La rentrée d’octobre 1941 a fourni aux élèves comme aux
maîtres de nos établissements scolaires une surprise : l’introduction dans
les programmes de trois heures par semaine « d’éducation générale ».
Comme toute mesure nouvelle, elle a été critiquée : les
uns ont déclaré que l’heure n’était pas aux amusements, et qu’il ne resterait
plus de temps pour la formation purement intellectuelle ; les autres ont
haussé les épaules devant ces cinq misérables heures hebdomadaires d’éducation
générale, alors que c’est, selon eux, tous les après-midi que les jeunes
Français devraient consacrer à leur développement physique, moral et pratique.
Le promoteur de cette innovation, M. Carcopino, avait
annoncé, par avance, les critiques dont il serait l’objet. Bien peu de gens ne
lui lanceraient pas la pierre.
Nous sommes en tout cas de ces derniers.
Dans un pays comme notre France, où tant de choses sont à
reprendre, et où, notamment, l’éducation avait été totalement négligée au
profit de l’instruction, il s’agit d’aller lentement en besogne pour construire
solidement. Nous trouvons même que l’expérience de l’éducation générale aurait
pu être limitée, la première année, aux plus jeunes écoliers, aux
« juniors » de sept à douze ans, au lieu de s’adresser, dès l’abord,
à l’ensemble de la jeunesse de nos établissements scolaires.
Mais il fallait, de toute façon, que la réforme fût lancée.
Les parents ne tarderont pas à en discerner, chez leurs
enfants, les heureux effets.
Quel est le programme exact de cette « éducation générale » ?
Aucun autre secrétariat d’État ne pouvant ou ne voulant s’en
charger, c’est le commissariat aux Sports qui l’a élaboré. Malgré d’énormes
difficultés, il a le mérite d’avoir accompli ce travail de pionnier.
Une petite brochure orange, intitulée Éducation générale,
donne les grandes lignes du nouveau programme. Prenons l’exemple d’un lycée de
six cents élèves. Un maître principal, assisté de deux autres maîtres
d’éducation générale, est chargé de prendre en main, par roulement, chaque
après-midi, les élèves de toutes les classes, depuis la sixième jusqu’aux
classes de philosophie et de mathématiques.
Ils les emmènent au grand air pour leur faire pratiquer des jeux,
les initier aux travaux manuels, au secourisme, au campement.
Ils les font chanter et exercent sur eux, à chaque occasion qui se
présente, leur action morale.
À la lecture de ces titres d’activité, on ne peut manquer de
songer au scoutisme.
Et c’est, en effet, une sorte de scoutisme simplifié,
aménagé pour la masse, qui se trouve ainsi prodigué à tous les enfants des
écoles.
Les dirigeants du mouvement éclaireur, qui, il y a quelques
années encore, discutaient sur la formule d’une action « en surface »
ou d’une action « en profondeur », ne se doutaient certes pas, à ce
moment, que leurs méthodes seraient appliquées, tout au moins en partie, d’une
manière généralisée.
Quelques indices permettaient cependant de le supposer. Ce
fut tout d’abord la faveur très officielle dont bénéficia le scoutisme depuis
novembre 1936, date à laquelle Baden-Powell fut reçu en grande solennité à la
Sorbonne. Vous nous montrez le chemin ... dit en substance aux
Éclaireurs le ministre de l’Éducation nationale. Ce fut ensuite l’expérience
des loisirs dirigés et de la demi-journée de plein air, que des
esprits rétrogrades s’empressèrent de faire échouer. Ce fut enfin l’appui donné
dans tous les établissements publics, à l’Association des Éclaireurs de France
par son président, M. Albert Chatelet, qui était en même temps directeur
de l’Enseignement au second degré. Cette coïncidence fut décisive. Elle était
due à M. Georges Bertier, directeur de l’école des Roches, président et
l’un des principaux fondateurs des Éclaireurs de France, qui, comprenant que
l’heure était venue de faire bénéficier du scoutisme un plus grand nombre de
petits Français, remit ses pouvoirs à M. Albert Chatelet.
Encouragés par la sympathie déclarée de l’Instruction
publique, sympathie qui ne fit que croître depuis ce jour, les Éclaireurs de
France s’attaquèrent résolument au problème de l’éducation dans les écoles.
Leurs meilleurs chefs unirent leur compétence pour reviser et augmenter le
célèbre Livre des Jeux de Guillen et Grandjean (le premier, inspecteur
du commissariat aux sports ; le second, proviseur au lycée), où plus de
six cents jeux sont réunis par catégories, et pour publier deux brochures
remarquables, intitulées l’une Loisirs scolaires (décembre 1937) et
l’autre Plein air (février 1939).
Aujourd’hui, ces trois manuels, avec quelques autres, encore
empruntés au scoutisme (les livres de Baden-Powell, Le Métier de chef,
de Grandjean, Le Système des patrouilles, de R. Phillipps, Le
Garçon, la Dizaine, la Patrouille et l’Équipe, de de Bierry,
Garonne, etc.), nous paraissent être les meilleurs guides pour nos nouveaux maîtres
d’éducation générale.
Ils ne se font pas faute d’ailleurs d’y puiser ... Ceci
nous amène à souligner les énormes difficultés que rencontre l’introduction à
l’école des activités d’éducation générale.
La première est le manque de directives, précisément. Le
commissariat aux sports, fort louablement, répétons-le, a lancé la réforme,
mais si vite qu’il n’a pas pris le temps de rédiger des instructions précises,
tout au moins pour l’enseignement du second cycle.
En octobre, les maîtres d’éducation générale se trouvèrent
devant leur immense tâche avec une mince brochure orange. Force leur fut donc
d’improviser, ou d’adapter les manuels scouts aux nouvelles nécessités. Cela
n’alla pas sans tâtonnements et sans erreurs, on le conçoit.
La seconde difficulté tient dans l’insuffisance des cadres.
Trois professeurs pour six cents élèves ! Quels que soient leur autorité
et leur dévouement, ils ne peuvent efficacement faire jouer ou travailler cent
élèves à la fois. Certes, la division des élèves en équipes, de huit à
dix enfants, vient faciliter leur besogne. Il n’en reste pas moins qu’ils
devraient être aidés par de jeunes éducateurs habitués à ces sortes de réunions
et de sorties. Pourquoi le secrétariat de la Jeunesse ne serait-il pas chargé
officiellement de fournir des cadres aux maîtres d’éducation générale ? Il
dispose, dans ses centres ruraux et urbains, d’un grand nombre de chefs entraînés,
sortis des camps de formation et dont certains pourraient être utilement mis à
la tête des écoliers. Ils apporteraient, de plus, aux séances d’éducation
générale, les chants, les bans, bref l’ambiance jeune indispensable, que ne
peut retrouver seul un professeur habitué à faire régner dans sa classe, en
manchettes et pince-nez, une discipline opprimante. Ils combleraient le fossé
qui sépare malheureusement jusqu’ici, sauf de très rares exceptions, le
« potache » du « prof » ...
Un troisième écueil à la réussite de la réforme viendrait de
ce que les programmes habituels ne fussent pas très sensiblement allégés. Si on
continue à bourrer les crânes d’une encyclopédie de connaissances, à chercher à
obtenir des « têtes bien pleines », et si, en plus, on fait pratiquer
aux enfants des jeux et des sports, il en résultera un surmenage que la
sous-alimentation actuelle ne fera qu’aggraver. Le danger est sérieux. Il
faudra que les membres du conseil supérieur de l’Instruction publique
l’aperçoivent et consentent à une réduction notable des matières enseignées
dans les différentes disciplines.
Ajoutez à cela l’incompréhension de certains vieux
professeurs et de beaucoup de familles, l’insuffisance des terrains et des
locaux scolaires : autant d’obstacles sérieux au succès de l’éducation
générale. Mais tous ces obstacles seront surmontés, et l’éducation générale
réussira.
L’exemple personnel des professeurs qui ne comptent ni avec
leur temps, ni avec leurs forces, ni, au besoin, avec les règlements, emportera
l’adhésion des plus sceptiques et des plus réfractaires.
Les élèves, d’abord inquiets, puis amusés, finalement
conquis par ces séances « à la mode scout », comprendront qu’en
développant ainsi leur personnalité et en acquérant l’esprit d’équipe ils
préparent le redressement de notre pays.
D’une collaboration intime des maîtres et des enfants vers
ce but, naîtra un spectacle très réconfortant, pour ceux qui ne veulent pas
désespérer de la France.
Fernand JOUBREL.
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