On nous écrit :
« La dernière campagne apicole a été pour moi
désastreuse. Mon rucher, qui se composait de quinze ruches, est réduit à six,
parce que la maladie m’a empêché de porter secours aux colonies nécessiteuses,
en sorte que je dois chercher un moyen de combler les vides aussi rapidement
que possible.
« J’ai bien mon plan, mais est-il réalisable ? Je
serais heureux d’avoir votre avis et vos conseils, car bien que je ne sois pas
tout novice en apiculture, je ne me crois cependant pas encore un maître, et
vos lumières m’aideront à y voir plus clair.
« Il faut vous dire que j’ai conservé à l’abri de la
teigne les rayons des ruches dépeuplées ; quelques cadres même contiennent
du miel, peut-être aussi du pollen.
« Voici maintenant ce que je me proposerais de
faire :
« Pour commencer, j’enlèverais les reines de mes plus
fortes colonies que je conserverais en cage pour les utiliser plus tard, ou que
je donnerais dès maintenant à d’autres ruches dont la mère laisse à désirer.
« Ayant eu soin de stimuler par un nourrissement les
colonies à essaimer — naturellement, les plus fortes — elles
devraient avoir beaucoup de couvain, au moins huit cadres par ruche. Dix jours
après l’enlèvement de la reine, ces ruches auront, je suppose, un certain
nombre d’alvéoles royaux. Je diviserais alors chaque ruche en trois ou quatre nucléi,
en veillant à ce qu’il y ait dans chacun un cadre portant une ou plusieurs
cellules royales, et je nourrirais, si je n’ai pas assez de miel en rayon, pour
en donner à tous.
« En entourant ces petits essaims des soins voulus,
j’aime à espérer qu’ils se développeront normalement et qu’ils constitueront de
bonnes colonies à l’hivernage.
« Quoi qu’il en soit, je m’en tiendrai à ce que vous me
conseillerez, parce que je n’ai pas encore assez d’expérience en matière
d’essaimage. »
Voici notre réponse :
Tout d’abord, nous vous conseillons de ne pas faire plus de
deux essaims par ruche. Il ne faut pas vouloir aller trop vite. Mieux vaut la
qualité que la quantité. Avec des abeilles de race étrangère plus prolifique, votre
plan pourrait réussir mais, avec nos abeilles du pays, le mieux serait de se
contenter de diviser vos bonnes ruches en deux. Avec les meilleures, vous
pourrez faire deux nucléi, mais trois ou quatre, ce serait trop.
Ceci dit, venons aux opérations à exécuter.
1° Prendre à la ruche mère, qui doit être très populeuse et
presque pleine de couvain, trois rayons de couvain avec les abeilles qui les
couvrent, et dont l’un portera des alvéoles royaux. Placer des cadres dans la
ruche aménagée pour recevoir l’essaim et ajouter un cadre de miel et un autre cadre
construit avec miel et pollen de chaque côté du couvain et resserrer l’essaim
entre partitions. Garnir l’espace restant entre les partitions et les parois
latérales de la ruche avec des coussins ou de vieux sacs, pour que l’essaim
soit tenu chaudement.
Vous pourrez tirer ainsi deux nucléi de la ruche mère, si
elle est très forte, autrement, contentez-vous d’en faire un ou de la
dédoubler.
La ruche mère restant à son siège, sa reine, qui lui a été
enlevée, comme vous l’avez dit plus haut, lui sera rendue. Et il faudra nourrir
jusqu’à la miellée.
2° Une fois l’essaim formé et porté à son emplacement, vous
obstruerez complètement l’entrée de la ruche au moyen de mousse ou d’herbe
mouillée, en ne laissant aucune issue pour les abeilles, car, si elles
pouvaient sortir, l’essaim serait manqué ; la plupart des abeilles
abandonneraient le nucléus pour revenir à la ruche mère restée à son
emplacement et dont le trou de vol doit rester libre.
Certains, pour plus de sûreté, tiennent pendant trois jours
leurs nucléi à la cave, pour éviter le dépeuplement ; mais celui-ci n’est
guère à craindre, en prenant la précaution que nous venons d’indiquer. Au lieu
de gazon, on pourrait employer une bande de toile métallique pour condamner le
trou de vol ; mais l’herbe nous paraît préférable et avec elle les
abeilles, après des efforts, réussissent à se frayer un étroit passage par
lequel une ou deux abeilles sortent à la fois. À la sortie, elles s’orientent,
repèrent l’emplacement de la nouvelle ruche et ne cherchent pas à revenir à
l’ancienne.
Il n’y a pas à s’inquiéter de voir les abeilles ainsi
séquestrées durant trois ou quatre jours. Et, quand elles seront délivrées,
n’ouvrez pas trop grande l’entrée, surtout si la miellée fait défaut et qu’il
faille nourrir, mais ne donnez au trou de vol que la largeur suffisante pour
laisser passer une ou deux abeilles à la fois, car il faut éviter le pillage.
Un seul cas pourrait empêcher les abeilles du nucléus de se frayer un passage,
ce serait si le temps devenait tellement froid qu’elles soient obligées de se
mettre en grappe, mais, comme on opère à une saison (à la mi-mai) où les froids
ne sont plus à craindre, il est superflu de signaler ce fait.
Durant cette réclusion, nombre de jeunes abeilles naîtront
et les alvéoles royaux donneront le jour à de jeunes reines. S’il y en a
plusieurs, la sélection se fera d’elle-même, et il faut espérer que le vol
nuptial s’accomplira sans accidents.
3° La même méthode pourrait être pratiquée en donnant à
chaque nucléus une reine de bonne provenance. Ce serait plus de frais, mais il
est clair que l’essaim pourvu d’une reine pondeuse se développera plus vite que
s’il doit s’élever une reine.
Ces essaims devront être suivis. Au fur et à mesure qu’ils
se développeront et réclameront de l’espace, on écartera les partitions et
ajoutera des rayons, mais il vaudra mieux ne pas aller trop vite et ne leur
donner que le nombre de rayons qu’ils peuvent occuper. Ils se défendront mieux
ainsi de la fausse teigne qui cherche à s’introduire dans les ruches faibles.
En aucun temps, sauf lorsque la miellée donne franchement, il ne faudra cesser
le nourrissement, jusqu’à ce que l’essaim ait construit sa ruche et l’ait
garnie de provisions. Ce sont des frais à faire, mais ils sont inévitables si
l’on veut réussir. Et l’argent dépensé ainsi constitue un bon placement, parce
que des essaims bien soignés sont autant de colonies de rapport qui, à la
saison suivante, rendront largement « intérêt et principal ».
Mais ne nous blâmez pas de modérer votre ardeur et de
contredire notre titre « accroissement rapide », parce qu’à vouloir
aller trop vite en fait d’élevage on court le plus souvent à un échec.
Souvenez-vous de l’adage « Qui va lentement va sûrement ». Ce serait
déjà très beau si, des six ruches qui vous restent, vous pouviez en diviser
trois et faire deux essaims de chacune des trois autres, vous auriez ainsi
entièrement reconstitué votre apier.
P. PRIEUR.
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