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Navigation d’amateur

Un bateau mixte de 15 mètres de long.

Nous nous sommes généralement limité, dans ces causeries, aux petites embarcations et aux yachts moyens ne dépassant pas 10 ou 11 mètres. Voici un bateau plus important, puisqu’il mesure 15 mètres de long et déplace 15 tonnes. Ce serait une erreur de croire que ce genre de yacht ne s’adresse qu’à une clientèle riche. Renonçons au préjugé qui range le yacht parmi les accessoires de luxe. Faisons naturellement abstraction des circonstances présentes, et considérons que de nombreux Français moyens placent leurs économies dans une maison de banlieue ou de campagne, retraite pour les vacances ou les vieux jours.

Il n’en coûterait pas davantage pour remplacer la maison-retraite par un bateau confortable, à bord duquel la vie matérielle serait plus économique. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail d’un budget. Nous ne pourrions d’ailleurs que tabler sur les prix anciens ou présumer imprudemment de ceux de demain. Notons simplement que le déplacement possible de la maison flottante vers la ville, la campagne ou la mer — là où les voies d’eau l’autorisent — permet la suppression de l’automobile, et que le bateau de plaisance ne paie pas les lourdes charges qui grèvent l’immeuble.

Le yacht dont nous publions ci-contre une vue perspective est un bateau familial destiné à trois ou cinq personnes, vivant complètement à bord dans des conditions de confort que pourraient lui envier bien des logements urbains. La propulsion est assurée par un moteur et par une voilure moyenne. Les mâts courts sont rabattables pour utiliser les voies intérieures. Ce bateau, de faible tirant d’eau, peut échouer sans béquilles, avantage appréciable dans les mers à marée. Le gréement choisi est celui du ketch avec un foc-trinquette bômé. Ce gréement convenait parfaitement pour ce tonnage. Il donne le centre vélique le plus bas et permet, par une division de voilure judicieuse, de multiples combinaisons et une manœuvre aisée des voiles dont la surface est ainsi réduite. Si le gréement de côtre est aérodynamiquement supérieur, un déplacement de 15 tonnes nécessiterait une grand voile et un mât de dimensions telles que le coefficient de sécurité en serait sensiblement diminué.

Le moteur prévu fonctionne à l’huile lourde, tout en ayant un allumage par magnéto et bougies. Selon les goûts du propriétaire, on pourrait avoir un Diesel pur ou un moteur à essence. Quant à la puissance, elle dépendra de la vitesse désirée et des eaux fréquentées. Ici 60 CV pour 10 nœuds.

L’examen des formes montre une coque élégante, de type « Steamer », avec l’avant à tulipe, cher aux Hollandais. Ce yacht sera peut-être un peu lent sous voiles, mais, par faible brise, le moteur peut obvier à cette insuffisance. La construction est simple, l’échantillonnage classique : quille, étrave, étambots, varangues, barrots en chêne, bordé en acajou, pont en teck, serres en pin d’Orégon, accastillage en acajou, espars creux en spruce.

Le problème de la ventilation a été particulièrement étudié pour éviter l’humidité, la pourriture des bois et les émanations du moteur. Celui-ci se trouve placé au centre du yacht, entre deux grands réservoirs à carburant assurant un rayon d’action de 650 kilomètres. Au-dessus se trouve la timonerie, bien éclairée par de larges baies vitrées et d’où la conduite du yacht peut être assurée par mauvais temps dans d’excellentes conditions de confort. De la timonerie centrale, on accède à l’avant et à l’arrière. Vers l’avant, on trouve un vaste salon-salle à manger avec sièges mobiles, banquettes, penderie, secrétaire, placard, etc., puis la cuisine avec évier, réchaud, provisions. Dans le poste avant, deux cadres couchettes rabattables. Vers l’arrière, on accède à un couloir, entre une salle de bain-toilette et une cabine à un lit. Au bout du couloir se trouve une grande cabine à deux lits, avec penderie, armoire, coiffeuse. Dans les extrémités avant et arrière, soutes pour voiles, filins, etc.

Sur le pont prend place un youyou de 3m,40, léger, facile à mettre à l’eau avec un seul arc-boutant de bossoir, pouvant transporter trois personnes et pouvant être utilisé pour la petite pêche côtière d’amateur.

L’éclairage est assuré par des accus chargés par le moteur. Il est évident que, si le yacht devait faire de longues escales, il serait nécessaire de recharger les accus, soit en branchant sur un courant voisin, soit en employant un groupe électrogène. Ayant reçu de fréquentes demandes de renseignements sur le prix approximatif des installations électriques à bord des petits yachts, je vais communiquer, à titre indicatif, un devis établi en 1938 pour l’éclairage d’un yacht mixte de croisière de 10 mètres de long, ayant un moteur Diesel de 10 CV.

Les accus au fer-nickel devaient alimenter six ampoules d’une puissance totale de 200 watts, sous une tension de 6 volts. La batterie proposée se composait de cinq éléments à grande réserve d’électrolyte, d’une capacité de 192 ampères-heure, au prix de 2.350 francs, pour batterie complète, rendue franco. Cette batterie permettait l’éclairage des six ampoules du yacht pendant six heures. Le régime normal de charge était de 27 ampères pendant dix heures, sous une tension comprise entre 6 et 9 volts. La dynamo prévue ici était beaucoup trop faible, car elle exigeait un temps de charge très long. Il aurait fallu une dynamo capable de débiter un courant de 30 ampères au minimum. Les cinq éléments de la batterie étaient groupés en un seul châssis mesurant 545 millimètres sur 165 millimètres, avec 470 millimètres de hauteur et pesant, en ordre de marche, 60 kilogrammes environ. Pour un yacht de cette importance, il semble qu’une batterie de 135 ampères-heure eût été suffisante. Quant au petit groupe électrogène auquel je faisais allusion, il est à recommander pour charger les batteries ou pour assurer un éclairage temporaire. D’un faible encombrement (30 x 30 x 21 cm.), ne pesant que 20 kilogrammes, il donne un courant continu de 150 watts alimentant, par exemple, six lampes de 25 watts et dépensant moins de 2 litres d’essence pour huit heures de marche. Le prix d’un de ces petits groupes oscillait autour de 1.500 francs. Cet appareil est donc indispensable à bord d’un yacht devant faire de longues escales, comme c’est le cas pour ce cruiser familial devant être habité toute l’année.

Voici, pour terminer, les principales caractéristiques du bateau :

Longueur 15 mètres
Largeur 3m,60
Tirant d’eau 1 mètre
Hauteur sous barrots 1m,78
Déplacement 15 tonnes

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 91