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La respiration pendant l’effort

Dans une récente causerie, nous avons résumé dans ces colonnes les principes essentiels de l’acte respiratoire en tant qu’élément de l’éducation physique normale, c’est-à-dire au cours d’un exercice de faible intensité. Dans ces conditions, il est vrai de dire, selon l’expression classique, qu’on aspire l’air par le nez et qu’on le rejette par la bouche à peine entr’ouverte.

Mais, lorsque le rythme des mouvements devient rapide et prolongé, et à plus forte raison en course, lorsque le débit respiratoire devient intense, il est bien évident qu’il faut ouvrir la bouche, et que l’on respire alors « comme on peut », sans avoir la possibilité de s’en tenir aux principes classiques. La bouche plus ou moins ouverte doit alors jouer le rôle que le nez ne suffit plus à assurer seul, même s’il est d’une perméabilité normale, ce qui est d’ailleurs plus rare qu’on ne le croit, même chez de grands champions, même chez des sujets qui ont été traités correctement.

Une amplitude suffisante des mouvements des bras facilitera grandement le jeu du thorax et du cou. On court avec ses bras presque autant qu’avec ses jambes, et il suffit d’observer à quel point « l’enlèvement » du tronc à chaque foulée par un bon jeu des bras facilite la progression des bons coureurs, pour comprendre à quel point était ridicule le désuet « pas de gymnastique » de notre enfance, où on obligeait les scolaires et les soldats à courir les coudes collés au corps. Tous les muscles des bras, du cou, des épaules et du tronc, doivent être, en course, décontractés autant que possible, pour que les foulées progressent en souplesse, pour que l’ensemble ne donne pas cette impression d’être « désuni », comme on le constate si souvent chez des coureurs médiocres. Regardez courir un pur sang, un ours ou un chat : vous avez une impression de souplesse, parfois même d’ondulation, qui est aussi le propre des coureurs de grande classe. Lorsque Valmy courra décontracté, il est probable qu’il améliorera encore ses records déjà remarquables. C’est la condition nécessaire à obtenir la liberté de respiration, sans laquelle toute performance devient impossible.

Car, dans l’effort violent, il arrive rapidement un moment où l’on ne peut plus rythmer exactement la respiration sur les mouvements ou sur la foulée, comme nous avons recommandé de le faire dans les exercices préparatoires ou éducatifs. Il faut cependant, même à partir de ce moment, s’efforcer de conserver le contrôle de sa respiration par rapport aux gestes, par rapport au jeu des jambes, pour prendre le cas le plus typique, celui de la course à pied. Comme le rythme de la respiration est, par définition, le plus lent, il faut s’efforcer de le décomposer en temps égaux. Et cette décomposition doit devenir, au cours de l’entraînement, tellement naturelle lorsqu’on s’y sera sérieusement habitué, qu’on n’aura plus à y songer et qu’elle deviendra automatique et quasi inconsciente le jour de la compétition, sans en éprouver aucune contrainte.

On arrive facilement à cette décomposition. C’est ainsi que, dans la course de 100 mètres, par exemple, qui dure onze ou douze secondes, beaucoup de coureurs décomposent leur respiration en deux ou trois temps. En respiration rythmique, un certain nombre de gestes repérés à l’avance peuvent être placés sur l’inspiration ou sur l’expiration. Dans des styles de natation tels que le crawl, on voit les champions sortir la bouche de l’eau pour respirer toutes les trois ou quatre brasses. Enfin, dans les courses à pied de demi-fond ou de fond, nombre de coureurs parviennent assez facilement à maintenir jusqu’au sprint final un contrôle assez précis, tel que, par exemple, trois ou quatre foulées en inspiration, cinq ou six en expiration. Ce rythme varie évidemment pour chaque coureur, puisque la longueur de leur foulée est différente et plus ou moins « coulée », tout comme, des cyclistes emploient des développements plus ou moins grands selon leur taille, leur puissance et leur technique, ou encore selon le profil du parcours en montées, en descentes, en virages ou autres accidents de terrains ou de parcours.

Par contre, dans les sauts ou autres exercices de détente, l’idéal est de ne pas respirer du tout, afin de ne pas nuire à l’équilibre. Il faut donc apprendre à bloquer son thorax en inspiration pour conserver la stabilité de l’ensemble au moment de cet effort intense, mais très rapide. De même pour le joueur de foot-ball ou de tennis qui doit être en équilibre et en état de puissance parfaite au moment de frapper sa balle, ou pour le boxeur ou l’escrimeur au moment de frapper son punch.

Puis, dès que l’effort du coureur, l’échange de balles ou de coups du tennisman ou du boxeur sont passés, l’expiration se produit pour réparer les dépenses effectuées et récupérer en vue de l’effort qui va suivre.

On voit par ces quelques exemples que, dans presque tous les sports de compétition, l’athlète très entraîné non seulement parvient à conserver très longtemps son contrôle respiratoire, mais retire de ce contrôle un avantage considérable qui lui permet de résister à la fatigue. Ce n’est guère que dans les dernières phases d’un effort particulièrement intense et plus ou moins prolongé, comme un 400 mètres, un match très dur de foot-ball, de boxe, d’aviron ou de tennis, que se produit ce que Bellin du Coteau appelait le conflit entre les besoins mécaniques et les besoins chimiques de l’organisme, qui se traduit par l’anarchie respiratoire. C’est alors seulement que l’athlète abandonne son contrôle et qu’il respire « comme il peut ». Il n’est d’ailleurs, à ce moment, pas loin de la défaite et, ici encore, en général, à qualités égales d’ailleurs, celui qui a pu conserver ce contrôle quelques secondes plus longtemps que son adversaire fournira le vainqueur.

Enfin, après ce stade final, il est nécessaire de reprendre immédiatement son contrôle respiratoire pour obtenir dans les meilleures conditions possibles le « retour au calme », sur l’importance duquel nous avons déjà suffisamment insisté dans des études antérieures et sur laquelle tous les entraîneurs et tous les médecins sportifs sont d’accord. C’est pour cette raison que vous voyez les coureurs, dès le fil d’arrivée franchi, faire encore quelques foulées d’intensité décroissante au lieu de s’arrêter « pile », excellent moyen pour reprendre à la fois le contrôle et le rythme de leur respiration, de leur souplesse et de leur élasticité musculaire.

Toutes ces considérations montrent que le vrai champion court non seulement sur ses jambes, mais avec la tête et avec sa respiration, et que celle-ci, dans toutes les formes de l’effort sportif, joue un rôle considérable, et qu’il faut éduquer avec un soin tout particulier au cours de l’éducation sportive et de l’entraînement.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 89