Bien qu’il soit prématuré, à l’heure où nous écrivons,
d’envisager l’élevage industriel du pigeon, et ceci en raison de la rareté de la
nourriture qui leur est indispensable, il est cependant indiqué de prévoir, en
même temps que le retour à la vie normale, une remise en activité de toutes nos
richesses et, notamment, de toutes les branches de l’élevage.
On peut considérer que l’industrialisation de la
colombiculture remonte à la plus haute antiquité. Plus tard, elle fut pratiquée
par le moyen des fameux colombiers de fuie, lesquels, apanages seigneuriaux,
connurent leur déclin avec l’abolition des privilèges.
Car certains de ces colombiers pouvaient abriter un millier
de pigeons qui se nourrissaient uniquement des produits de la campagne
avoisinante.
On imagine facilement l’état d’esprit des cultivateurs au
temps des semailles ou de la moisson, en voyant s’abattre sur leurs champs des
centaines d’oiseaux voraces que, par ailleurs, il leur était formellement
interdit de détruire.
Il est donc résulté de ces abus qu’au lendemain de la
nuit du 4 août tous ces colombiers furent proprement pillés. Certains
furent même démolis par crainte d’un retour à l’ancien état de choses.
Quelques beaux spécimens furent pourtant conservés, dont
beaucoup présentent un intérêt architectural incontestable.
En outre, ces colombiers ont pu servir de modèle aux mêmes
paysans qui avaient tant souhaité leur disparition et qui, aussitôt libres,
s’empressèrent d’en construire pour leur propre compte soit dans la cour de
leur ferme, soit sur le toit de leur grange.
Cette proximité de leur habitation leur permettait de
surveiller jalousement leur cheptel colombin, mais il advint que ces petits
colombiers n’eurent pas le même rendement que les grandes tours seigneuriales
pour la raison bien simple que, si ces tours, aux dimensions majestueuses,
offraient à leurs hôtes ailés un espace suffisant pour permettre aux couples de
cohabiter sans trop de froissements, il n’en était pas de même pour ces petits
pigeonniers de ferme, trop étroits et généralement surpeuplés.
Ces deux sortes de colombiers, inspirées l’une de l’autre,
offraient ceci de commun que leur aménagement était aussi peu approprié que
possible à cet élevage.
Le pigeon, nous l’avons déjà dit, est un oiseau extrêmement
jaloux et batailleur, toujours disposé à envier et à prendre, s’il se sent le
plus fort, le logement du voisin. En outre, quand, ayant fait son choix, il
s’est installé en un endroit, il ne tolère pas la présence trop immédiate de
ses commensaux. C’est également un oiseau instable, bien que cette assertion
paraisse paradoxale aux personnes considérant le pigeon comme le symbole de
l’attachement au nid.
Oui, il y est attaché : mais, dans les limites de son
habitation, il aime à changer l’emplacement de ce nid, quitte à employer les
moyens les plus arbitraires, notamment l’expulsion, pour arriver à ses fins.
Les premiers constructeurs de colombiers, ignorant
certainement les mœurs des pigeons, ont dû s’inspirer des coutumes des bizets
sauvages, nichant dans les trous des falaises ou des ruines.
La logique, ou ce qui leur semblait l’être, leur a fait
penser qu’il suffisait de construire une tour en plein champ, complètement
garnie à l’intérieur d’une multitude de logettes noyées dans la maçonnerie et,
pour obtenir la plus grande quantité de ces logettes ou boulins, ils les
établissaient très petites et jointives (voir croquis ci-dessous).
Le résultat était atteint si l’on considère, par exemple,
qu’un colombier de 5 mètres de diamètre intérieur et d’une hauteur de 7 mètres
pouvait contenir aisément de 600 à 700 boulins.
Les rendements furent décevants, car, loin de voir
occuper toutes leurs niches par autant de couples de bons reproducteurs, ils
constatèrent que, pour un seul couple, quinze ou vingt cases étaient inutilisées.
En outre, ces oiseaux, extrêmement farouches, de petite
taille et nécessairement consanguins au bout de quelques générations, ne
produisaient par an que quelques paires de pigeonneaux chétifs.
D’autre part, l’hygiène était complètement inconnue, en
raison de l’impossibilité d’accéder commodément à toutes ces niches,
lesquelles, on se l’imagine, devaient être rapidement emplies d’ordures.
Une échelle, souvent pivotante sur un mât central, était
bien prévue, mais elle servait uniquement à visiter les nids pour la capture
des jeunes destinés à la consommation.
Ces derniers, déjà mal venus, étaient toujours enlevés trop
tôt du nid, car l’on craignait, en attendant trop longtemps, de les voir fuir.
Ces pigeonneaux donnaient une chair non faite et toujours malodorante, puisque
formée dans la fiente et les parasites.
En résumé, si le rendement des immenses tours féodales
pouvait à la rigueur donner quelques satisfactions, celui des colombiers de
ferme était nettement décevant.
LE CRAVATÉ CHINOIS.
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