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Causerie médicale

La grippe intestinale.

Pendant les épidémies de grippe, la statistique municipale de Paris inscrivait, dans la colonne des décès, un certain nombre « attribués à la grippe », réserve des plus sages, car, pour donner à une maladie un nom précis, comme voudrait être celui de « grippe », il faudrait savoir exactement ce que c’est. Tel n’est pas le cas : il en est de la grippe comme de l’électricité, nous ne la connaissons que par ses effets.

Nous savons que, dans ses formes habituelles, la grippe se caractérise par des bronchites, des pneumonies, des bronchopneumonies plus ou moins graves, mais qui ne se différencient que bien peu des bronchites, des pneumonies, des broncho-pneumonies ordinaires ; on y retrouve en général les mêmes microbes, on y observe les mêmes symptômes.

Quant au microbe spécifique de la grippe, que beaucoup de bactériologues ont cru découvrir, on n’a, en réalité, jamais encore pu l’isoler, encore moins le cultiver et l’inoculer.

Il y a donc quelque chose d’un peu hasardeux à décrire une forme intestinale d’une maladie aussi peu déterminée ; cependant, on en a vu de nombreux cas l’été dernier, survenant d’une façon épidémique.

Il est vrai qu’autrefois on voyait des cas absolument analogues que l’on appelait plus vulgairement diarrhées estivales ou saisonnières, à moins qu’avec un peu plus de prétention on parlât de cholérine ou même de choléra nostras, selon leur intensité.

En bonne pathologie, il faudrait commencer par rechercher les causes, les modes de contamination de ces petites épidémies ; avouons que nous n’en savons pas grand’chose ; la maladie sévit surtout en été, dans les stations estivales plus que dans les villes, survient brusquement, généralement au début du séjour, dure quelques jours, rarement plus de trois ou quatre, et se termine, sans autre, par la guérison complète.

Est-elle favorisée par le changement de régime ? Par l’eau de boisson ? Encore une question restée dans l’ombre ; on a souvent incriminé l’abus des fruits, sans preuve bien sérieuse.

Le début s’effectue ordinairement pendant la nuit : le patient, qui avait bien ressenti quelques borborygmes abdominaux au moment de se coucher, s’était cependant fort bien endormi ; il est réveillé, vers 3 à 4 heures, par une douleur assez vive, une colique, assez mal localisée, semblant parfois avoir son origine dans le flanc droit, mais se diffusant rapidement dans tout l’abdomen, avec une sensation de pincement, de tortillement, si j’ose dire, des plus pénible et un besoin impérieux d’évacuer l’intestin. Après émission de matières liquides, les douleurs s’amendent pendant quelques instants pour reparaître au bout d’une heure ou deux.

Et cela se renouvelle trois ou quatre fois, dans les cas bénins, plus fréquemment et plus longtemps dans les cas plus graves, pour se terminer, en général, par une complète guérison, un retour complet à l’état antérieur, surtout si l’on ne fait pas de traitements intempestifs.

La première idée qui vient à l’esprit et le premier conseil que vous donnent braves gens ou pharmaciens est de « couper la diarrhée », et l’élixir parégorique jouit pour cela d’une inattaquable réputation. Fort heureusement, à la dose de quinze à vingt gouttes qu’on conseille ordinairement, ce médicament est des plus anodin !

Car, si l’on réfléchit quelque peu, on se rend facilement compte de ce qu’une pareille conduite a d’illogique.

Parmi les innombrables myriades de microbes qu’héberge notre tube intestinal, certains ont vu leur virulence s’exalter : ne recherchons pas pour quelles raisons, incriminons la nourriture, l’eau, l’air ou les rayons cosmiques ; le résultat est là. Ces hôtes, jusqu’alors inoffensifs et silencieux, sont subitement devenus nocifs et irritants. Est-il raisonnable de chercher à paralyser l’intestin avec des opiacés pour mieux les maintenir sur place ? N’est-ce point enfermer le loup dans la bergerie ?

Si paradoxal que cela paraisse pour des esprits peu au courant, le premier soin, en cas de troubles diarrhéiques de cette nature, est de prendre un léger purgatif, pour éliminer au plus vite les microbes nocifs et les substances qui leur servent d’aliments. Une petite dose de sulfate de soude est le médicament le plus simple et le plus utile à cette période pendant les cinq ou six premières heures ; on gardera la diète et l’on se contentera d’absorber du thé, peu sucré, dans lequel on peut mettre quelques cuillerées de rhum ou de bonne eau-de-vie (à petites doses, l’alcool est un bon désinfectant de l’intestin ; évidemment, il ne faut pas abuser).

Pendant le reste de la journée et parfois encore pendant celle du lendemain, on gardera encore une diète relative, on s’abstiendra de viande, de poisson et d’œufs, et l’on se contentera de riz, de semoule à l’eau, au lait pur ou au lait coupé d’eau.

En général, il est préférable d’éviter complètement, au moins pendant quelques jours, la consommation des fruits crus ; cependant, certains médecins ont obtenu de bons résultats avec un régime exclusif de pommes crues râpées.

Parmi les fruits qui se mangent en compotes, en confitures ou en gelée, il en est trois qui possèdent des propriétés astringentes, utilisables une fois l’intestin débarrassé de ses microbes et de ses poisons ...

Les myrtilles se trouvent dans la montagne, en certaines régions avec une telle abondance qu’on n’a que la peine de ratisser les plantes avec une sorte de peigne pour les récolter ; leur goût est des plus agréable, surtout une fois cuites (il faut assez peu de sucre pour une simple compote). En dehors de leur saison, on en trouvait facilement sous forme de confiture (un peu écœurante), de compote ou de sirop ; on trouvait aussi des myrtilles sèches qu’il suffisait de laisser gonfler un peu et de cuire comme des pruneaux. Ce petit fruit se conserve, en effet, fort bien par simple dessiccation, au soleil ou dans un four à chaleur modérée.

On ne saurait trop recommander ce mode si simple de conservation dans les régions où abonde cette baie.

Les coings ont des qualités encore plus astringentes, mais ne se consomment que sous forme de gelée, de compote ou de pâte de coings. L’arôme si fin de la gelée de coings plaît à tout le monde, du moins à tous ceux qui aiment les confitures, et son goût se marie fort bien avec les entremets à la semoule ou au riz.

Plus astringentes encore que les coings sont les nèfles, dont on peut consommer sans autre préparation la pulpe, une fois qu’elles sont bien bletties ; on conserve également cette pulpe sous forme de confiture, aussi utile quoique moins agréable et moins parfumée que celle de coings.

Comme boissons astringentes, nous avons le thé, l’infusion de feuilles ou mieux de racines de fraisier, qu’on peut aromatiser à sa fantaisie. Et n’oublions pas le vin. En pareil cas, il faut choisir un bon vin rouge, corsé, dont on boira un bon verre à chaque repas et dont on ne manquera pas de consommer un dernier verre, bien chaud, au moment du coucher, de préférence au grog classique.

Pour bien préparer un verre de vin chaud, on fera bouillir dans une petite casserole un peu d’eau (le quart environ de la quantité totale à absorber) avec du sucre et un bâton de cannelle ; certains ajoutent un clou de girofle, ou un peu de muscade ; après quelques instants d’ébullition, on ajoute le vin, on remet sur le feu jusqu’au moment où la surface blanchit sans laisser bouillir ; on peut, alors, ajouter une rondelle de citron.

Après ces prescriptions diététiques, n’oublions pas un autre point, la question du vêtement. On se couvrira bien, avec des vêtements chauds et surtout on aura soin de bien tenir le ventre chaud. Rien ne vaut pour cela une bonne ceinture de flanelle ou de molleton assez longue pour faire deux ou trois fois le tour du corps ; également recommandables sont les ceintures en laine, tricotées à la main, d’une seule pièce, si faciles à enfiler.

En cas de fortes douleurs, surtout pendant la nuit, on emploiera la chaleur humide sous forme de cataplasmes : le patient en voudrait à son médecin et le jugerait bien incapable s’il oubliait d’ajouter à son ordonnance quelques gouttes de laudanum pour arroser ce cataplasme ; aussi ce détail n’est-il jamais oublié. On peut d’ailleurs y aller très largement, car l’absorption du laudanum, sous cette forme, est des plus problématique et certainement très minime, si tant est qu’elle ait lieu. Prescrivons donc un cataplasme bienfaisant, arrosé d’un laudanum superflu.

À l’intérieur, l’opium a une action autrement plus forte : c’est un excellent calmant des douleurs intestinales, dont on a vu les inconvénients si on le prend au début des accidents. Il rendra d’utiles services si les phénomènes douloureux persistent, et, bien entendu, c’est au médecin qu’il appartient d’en prescrire la dose ainsi que la forme sous laquelle il doit être employé.

L’élixir parégorique auquel on a recours en pareil cas, surtout parce que le pharmacien peut en délivrer une quantité raisonnable sans ordonnance, est un fort bon médicament, mais qui, pour être actif, doit être pris non par gouttes, mais par cuillerée à café, étant donné sa faible teneur en opium.

Avec les quelques conseils ci-dessus, faciles à suivre même en voyage, on viendra à bout de la plupart de ces « grippes intestinales » qui risquent parfois sinon d’atteindre la santé, du moins de gâter quelques jours de vacances.

Dr THEOPHRASTE.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 118