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Où en est la chasse ?

Il est d’usage d’imputer le manque de gibier à de trop brèves périodes de fermeture de la chasse. À ce compte, les nemrods de 1945 auraient dû réaliser de sensationnels tableaux, puisque depuis six ans ils ne se livraient plus à leur sport. Il n’en fut rien, hélas ! comme chacun sait, quelques régions privilégiées étant mises à part.

Le Chasseur Français, dont nous saluons tous avec joie la renaissance, m’a demandé de faire le point de la situation cynégétique actuelle. Je ne puis que déplorer la pauvreté de notre cheptel-gibier, les difficultés auxquelles se heurte la pratique de la chasse et qu’il est inutile de détailler ; mais je voudrais rendre aux disciples de saint Hubert un peu de confiance en un proche avenir dont la réalisation dépend avant tout de leur discipline et de leur cohésion.

Lorsque Le Chasseur Français dut suspendre sa publication, la botte allemande pesait lourdement sur nos chasses comme sur toute notre vie. Interdictions sur interdictions s’accumulaient. Les méthodes germaniques étaient durement imposées : citons entre autres la protection du renard et des petits fauves, catalogués comme animaux à fourrure, belle invention qui nous a valu la pléthore de goupils dont pâtirent le gibier et les basses-cours ; citons les rafles de faisans et, par contre, une négligence voulue dans les destructions de lapins et de sangliers, ce qui provoque un peu partout de sérieux dommages aux cultures. À côté de ces errements néfastes, il y eut, pendant deux ou trois ans, multiplication, des perdrix et des lièvres ; on put constater l’abondance du gibier d’eau, surtout des canards, remarque déjà faite pendant la guerre de 1914-1918. Pas d’amélioration, à ma connaissance, dans le passage des bécasses, des grives et des alouettes, non plus que dans celui des cailles, qui deviennent un mythe. Une redoutable phalange d’oiseaux nuisibles — pies, corneilles, éperviers — était plus ou moins explicitement protégée par les occupants, au grand dam des couvées et des portées.

Le gros gibier — cerfs, biches, chevreuils — se maintenait difficilement dans nos bois de par l’audace des colleteurs, en l’absence d’une partie des gardes et devant la désorganisation des brigades mobiles. Pas d’agrainage, bien entendu, et pas de piégeage, les pièges étant confisqués sinon volés. De vastes incendies en de trop nombreux massifs forestiers achevaient ce fâcheux bilan. Si l’on y ajoute la réaction due à l’immense joie de la mise en fuite de nos ennemis, réaction qui ne pouvait guère exclure quelques tolérances, on ne s’étonnera plus que l’ouverture de 1945 ait été maigre, sauf en ce qui concerne le lièvre, et que la saison qui suivit, la première saison de chasse d’après guerre, n’ait pas répondu à nos espoirs.

Faut-il faire son deuil des gaies et fructueuses réunions de chasseurs ? Non pas : la nature est bonne mère, le cheptel sauvage qui subsiste peut nous donner un prompt repeuplement naturel qu’en toute justice devrait compléter un important prélèvement sur les chasses d’outre-Rhin, si giboyeuses.

Le braconnage est à combattre avec énergie, et cette lutte contre les écumeurs de nos plaines et de nos bois doit être menée sans répit par les agents des sociétés départementales, héritières des fédérations de chasseurs. Même bataille à livrer et à gagner sur les renards, putois, belettes, pies, corneilles et oiseaux de proie ; bataille en cours et en bonne voie, grâce à nos louvetiers et à tant de dévoués tireurs ou piégeurs.

Si nous savons, en plus de ces mesures urgentes, nous discipliner, ne pas tuer les derniers oiseaux d’une compagnie, respecter les poules faisanes, ménager quelque peu les lièvres à l’ouverture, éviter de tirer une chevrette en arrière-saison, protéger les couvées lors de la coupe des foins, si nous reconstituons nos groupements dans un grand élan de camaraderie, nous reverrons, je vous l’affirme, nos chasses d’autrefois.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 132