Officiellement, la pêche de la truite est ouverte, dans
beaucoup de départements, depuis le 1er février. Ce n’est
certes pas une date bien choisie, pour plusieurs raisons : d’abord la plupart
des truites n’ont pas encore frayé si les eaux ont été très froides et hautes,
au cours de l’hiver ; celles qui ont déposé leurs œufs sont dans un tel
état de maigreur qu’elles n’offrent, au point de vue purement sportif, qu’une
bien minime satisfaction.
Elles ont perdu une grande partie de leur vigueur et ne sont
plus les poissons combattifs qu’elles étaient, il y a quelques mois.
De toute façon, les réflexes qui les font bondir sur les
appâts sont lents, imprécis et le pêcheur devra en tenir compte dans la
présentation de ses leurres.
En France, le mois de février est souvent le plus mauvais de
tous ; l’eau est très froide, souvent polluée par la fonte des neiges.
Aussi, n’est-ce qu’exceptionnellement que nous aurons affaire à de vigoureux
poissons en possession de tous leurs moyens.
De plus, une promenade sur les rives glacées n’a rien
d’enchanteur pour celui qui n’a pas réellement le feu sacré. Par contre, le
vrai pêcheur y trouvera son compte ; il ne sera pas gêné par de nombreux
confrères et ceux qu’il rencontrera seront réellement des « purs », pêchant
pour l’amour de l’art et non pour la galerie ou par désœuvrement.
J’ai des amis, bons amateurs de pêche, mais qui attendent le
beau temps pour commencer. « Il fait trop froid, l’eau est trop haute, on
prendrait du mal, le poisson est caché », disent-ils ; en un mot, tout
un tas de bonnes raisons pour rester au chaud, les pieds dans leurs pantoufles.
Ils se priveront, pendant quelques semaines, d’un sport hygiénique et ...
de quelques belles truites.
Dans les revues françaises et étrangères auxquelles je
collaborais avant la dernière guerre, j’avais émis les opinions personnelles
que j’énonçais précédemment, et plusieurs correspondants m’ont certifié que les
truites de leurs régions étaient toutes bien en point. Je suppose qu’il
s’agissait de truites vivant dans des cours d’eau alimentés exclusivement par
des sources et non par la neige des sommets, et cela dans des régions
favorisées par une température clémente.
Allons, avec ces heureux confrères, nous préparer à de
fructueuses opérations.
Posons d’abord comme principe absolu qu’il vaut mieux rester
chez soi que d’aborder une rivière polluée par l’eau de neige, sauf dans les
eaux de glaciers où cet état est habituel. Là, la truite est acclimatée, et par
atavisme mange très bien à toute époque, sans que l’on puisse remarquer une
notable diminution de son appétit, dus à l’état de l’eau.
Ne pas confondre cependant : fonte des neiges et temps
de neiges. J’ai réussi de belles captures en février, alors qu’il neigeait,
dans des rivières de plaine ; mais j’ai rarement réussi de beaux paniers
quand l’eau provenait de la fonte.
Où allons-nous pêcher ? Quels appâts
emploierons-nous ? C’est la rivière qui va nous indiquer tout cela.
Est-elle haute et trouble ? Le seul appât efficace, et
d’ailleurs le seul possible, est le ver de terre. Point n’est besoin de faire
un choix parmi nos annélides ; ils seront tous bons, à ce moment, pourvu
qu’ils soient bien vifs, fermes, tenant convenablement à l’hameçon. Mais où les
prendre ? La terre est glacée, et ils sont enfoncés très profondément.
Voilà où nous reconnaîtrons les pêcheurs prévoyants :
pendant l’été, ils en ont récolté une ample provision qu’ils ont soigneusement
conservée dans la cave : un vieux baquet, une caisse pleine de couches
alternées de terre de taupinière, de débris de sacs, de mousse ont constitué
une réserve de premier ordre.
De temps en temps, ils ont visité leurs locataires et enlevé
ceux qui ont péri et, à l’ouverture, ils ont puisé dans la réserve.
Le matériel pour pêcher la truite au ver est très
rudimentaire, ce qui explique la vogue de cette méthode ; de plus, comme
elle est aisée à pratiquer, il n’y a rien de surprenant à ce que, en montagne,
sur dix pêcheurs, sept ou huit pêchent au ver.
Il est recommandable de rechercher les rivières petites et
moyennes, la prospection des grands cours d’eau exigeant une certaine
habileté ; nous en reparlerons plus tard.
M’adressant surtout aux débutants, il me paraît utile de
leur décrire succinctement le matériel indispensable.
Canne légère et rigide de 3 à 4 mètres, en roseau ou en
bambou noir bien redressé, moulinet quelconque, assez grand, garni de soie fine
imperméabilisée ; cet emploi du moulinet se justifie par la facilité
d’allonger ou de raccourcir la ligne, plutôt que pour la lutte avec un gros
poisson ; un bas de ligne en racine ou en gut dont la grosseur sera
fonction de l’état de l’eau. Il est cependant recommandé de ne pas utiliser,
même en eau très trouble, ces racines ou guts puissants dont la force
permettrait d’extraire un caïman de sa lagune.
Pour fixer approximativement le numérotage, je dirai :
1 X à 3 X pour les racines, 13 à 18 centièmes pour les guts.
J’ai vu des pêcheurs en eau trouble (sans astuce), opérer
avec des guts de 35 centièmes ; ils cassent rarement, c’est certain,
mais j’estime qu’il est ridicule et inutile de se monter si fort ; on perd
tout le charme de la lutte avec le gros poisson.
Comme armement, un hameçon no 4 à 8 ligaturé
sur la racine en ayant soin de prendre dans la ligature une extrémité d’un bout
de crin rigide (poil de brosses, par exemple), en laissant libre l’autre
extrémité sur 2 ou 3 millimètres, ce qui empêchera le ver de glisser.
C’est plus difficile à expliquer qu’à réaliser. Pas de flotteur.
Enfin, comme lest, un grain de plomb no 5 ou
6, placé juste au-dessus de l’hameçon et contre lui, sur la racine.
En eau trouble, nous sommes assurés du succès. Marchant sans
bruit, ce qui est très important, nous poserons le ver devant nous, près du
bord, et le laisserons filer au courant, dont nous suivrons la direction,
maintenant le ver le plus près possible du fond.
À chaque arrêt de la soie, nous soulèverons la canne ;
si c’est une truite qui a arrêté le ver, vous sentirez de brusques secousses,
vous ferrerez légèrement ; si c’est une souche, vous ramènerez votre ligne
en arrière, ce qui suffira la plupart du temps pour vous décrocher.
Explorez bien les bords, les obstacles, en descendant le
courant ; j’ai connu un nomade qui ne pêchait jamais à plus d’un mètre du
bord et dont le panier était souvent plein. Tout en n’étant pas aussi rigide sur
ce point, je vous dirai que vous prendrez au ver plus de truites près des rives
qu’en plein courant.
Comment sent-on la touche ? C’est toujours la même
manifestation : deux légères secousses, puis plus rien ; attendez
quelques secondes, comptez jusqu’à cinq lentement et ferrez : votre
poisson a eu le temps d’avaler le ver, il est sûrement pris.
En eau claire, pêchez en remontant le courant ; posez
votre ver bien en amont, sans bruit, laissez-le descendre jusqu’à votre hauteur
et recommencez ; le ferrage arrivant en sens inverse de la position du
poisson sera plus efficace.
Vous lancerez aussi plus au large, si vous y voyez des
obstacles, et, si faire se peut, vous explorerez le bord opposé, quand la
largeur du cours d’eau le permettra.
Un bon conseil : tenez-vous toujours le plus loin
possible du bord, la truite vous verra moins et vous entendra moins aussi.
D’autres appâts sont efficaces en février ; ce sont eux
que j’emploie exclusivement, ayant délaissé le ver depuis fort longtemps ;
je nommerai par ordre le vairon mort (ou son sosie), le vairon vivant, la
petite cuiller, le devon, le poisson nageur.
J’ai déjà parlé de l’emploi de ces leurres les mois
précédents au sujet de la perche et du brochet, mais je dirai tout de même
quelques mots sur chacun d’eux.
Le vairon mort, ou son sosie en caoutchouc, gagnera à être
tout petit, et pourra s’employer soit fixé sur une monture, soit courbé. Dans
le premier cas, il tournera ; dans le second, il ondulera.
Le coup de gueule de la truite étant extrêmement rapide, il
est recommandable de fixer les hameçons sur le corps du poisson appât, très
légèrement, afin qu’ils se détachent du corps à la moindre traction ; la
prise est alors plus sûre ; veillez également à l’extrême souplesse de la
racine ou du gut qui tient l’hameçon, la truite se démenant terriblement sous
la piqûre.
Enfin, n’exagérez pas la petitesse de vos hameçons
triples ; ils ne pénètrent pas aussi facilement que les moyens ; un
hameçon simple s’utilise aussi pour les poissons ondulant au lieu de tourner.
On m’a posé assez souvent la question suivante :
« Quel est le leurre à préférer, le devon ou la cuiller ? »
Cette question peut se résoudre ainsi en ce qui concerne le
mois de février : prenez l’engin que vous pourrez faire tourner en le
manœuvrant le plus lentement possible.
J’ai déjà dit que le poisson d’hiver était lent, qu’il se
déplaçait avec gêne, je vous recommande de ne pas l’oublier.
Il est des cuillers qui demandent une vitesse très réduite
pour tourner, ce sont celles dites « trifaces » (à trois faces).
Aussi, bien qu’il soit recommandé de pêcher d’amont en aval, il est des cas ou
cette façon d’opérer s’avérera trop rapide et nous devrons opérer
contrairement. Dans ce cas, faites presque du « sur place », le
courant suffisant à actionner la palette, sans qu’il soit besoin de la faire
avancer.
Le devon est à manœuvrer de la même façon, mais gare au
vrillage !
Ceci, pour la pêche à devonner où l’on pose l’engin à l’aide
d’une longue canne, sans le lancer. Nous ne ferons pas de différence entre les
deux leurres, mais, dès qu’il s’agira de projeter au loin notre appât, je vous
dirai : « Adoptez la cuiller plombée en tête. »
Pourquoi cette préférence ? Question d’efficacité mise
à part puisque les deux se valent, c’est la question finance qui nous guidera.
On n’osera pas lancer (un peu au hasard pour les débutants) un devon assez cher
dans les endroits encombrés, refuges des grosses pièces ; on aura peur de
le perdre et on laissera les plus beaux coins sans les explorer.
Au contraire, avec une cuiller bon marché, que l’on peut imiter
soi-même facilement, au besoin, on fouillera les obstacles sans hésitation, et,
pour quelques sous perdus, on sortira de l’eau quelques mémères de plusieurs
livres.
Soyez bien certains qu’un pêcheur qui économise ses leurres,
qui hésite à fouiller les buissons d’en face, qui hésite à envoyer son appât
sous la voûte feuillue, qui ne prospecte que l’eau libre, ne réussira presque
jamais une pêche honorable.
Les poissons nageurs sont très bons en hiver ; avec
eux, on peut faire du sur place, sans vrillage ; choisissez-les également
tout petits.
En février, la pêche est tout à fait décevante comme
résultat : certain jour sera excellent, le lendemain déplorable ;
mais elle a un avantage certain : elle permet de compter les truites de la
rivière. Ne donnez pas à ce verbe un sens trop rigide, mais considérez-le comme
exact.
En effet, toutes ou presque toutes les truites de la
rivière, de la petite rivière s’entend, se dérangeront au passage de votre
leurre ; elles viendront voir, se renseigner, comme les gosses du village
au passage d’une attraction nouvelle.
Si elles sont en appétit, en colère, elles manifestent leur
état par un coup de dents qui leur sera funeste, sinon, elles quitteront leur
cachette ou le fond, pour suivre le leurre, et il ne sera pas rare d’en voir
plusieurs à la fois. Soudain, toutes s’éclipsent, un large reflet jaune
apparaît, puis s’éteint : une des solitaires de la rivière a daigné se
soulever pour se renseigner.
Patience ! demain, un autre jour, elle sera encore
là ; vous aborderez l’endroit prudemment, et, si le monstre est en bonne
disposition, vous aurez une belle bagarre en perspective. Une des plus grosses
truites que j’aie accrochées et prises avait été repérée des semaines
auparavant, un jour de grand froid !
Ne serait-ce que pour lire votre rivière et la bien
connaître, essayez de pêcher la truite en février.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing Club de France.
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