Il fut un temps où, l’automobile n’existant pas encore, les
promenades et excursions étaient presque exclusivement faites à pied. On
s’arrêtait fréquemment, on examinait le paysage, on récoltait des fleurs, on
ramassait quelques pierres curieuses, on poursuivait quelques insectes. Tout ce
que l’on voyait devenait un sujet d’études et finissait par intéresser même les
plus profanes. Les fleurs récoltées ne servaient pas seulement à faire des
bouquets, mais souvent aussi on les conservait en les plaçant entre les
feuillets d’un livre, que l’on oubliait d’ailleurs parfois. Mais peu à peu la
curiosité s’éveillait, on récoltait de plus en plus des plantes qui
paraissaient intéressantes, et, voulant les conserver, l’idée venait tout
naturellement de les faire sécher pour pouvoir les examiner plus tard, et c’est
ainsi que l’on constituait son premier herbier. On se plaisait alors de le
feuilleter, car chaque plante rappelait un événement, un château visité, un
rocher escaladé, une idylle ébauchée. L’herbier n’était plus un ensemble de
plantes desséchées, décolorées, voué aux ravages des insectes. C’était un album
de souvenirs.
Le siècle de l’automobile a fait disparaître le goût des
promenades à pied. On ne cherche pas à regarder le pays que l’on traverse, on
ne s’arrête plus à récolter une fleur intéressante. On fait des kilomètres, on
dévore l’espace. On ne parle plus que du nombre de kilomètres parcourus, des
côtes grimpées à cent à l’heure, d’autres voitures grattées en vitesse et des
meilleurs hôtels où l’on a dîné, car, en fin de compte, il faut bien s’arrêter
pour manger. L’observation des beautés de la nature est reléguée au second
plan.
Mais, aujourd’hui, en cette période de restrictions, où la
disparition de l’essence a fait supprimer les voitures de tourisme, la
bicyclette, ou « petite reine », a refait son apparition. Avec elle
les promenades ont tout de même plus de charme, et l’on ne cherche plus à faire
de la vitesse. On prend le temps d’observer le paysage, les champs, les bois,
les fossés. Le goût de l’histoire naturelle reviendra peut-être et on
recommencera à faire quelques cueillettes. De plus, les camps de jeunesse, les
sociétés sportives, les boy-scouts, par leur genre d’exercice, leur vie en
plein air, sont bien placés pour observer les phénomènes de la nature et
s’intéresser aux êtres vivants, plantes ou insectes, qui les entourent. La
connaissance des plantes, en particulier, leur sera d’une utilité primordiale,
car, dans la période où nous vivons, démunis des ressources les plus utiles à
notre existence, ils trouveront dans les plantes sauvages, beaucoup de produits
pour les remplacer. Car les végétaux nous fournissent de tout :
médicaments, nourriture, couleurs, papier, textiles, pour remplacer le café, le
thé, etc.
Mais, pour bien connaître les plantes, il ne suffit pas de
les récolter, de les déterminer, puis de les jeter. Il faut les conserver, et
c’est leur manipulation et leur examen fréquents qui permettent d’en retenir
les noms et les distinguer des espèces voisines, qui, bien que leur ressemblant,
n’ont pas les mêmes propriétés. D’où l’utilité de faire un herbier, car toute
étude doit avoir un but utilitaire. Connaître le nom d’une plante, c’est
bien ; mais en connaître les propriétés et usages, c’est mieux.
J.-J. Rousseau, qui a longtemps herborisé, avait déjà
montré la nécessité d’un herbier et il en avait même fait plusieurs de formats
différents. On peut, dit-il, faire un très bon herbier sans savoir un mot de
botanique ; tous ceux qui se disposent à étudier la botanique devraient
commencer par là. Mais il s’est élevé contre ces prétendus botanistes qui
avaient des herbiers de huit mille à dix mille plantes étrangères et qui ne
connaissaient pas celles qu’ils foulaient continuellement aux pieds.
À titre documentaire, nous ajouterons ce renseignement, qui est
habituellement ignoré, que le premier qui eut l’idée de coller des plantes
desséchées sur du papier à l’aide de la gomme est un botaniste italien :
Lucas Ghini (1500 à 1556), qui fut nommé à son époque « l’oracle de la
botanique ».
Ce qui a surtout empêché la constitution d’un herbier, c’est
le travail continu auquel on est astreint pour préparer les plantes que l’on
veut conserver. Si l’on consulte les manuels à ce sujet et si l’on veut
appliquer à la lettre les renseignements qu’ils fournissent, on s’aperçoit
qu’en définitive toutes les journées doivent être consacrées à la préparation
des échantillons. L’on ne peut pas, cependant, perdre tout son temps à cela, à
moins de n’avoir rien plus à faire.
Le professeur Duchartre avait déjà conseillé une méthode
plus rapide, mais nous l’avons encore rendue plus expéditive. Celle que nous
allons indiquer est d’une telle simplicité, d’une telle commodité et exige si
peu de temps qu’elle engagera, nous l’espérons, beaucoup de débutants ou de touristes
à faire une importante collection de plantes qu’ils auront plus tard la
satisfaction d’examiner.
D’abord la récolte. Point n’est besoin d’avoir un outillage
compliqué. Une boîte en fer allongée pour mettre les plantes au fur et à mesure
des récoltes, si l’on doit rester longtemps en excursion, ou simplement une
grande feuille de papier résistant si l’on ne veut faire qu’une simple
promenade, et un fort couteau à longue lame solide pour déraciner. Comme
certaines fleurs sont bien fragiles, et que les pétales tombent au moindre choc
ou froissement, on risque de n’avoir que des échantillons détériorés, en
rentrant chez soi. Tel est le cas pour les fleurs de ronces, des églantiers,
des hélianthèmes, des coquelicots, et quelques autres. On emporte alors un petit
volume usagé, facile à mettre dans une poche et on place entre les feuillets un
rameau fleuri. On le retrouve intact au retour.
Comme nous nous adressons ici aux amateurs et promeneurs,
nous n’envisagerons pas le cas des naturalistes devant explorer une région
pendant plusieurs jours. Il faudrait alors se munir d’un cartable constitué par
une pile de feuille de papier entre lesquelles on place les échantillons et que
l’on maintient serré entre deux cartons par une courroie. Bien entendu, on doit
choisir les échantillons aussi complets que possible, avec les fleurs et les
fruits et, si la plante est petite, la récolter avec sa racine, car cette
dernière est souvent indispensable pour la détermination.
(À suivre.)
Is. MARANNE,
Membre de la Société Botanique de France.
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