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La radio

Du poste à galène à la radio de l’avenir.

Les circonstances actuelles nous ramènent plus ou moins en arrière, tout au moins temporairement. La pénurie d’essence nous prive de l’emploi des automobiles, et nous rend de nouveau précieux les chevaux et les fiacres, sinon les diligences. Si nous manquons de charbon, au lieu du chauffage central, précieux mais inutile, nous sommes heureux d’avoir recours au feu de bois primitif, mais réchauffant. Cette pénurie remet donc bien souvent en honneur des procédés tombés en désuétude, de même que les produits autrefois abandonnés, telles certaines huiles d’alimentation ou de graissage.

De même, en radiophonie, la pénurie des matières premières, des pièces détachées et des lampes ralentit la fabrication des postes neufs, et interdit plus ou moins, dans certains cas, la réparation des postes usagés. C’est alors que, sous l’empire de la nécessité, on se tourne à nouveau vers les appareils simplifiés, et, en particulier, vers le plus simple d’entre eux, c’est-à-dire le poste à galène.

Par quoi est constitué un poste à galène ? Une antenne, aussi bonne que possible, et une prise de terre, reliée à un dispositif d’accord formé par un bobinage et un condensateur variable permettant de régler le poste sur l’émission désirée.

Les courants de T. S. F. recueillis aux bornes de ce circuit d’accord sont transmis à un détecteur à cristal de galène, qui les transforme, et les rend capables d’actionner un ou deux écouteurs téléphoniques de forte résistance.

On peut encore, pour améliorer la réception, placer aux bornes de l’écouteur un condensateur fixe, d’une capacité de l’ordre de 0,002 de microfarad. La disposition des différentes pièces du montage peut varier, dans le but surtout d’augmenter la sélectivité du système, mais le principe reste toujours le même. La partie essentielle de l’appareil est le détecteur à galène ; il est constitué par un cristal de sulfure de plomb qui peut être naturel, sensibilisé, ou même synthétique, et enchâssé dans une cuvette métallique, ou simplement serré dans une pince. Sur sa surface vient appuyer la pointe d’un chercheur, c’est-à-dire d’un fil de cuivre, de nickel, ou d’argent, enroulé en forme d’hélice à ressorts à boudin, et dont l’extrémité est effilée. La pointe vient s’appuyer sur le cristal, et l’on peut faire varier la pression et l’orientation de la pression exercée. Si ce réglage est bien fait, et si la région de cristal est sensible, on entend clairement l’émission choisie, sans autre réglage.

Voici donc un appareil très ancien, adapté à la réception en T. S. F. radiotélégraphique, même avant l’avènement de la radiophonie et bien avant la guerre de 1914, qui, pourtant, est encore utilisé aujourd’hui et dont les qualités ne doivent pas être négligées, malgré son extrême simplicité.

Toutefois, ce genre de poste ne se trouve plus chez les marchands d’appareils de T. S. F., la vente en a été généralement abandonnée depuis de très nombreuses années. C’est donc dans l’arsenal d’un bricoleur des temps héroïques ou dans la boutique d’un marchand de bric-à-brac que vous avez des chances de rassembler quelques éléments de montage.

On peut regretter cet état de choses, car, en effet, quel est l’appareil sans lampes, sans piles, sans accumulateurs, sans alimentation électrique, dont le prix de revient est infime et qui, pourtant, pourrait ainsi nous offrir une réception de bonne qualité musicale, sinon de grande puissance ?

Sans doute, ce n’est pas un appareil sensible ; il ne permet de recevoir les émissions de postes lointains qu’en employant une antenne extérieure suffisante. Il ne permet aussi l’audition qu’avec un écouteur et sans haut-parleur, et non à grands puissance, pour le plus grand profit des voisins, encore plus que pour soi-même !

L’emploi d’une grande antenne n’est pourtant guère gênant à la campagne, et son installation n’est pas coûteuse ; on trouve encore du fil de cuivre ou de bronze, ou du fil d’aluminium.

Ne pouvons-nous accepter, pendant quelque temps, d’avoir un poste qui fonctionne pour nous et les nôtres dans un calme relatif et sans haut-parleur tonitruant ? Est-il nécessaire, aussi, de recevoir toujours des émissions lointaines et étrangères, et ne pouvons-nous nous contenter parfois des émissions nationales ? Même dans les conditions normales, le poste à galène est toujours demeuré, depuis longtemps, l’appareil du débutant, des jeunes gens, de tous ceux dont les moyens étaient modiques et qui ne voulaient pas, malgré tout, se priver des agréments de la T. S. F.

En réalité, les véritables inconvénients du poste à galène sont de deux sortes : il nécessite, d’abord, l’emploi d’un écouteur téléphonique, qu’il faut maintenir appliqué sur l’oreille, et beaucoup de sans-filistes trouvent ce procédé gênant. Malgré tout, on s’y habitue, surtout si l’écouteur n’est pas trop lourd, et on peut le maintenir, d’ailleurs, à l’aide d’un serre-tête quelconque. On peut employer également plusieurs écouteurs combinés, de manière à permettre l’audition simultanée par un certain nombre d’auditeurs à la fois.

Beaucoup de galénistes, pour éviter cet inconvénient, ont toujours voulu simplifier la réception produite par un poste à galène, et des articles parus dans cette revue ont donné des détails sur cette question. En temps normal, l’amplification d’une réception radiophonique sur poste à galène n’offre guère d’intérêt ; on ne peut pas employer avec succès des amplificateurs microphoniques et il faut avoir recours à un amplificateur à lampes. La construction de cet amplificateur peut être presque aussi complexe et aussi coûteuse que celle d’un petit récepteur à lampes complet, sans détecteur à galène, et l’ensemble réalisé ne possède pas, malgré tout, les qualités de sensibilité, et surtout de sélectivité, d’un récepteur à lampes.

Mais les conditions anormales actuelles ont fait changer aussi les conditions du problème ; la construction d’un récepteur à lampes est souvent devenue difficile, non seulement à cause du prix élevé, mais de la pénurie des pièces détachées et des lampes. La réalisation d’un amplificateur à une seule lampe en général, pour poste à galène, est relativement plus facile parce qu’on peut employer des pièces détachées d’ancien modèle, tel qu’un transformateur basse fréquence et une lampe amplificatrice basse fréquence également d’ancien modèle, même du type à chauffage direct par batteries. L’alimentation de ce petit amplificateur n’offre pas d’inconvénient, car il est toujours possible, même actuellement, d’établir une batterie de piles de tension plaque, avec des éléments de lampes de poche.

Aussi, si l’on peut trouver dans des pièces détachées d’occasion, ou au fond de son armoire, les éléments nécessaires pour la réalisation d’un petit amplificateur de ce genre, la construction d’un dispositif amplificateur, le poste à galène, peut donc offrir maintenant un intérêt qu’il ne présentait plus dans les conditions normales. Quant au haut-parleur, on peut employer un vieux modèle électromagnétique, ou, tout simplement, un gros écouteur téléphonique avec un pavillon de fortune, métallique ou même en carton. Sans doute, revient-on ainsi aux débuts de la radiophonie, mais ne voit-on pas passer, de nos jours, des diligences comme au temps de Louis XVI !

Un deuxième inconvénient du système peut résider dans la difficulté et l’instabilité des réglages, c’est-à-dire la recherche des points sensibles du cristal et le maintien de la pointe sur la surface avec la pression et l’orientation convenables.

La difficulté est pourtant souvent plus apparente que réelle, si la pointe du chercheur est suffisamment fine et si la surface est suffisamment sensibilisée. Malgré la pénurie des produits chimiques, il est encore possible de trouver, la plupart du temps, les quelques grammes de limaille de plomb et de fleurs de soufre nécessaires pour la fabrication d’un cristal synthétique, lorsqu’on ne peut se procurer un cristal sensible tout préparé.

Sans doute y a-t-il, d’ailleurs, des modèles perfectionnés de détecteurs à galène plus ou moins indéréglables, à multiples contacts, dont la réalisation est facile, même en utilisant peu de matière première et simplement avec quelques paillettes de fil de cuivre, par exemple. Les sans-filistes de la première heure connaissent également tous les détecteurs de fortune que l’on peut essayer et dont les variantes sont presque innombrables ; rappelons, en particulier, le détecteur « alimentaire », constitué par un fragment de légume, tel qu’une pomme de terre, sur lequel vient s’appuyer une pointe métallique !

Le poste à galène ne possède-t-il, d’ailleurs, que des défauts et aucune qualité ? Il serait injuste de le croire.

Le détecteur à galène n’est pas, comme la lampe détectrice, à la fois un détecteur et un amplificateur ; c’est un détecteur pur, ce qui explique son défaut relatif de sensibilité ; mais, comme c’est un détecteur pur, c’est aussi un appareil qui ne déforme pas ; la réception est donc parfaitement musicale et on jouit de tous les avantages de la détection linéaire ; si l’on dispose d’un bon écouteur téléphonique, la qualité musicale est remarquable.

Ce retour temporaire vers les procédés anciens ne doit pourtant pas nous faire oublier complètement les possibilités de l’avenir de la radiophonie, lorsque les conditions normales seront revenues. Si les soucis actuels ne nous permettent pas d’étudier ici les possibilités de la radio, dès à présent, de nombreux techniciens américains ont porté leur attention vers les problèmes de l’avenir.

Quelle sera ainsi la radiodiffusion en 1951 ? La télévision, nous disent les Américains, sera presque aussi répandue que la radiophonie et le récepteur d’images complétera toujours le radio-récepteur ; la diffusion de la télévision ne sera d’ailleurs possible que grâce à la réduction du prix des récepteurs.

L’observation directe de l’image sur l’écran ne sera plus utilisée ; l’image sera projetée sur un écran séparé et pourra être observée à la lumière du jour, ou en lumière atténuée ; on aura alors construit des tubes et des écrans spéciaux.

On aura alors élaboré également une véritable technique nouvelle de la diffusion des images.

La lutte contre les parasites industriels et atmosphériques reste au premier plan des préoccupations des techniciens ; c’est ainsi que le procédé de modulation radiophonique dit en fréquence et non en amplitude, utilisé pratiquement depuis quelque temps aux États-Unis, ainsi qu’il a été indiqué dans un précédent article, permettra sans doute d’améliorer encore la qualité musicale des réceptions et d’éliminer les perturbations. Il faudra songer aux troubles produits par les récepteurs voisins de plus en plus nombreux et rapprochés et, pourtant, sans doute, faudra-t-il perfectionner les possibilités de réception en permettant aux membres d’une même famille de choisir individuellement les émissions qu’ils veulent entendre. On pourra prévoir sur le poste des prises de courant, avec des fiches permettant l’adaptation immédiate de câbles destinés à de petits haut-parleurs, ou à des récepteurs téléphoniques spéciaux, un commutateur permettra de passer de la réception collective à la réception individuelle.

Ces récepteurs individuels seraient pourtant gênants, puisqu’il faudrait les appliquer sur l’oreille, mais pourquoi ne pourrait-on songer à de nouveaux principes de récepteurs vibrateurs perfectionnés, permettant l’audition non plus à la manière ordinaire par la voie aérienne, mais par la vibration des os du crâne, en employant ainsi un procédé beaucoup moins gênant, adopté déjà par certains « déficients de l’ouïe » avec succès.

En ce qui concerne le montage même des récepteurs, nous allons sans doute vers une complexité de plus en plus grande, puisqu’il faudra obtenir des perfectionnements de plus en plus variés et adapter les appareils au nouveau procédé d’émission à modulation en fréquence ; mais cette complexité et ces perfectionnements ne seront sans doute pas acquis en employant un nombre de lampes de plus en plus grand. Bien au contraire, la réalisation des lampes à concentration électronique et des merveilleux multiplicateurs d’électrons fait prévoir que, pour un même résultat, on pourra réduire de plus en plus le nombre de lampes. Si le poste de l’avenir ne comporte pas sans doute une seule lampe, on peut déjà prévoir qu’il n’en comportera plus que deux ou trois, à moins que, d’ici là, la lampe actuelle de T. S. F. ait fait place à un nouveau mode d’amplification encore plus merveilleux !

A. RONGÈRE,

Ingénieur-Radio.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 123