes que les autres loups, qu’ils sont fort velus en hiver comme en été et sont de poil roux.

La louve se comporte comme la chienne avec ses petits. Les louveteaux naissent au début de l’été, aux environs du mois de mai ; à ce moment, les louves sont très cruelles.

Comme la panthère, le loup est une bête farouche, fine pour tromper, très difficile à apprivoiser.

Les loups se nourrissent de chair. Certains prétendent qu’ils mangent de la terre, mais mon opinion est que, lorsqu’ils sont repus, ils enfouissent le surplus de leur repas pour leur servir s’ils ne trouvaient pas de nouvelles proies. Un jour, en passant par la forêt de Saint-Germain, j’aperçus un pied de cerf hors du sable, que je fis tirer et eus une épaule entière qui avait été mise en terre la nuit précédente.

Lorsque les loups sont malades, ils prennent de l’herbe comme les chiens.

La coutume des loups est d’assaillir les hommes paresseux et pusillanimes allant seuls plutôt que les veneurs.

Aristote, prince des philosophes, au livre IX de l’Histoire des bêtes, chapitre XXXVI, ainsi que Pline, au livre X, chapitre VIII de son Histoire naturelle, récitent que, près des îles de Méotide, les loups sont familiers avec les pêcheurs qui les ont accoutumés à leur donner une part de leur pêche.

Ledit Aristote, au livre IX, chapitre 1er, « Des Bêtes qui ont une intimité perpétuelle ensemble », dit que le loup est ennemi de l’âne, du taureau et du renard.

Il écrit aussi que les bêtes qui ont le pied fendu en doigts ou orteils en ont cinq aux pieds de devant et quatre aux pieds de derrière, comme les lions, les loups, les chiens et les panthères, et que toutes les bêtes ont le cou flexible, sauf le loup et le lion qui l’ont d’un seul os, et c’est la raison pour laquelle ils ne peuvent le ployer, ce qui n’est pas vraisemblable, car, ayant tué plusieurs loups, j’ai trouvé le cou tout de vertèbres comme celui d’une autre bête. Il est vrai qu’ils ont le cou fort gros, massif, nerveux et charnu ; aussi est-ce une bête qui a une grande force dans le cou : s’il prend un mouton par le milieu du corps, il porte à la gueule comme un lévrier ferait d’un lapin. S’il trouve un cheval mort dans le creux d’un fossé, il le tirera pour le manger.

Davantage, Aristote, au livre VI, chapitre XXXV de son livre, dit qu’il y a des loups canins, approchant de la nature du chien, qui font leurs petits comme les autres loups, mais qu’ils ne voient pas longtemps après qu’ils sont nés, et n’en font pas plus de quatre.

Les louves font ordinairement leurs petits en de forts taillis, halliers couverts et buissons épais, ou bien en quelques collines ou coteaux pleins d’arbres, face au midi, pour avoir la chaleur du soleil. Elles les font souvent près de quelque grande tanière de blaireau pour les mettre dedans si on leur cherche tort et ennui. Si, d’aventure, la louve se sent pressée de gens ou de chiens, elle prend l’un de ses louveteaux dans sa gueule et l’emporte.

Si ses petits ne lui sont pas enlevés, elle les allaite jusqu’à ce qu’ils puissent manger. Le loup ou la louve sont toujours près de leurs petits. Si le loup ou la louve ont pris quelque bête, ils en apportent pour les nourrir.

Lorsqu’ils sont plus grands, leurs père et mère leur apportent quelque agneau ou un petit chien pour le leur faire tuer et apprendre le métier ; jamais ils ne mangent la tête ni la peau.

Aux environs du mois d’août et de septembre, le loup et la louve commencent à les mener aux champs, hors du buisson où ils auront été élevés ; là, ils attendent que leurs parents leurs apportent quelques proies vives ou mortes, sans trop s’éloigner de leur buisson. Après une pluie dans la nuit, on peut les voir sur les terres labourées. Aux environs d’octobre et novembre, les jeunes étant chassés, ils sortent seuls et, avec des lévriers, on peut les prendre facilement. Jusqu’au mois de janvier, les louves sont chaudes et les vieux loups mordent les jeunes pour les faire quitter leur compagnie. Ils ne souffrent aucune autres bêtes dans leurs quartiers et pays comme le font plusieurs autres animaux, cerfs, sangliers, chats et vieux lièvres, et même certains oiseaux, tels que perdrix, hérons et corneilles.

J’ai vu bien souvent, après avoir pris six ou sept loups près de ma maison et dans mes bois et estimé qu’ils n’en restait plus, en retrouver d’autres un mois après. Ce sont des bêtes de passage qui viennent de loin, comme des forêts d’Ardennes et autres grandes forêts, car l’on tient pour certain qu’il sort desdites forêts une année des cerfs, l’autre année des sangliers et l’autre des loups. Ce qui attire aussi quantité de loups dans un pays, ce sont les guerres, car les loups suivent les camps pour le carnage qu’ils trouvent.

La morsure du loup reçue au corps d’une bête ne peut se guérir qu’à grand peine, en raison d’un venin malin et pernicieux qui s’y trouve caché. C’est pour cette raison que la plupart des bêtes en meurent malgré tous les soins. J’ai eu plusieurs de mes lévriers blessés par des loups qui en sont morts, quelque remède que j’aie pu leur faire.

Quant à l’astuce et à la finesse des loups, ils ont coutume de hurler le soir pour se réunir tous ensemble ; cela fait, ils vont assaillir quelque harras de chevaux ; s’il y a des moutons ou brebis en quelque étable, ils font une ouverture par derrière ; s’ils entrent dedans, ils en tuent trente ou quarante et ne prennent que le sang. Ils sont aussi très rusés pour prendre les chiens.

En forêt, ils courent les cerfs et les faons comme le feraient des chiens courants, chose assez connue de chacun.

Berchotius au Réductoire moral, titre : « Des Animaux », dit que le loup est dit : lupus, quasi leonis pes, c’est-à-dire qu’il a presque les pieds du lion, parce que, comme le lion, il a force et vertu dans ces pieds et, qu’il jette sa patte sur une bête quelconque, c’est fait de sa vie.

Aristote, dans son livre Des Animaux, fait mention qu’aux Indes il y a une espèce de loups qui ont trois ordres de dents dans la gueule, la face comme un homme, les pieds comme un lion, la queue comme un scorpion, qui tuent les hommes et les mangent. Isidore écrit aussi suivant les dires des rustiques et des laboureurs que, si le loup voit l’homme avant que celui-ci le voit, il lui ôte la voix parce que de son haleine il infecte l’air. Virgile en parle dans ses Bucoliques : Lupi Mœrin videre priores, d’où est sorti le proverbe : Lupus est in tabula, c’est-à-dire que, lorsque l’on parle de quelqu’un et qu’à l’instant il arrive, celui qui parlait se tait comme si le survenant lui ôtait la voix et la parole. De plus, si le loup est vu le premier, il perd beaucoup de sa férocité. Le même auteur raconte que le loup aime se plaisanter, et, pour cette raison, s’il dérobe un enfant, il joue avec un long espace de temps, mais à la fin il le tue.

Aristote dit également que toutes les bêtes qui se nourrissent de chair crue, tel le loup, sont beaucoup plus cruelles quand elles ont des petits. Les loups ont aussi coutume de mâcher de l’origan afin de s’aiguiser les dents. La nature du loup, ainsi que l’écrit ledit Aristote, est totalement contraire à celle des brebis. Si une corde faite de boyaux de loup est mise sur un violon avec des cordes faites avec des boyaux de brebis, ou de mouton, ces dernières seront petit à petit détruites par les cordes faites de boyaux de loup.

Homère, prince des poètes grecs, parlant du loup, dit qu’il est merveilleusement vigilant et qu’il ne craint rien de plus que le feu. Quand on jette des pierres contre lui, il a cette astuce de regarder et d’observer d’un œil furieux qui le premier aura jeté la pierre de façon que, si cette pierre l’a offensé, il tue celui qui l’a jetée, mais, si elle ne l’a pas touché, étant quelque peu courroucé, il le blesse un peu, puis le laisse aller.

Les loups en vieillesse sont pires pour les hommes et, plus ils sont vieux, plus ils sont dangereux, car, ne pouvant chasser les autres bêtes en raison de leurs forces en défaut, ils dressent embûches aux hommes et les mangent.

Le même auteur dit que, quand les loups sont fort vieux, leurs dents et leurs ongles se raccourcissent tellement qu’en cet état les loups vivent peu de temps.

Solinus dit que la vieillesse des loups se reconnaît par les dents, parce qu’en vieillissant elles sont plus serrées et que, parmi les loups, ceux qui ont le poil plus droit sont plus courageux, plus audacieux et plus fiers. Les yeux d’un loup éclairent et rendent une lumière, la nuit, comme une chandelle. C’est pourquoi les chiens n’osent pas les chasser la nuit venue. La tête du loup, pendue au-dessus des portes des maisons, retire tous charmes et empoisonnements. Au surplus, cette bête est de telle vertu que, si un cheval marche sur le pas d’un loup, il devient pesant et paressant.

(À suivre.)

Jean de CLARMORGAN,
P. C. C., R. GENDRY.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 71