Un coup de téléphone.
— J’ai été réveillé, la nuit dernière, par une sonnerie
endiablée : dreling, dreling ! qui, après m’avoir fait sursauter dans
mon lit, me mit en communication avec un pince-sans-rire à la voix caverneuse,
comme si elle sortait d’outre-tombe.
« Allô, allô ! Monsieur Mondiage d’Arches !
Permettez-moi de vous interviewer. Je voudrais attirer votre attention sur
l’enseignement de l’aviculture en France, lequel semblé laisser à désirer,
ainsi que les autres enseignements. Il serait utile de mettre au point les
axiomes et les aphorismes populaires, en les expliquant d’une manière simple et
compréhensible pour les débutants. Si vos réponses me paraissent à peu près au
point, je vous promets une place de rédacteur en pied à L’Extrait de Saturne,
une publication nécrologique qui n’est pas piquée des vers, je vous l’assure.
» Et, surtout, ne jouez pas avec les mots, car, si les
axiomes qui appartiennent à la raison sont des vérités premières, les
aphorismes qui découlent de l’expérience sont des formules sanctionnées par la
pratique, exprimées d’une façon concise, faciles à retenir. En voici une :
Les poules pondent par le bec. En voici une autre : Mieux, vaut
prévenir que guérir. Et puis une troisième : Ne mettez pas tous vos
œufs dans le même panier.
» Maintenant que je vous ai mis le pied dans l’étrier,
je me propose de demander à votre confrère, M. Adonis Légume, de bien
vouloir exposer en peu de mots les bonnes directives du jardinage, pour
l’obtention des grosses récoltes légumières, sans en attribuer la paternité à
la lune. »
La poule pond par le bec.
— Les physiologistes qui ont étudié l’anatomie des
ovaires de la poule savent que cette masse charnue et glandulaire ressemble
assez à une grappe de raisin. Bien que chaque femelle possède deux ovaires
en naissant, l’un d’eux, celui de droite, ne tarde pas à se résorber, tandis
que celui de gauche se charge d’ovules ou oocytes, au nombre de
deux cents environ, chez toutes les poules domestiques, sans exception.
Comme les œufs proviennent de ces oocytes qui se sont
développés jusqu’à leur maturité, avant de tomber dans le pavillon d’où ils
chemineront dans le long conduit membraneux, appelé oviducte, en
s’enrobant d’albumine et de test calcaire, on pourrait contester l’existence
des races pondeuses, puisque le détachement des vitellus est une affaire de
nutrition. Mais, pour cela, il faudrait nier l’existence des influences
héréditaires et autres, qui ont été obtenues et fixées par une sélection
continue. Cette hypothèse ne peut pas être admise sans réserve.
Quoi qu’il en soit, chaque fois qu’une poule pond un œuf du
poids moyen de 60 grammes, elle exporte comme matériaux les substances
ci-après, qui ne peuvent provenir que de la nourriture :
Matières azotées |
7gr,25 |
Matières grasses |
5gr,45 |
Matières minérales diverses |
7gr,30 |
Eau de constitution |
40gr,00 |
Total |
——— 60gr,00 |
Il est évident que, si l’on ne fournit pas aux pondeuses une
ration contenant au minimum ces principes, sous une forme assimilable, non
compris la ration d’entretien nécessaire aux fonctions vitales, il en résultera
une déficience alimentaire et, après avoir fait des emprunts à leur économie
animale, la ponte ira sans cesse en diminuant et les oiseaux maigriront.
Par conséquent, puisque c’est la nourriture qui conditionne
le fonctionnement des organes ovigènes, on peut donc dire que la poule pond
par le bec, compte tenu des deux réserves ci-après, qui ont aussi leur
importance :
1° Les volailles ne doivent pas être issues de races
dégénérées, dont les ascendants ont souffert du défaut d’alimentation et de
soins ;
2° La nourriture distribuée devra contenir, en proportion
définie, toutes les substances organiques et minérales qui rentrent dans la
constitution des œufs ; elle devra contenir, en outre, les principes
énergétiques et vitaminés qui agissent sur les fonctions nutritives,
savoir : la digestion, l’absorption et la circulation. Le défaut ou
l’insuffisance d’un seul agent occasionnent de l’improductivité et de la misère
physiologique.
Une poule doit donc être nourrie rationnellement, par le
bec, si on vaut qu’elle ponde abondamment (c. q. f. d.).
Mieux vaut prévenir que guérir.
— C’est un aphorisme qui ne s’applique pas seulement
aux volailles, mais à tous les animaux, en général, et à l’homme en
particulier. Car ce n’est pas lorsque le loup est entré dans la bergerie que
l’on doit prendre des mesures pour empêcher son intrusion.
Par analogie, il ne faut pas attendre qu’une mortalité
désespérante s’abatte sur une basse-cour pour intervenir, car il y a des
maladies contagieuses, telles que la tuberculose, la typhose, la peste
aviaire, la diphtérie, etc., et des affections parasitaires qui
comportent des traitements souvent peu efficaces, lorsqu’elles ont envahi une
basse-cour.
En réalité, la guérison de certaines affections de nature
épidémique reste toujours assez problématique, ce qui ne les empêche pas de
faire de nombreuses victimes, tandis que, si l’on avait pris des mesures de
défense, par exemple en mettant en quarantaine des sujets étrangers, tout en
pratiquant la désinfection et la désinsectisation des locaux et
des bêtes, on aurait pu enrayer le mal à sa source. D’ailleurs, au premier cas
suspect, lorsqu’une volaille a l’air de clocher, soit qu’elle manque d’appétit,
ou qu’elle perde le brillant de son plumage, il est prudent de l’isoler pour la
mettre en observation, afin d’empêcher la maladie de se propager.
Le plus souvent, on a intérêt à sacrifier tous les sujets
suspects, pour les manger, surtout s’ils ont l’air de maigrir, car ce pourrait
bien être la tuberculose ou quelque chose d’approchant. Le bacille de la
tuberculose aviaire étant spécial, il n’y a pas à craindre sa propagation à
l’homme ; et il suffira donc de rejeter le foie, siège de l’affection,
s’il est malade.
Dans le cas où le patient porterait des plaques dans la
bouche, ou qu’il aurait les yeux larmoyants, on pourrait diagnostiquer la
diphtérie ou le coryza. Bien que ces affections soient guérissables, le mieux
serait encore de diriger les bêtes vers la cuisine, avant qu’elles ne
dépérissent, en rejetant simplement la tête. On éviterait ainsi bien des ennuis
et des pertes de temps, comme il arrive lorsqu’on soigne les oiseaux dans une
infirmerie, d’autant plus que les sujets ayant été contaminés par une maladie
contagieuse ne doivent plus être conservés pour la reproduction.
Une bonne précaution à prendre à l’apparition des symptômes
que l’on suppose être de nature contagieuse, c’est d’aciduler immédiatement
l’eau de boisson, en y versant 2 grammes d’acide sulfurique par
litre, afin d’éviter la propagation de l’affection ; en cas de diphtérie,
donner du grain plâtré à toutes les volailles, c’est-à-dire saupoudré de plâtre
cuit, le sulfate de chaux étant le meilleur antidote du bacille diphtérique.
Enfin, on devra nettoyer et désinfecter à fond les locaux habités par les
poules, toujours dans le but d’enrayer le mal à sa source.
Toutes ces prescriptions sont à observer si l’on veut éviter
les pertes démoralisantes qui coupent les bras aux éleveurs en abattant leur
initiative.
Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier.
— Un éleveur expérimenté et fortuné peut risquer la
spécialisation dans une branche avicole qu’il connaît parfaitement, parce qu’il
l’a pratiquée conjointement avec d’autres, et qu’il l’a jugée être d’un
meilleur rapport. Encore ne doit-il s’y engager à fond que s’il est certain
d’avoir des débouchés assurés pour l’ensemble de sa production.
C’est ainsi que, s’il se spécialise dans la production des œufs
à couver, ou dans celle des poussins d’un jour, c’est qu’il aura
leur écoulement à un prix rémunérateur. De même, s’il s’adonne à l’élevage des poussins
de batterie, pour l’approvisionnement du marché, ou encore celui des sujets
reproducteurs, c’est qu’il se sera assuré des débouchés certains, ou qu’il
n’hésitera pas à faire de la publicité pour trouver la clientèle adéquate.
Il en est de même pour tous les élevages spécialisés du côté
d’une seule production, qu’il s’agisse de paons, d’oies, de canards,
de pigeons, de lapins, de perruches, etc. ... Mais le
petit éleveur et tous les débutants de l’aviculture feront bien d’éviter les
élevages uniques, au même titre que la monoculture, afin de ne pas être à la
merci des vicissitudes du marché, des caprices de la mode, des engouements
populaires, etc. ...
En effet, il n’est pas prudent d’orienter un clapier tout
entier du côté de la production du poil ou des fourrures, à cause
de la mévente et de l’action des trusts sur les cours.
Enfin, il est logique de produire conjointement des œufs
et des poulets puisque les uns et les autres sont le résultat des
reproducteurs coqs et poules entretenus dans une basse-cour de ponte.
D’autre part, dans les élevages spécialisés, les risques de
mortalité dus aux épidémies sont beaucoup plus grands que dans les basses-cours
diversifiées, où l’on ne risque pas pareillement de voir son cheptel vif
disparaître ou péricliter et, par suite, des exercices se solder sans bénéfice.
Au contraire, en s’adonnant conjointement à l’élevage des poules, des lapins,
etc. ..., pour les diverses productions, sans toutefois chercher à trop
compliquer l’ouvrage, car il y a une limite à tout, les disponibilités de temps
et de main-d’œuvre sont toujours mieux employées, et il est bien plus facile
d’assurer l’approvisionnement des pensionnaires. Toutes ces raisons militent en
faveur de l’aphorisme des œufs et du même panier.
Mondiage d’ARCHES.
N. B.
— Ayant répondu au coup de téléphone de mon
correspondant anonyme, je prends la liberté de lui soumettre quelques
aphorismes de mon cru, pour qu’il les explique à son auditoire lunaire.
« Un bon départ est nécessaire à une bonne arrivée. »
« Les volailles bien nourries digèrent ; celles qui sont mal nourries
s’agitent. »
« Les lapins sont des rongeurs ; permettez-leur de ronger. »
« Les canetons sont des goinfres à deux trous. »
M. d’A.
|