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De Castelnaudary au bassin de Lampy

À huit heures du matin, nous traversons Castelnaudary encore un peu endormie ; le Grand Bassin, port de la ville (sur le canal du Midi) est entouré de brume.

Notre but immédiat est le village de Saint-Papoul, au pied de la Montagne-Noire. Nous « roulons » entre des champs de maïs — aux crêtes parfois coupées — dont les « barbes » vont du blond au roux foncé, des champs de blé dont il ne reste que le chaume, enfin des vignes. À huit kilomètres voici le village, nous cherchons l’Abbaye ... Au fond d’un porche, derrière des colonnettes, des fleurs mettent une note vive : c’est le cloître, un vieux cloître qui, hélas ! tombe lentement en ruine, paré de minces colonnes de briques rouges aux chapiteaux gothiques (XIIIe siècle ou XIVe siècle). Au milieu de plantes enchevêtrées et de fleurs, voici le classique vieux puits des cloîtres. Nous entrons dans l’église, dont le chœur roman est du XIIe siècle ; tout cela est calme, un peu mélancolique ...

Nous traversons maintenant Saint-Papoul, où ça et là un vieux figuier tord ses branches, quand, soudain, quelle n’est pas notre surprise, à la sortie du village : un moulin ! Mais un moulin qui tourne, il n’a que deux ailes, mais il tourne, c’est presque un miracle ! Dans la région, les vieux moulins abondent, mais ils servent de greniers, parfois même d’habitation, et ils ont perdu leurs ailes. Nous rendons visite au meunier qui regarde glisser la farine moulue. Disant adieu au moulin, nous reprenons nos bicyclettes pour atteindre notre nouveau but : Saint-Martin-le-Vieil, à 10 kilomètres environ. Le paysage ne change guère, dans les lointains, parfois, une teinte vive : un champ de trèfle incarnat. Bientôt, nous longeons une rivière aux eaux jaunâtres qui arrose des jardins potagers, c’est le Lampy. Au-dessus de la vallée s’étage Saint-Martin-le-Vieil, village un peu italien avec ses deux vieilles tours orangées et ses maisons superposées. Déjà le soleil surchauffe les ruelles rocailleuses et abruptes ; là un essaim d’abeilles s’est installé sur un vieux mur ...

Après une petite halte près du Lampy, dont l’ancien lit est rempli de coquillages encastrés dans le roc, nous reprenons notre route, retournant un moment sur nos pas, nous bifurquons sur la route de Saissac ; c’est alors que commence la montée ; nous allons gagner la vraie Montagne-Noire. Lentement nous montons, la végétation change, devient de plus en plus sèche ; enfin, après une succession de collines, nous entrevoyons Saissac, sur la pente raide de la montagne ... Encore un effort et nous voici à l’entrée du village.

Quelle merveille ! Au fond de la vallée perpendiculaire au village, on devine la Vernassonne, que cachent des arbustes. À gauche, s’avance sur une sorte de promontoire un grand château féodal en ruines ; entre le village et le château, c’est l’église et son arbre immense.

Dans le village, nous découvrons à chaque pas quelque trésor, une fenêtre qui fait songer à l’« ajimez » (fenêtre de style arabe avec deux arcs à une colonne fréquente en Espagne), de vieux remparts, des tours et, partout, des sources, des cascades.

Errant dans les rues étroites, nous découvrons la spécialité du village, le fromage « moun païs » et nous en acquérons un morceau respectable peur notre déjeuner ; nous nous installons sous une épaisse tonnelle de vigne ...

Deux heures ! nous quittons Saissac, il faut encore et toujours monter ... Maintenant ce ne sont plus que des champs de blé noir, des bosquets de châtaigniers, des étendues incultes où domine la fougère ; on pense alors aux paysages de Bretagne, voici même un menhir.

Guidés par des écriteaux, au bout de cinq kilomètres nous voici près du but final ...

À six cents mètres d’altitude environ, le bassin apparaît, bleu foncé, entre les rives boisées ! c’est le Lampy qui s’étale en un vaste lac, retenu au sud par une digue large de 120 mètres à la base et haute de plus de 13 mètres ; il déverse là presque toutes ses eaux, car il ne sort du bassin qu’un ruisseau, plutôt un petit torrent. Calme et immense, il y a 773 mètres de long, 584 mètres de large et 15 mètres de profondeur, le bassin de Lampy est le principal réservoir du canal du Midi, si l’on excepte le bassin de Saint-Ferréol.

Nous nous baignons, flânons au soleil ; nous suivons le bord du bassin, sous les arbres ...

Ce soir, il fera bon redescendre vers la vallée, rien n’existera plus que le plaisir de se laisser emporter au vent le long de la route sinueuse.

Yvonne DORE.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 87