Il y a beaucoup de journaux qui, pendant la guerre et
pour de multiples raisons, ont cessé de paraître. Il y en a quelques-uns dont
la disparition est passée inaperçue. Mais, pour des chasseurs comme nous. Le
Chasseur Français, notre journal de la campagne, a vraiment manqué depuis cinq
ans.
Nous sommes heureux, après ce silence prolongé, de le
voir aujourd’hui reparaître. Mais combien de vides !
La mort de Ternier, ce grand chasseur de sauvagine et
l’auteur de livres de chasse particulièrement appréciés, a été pour moi une
grande peine.
Nous conserverons le souvenir de son exquise finesse de
sentiments, de son affabilité et des services signalés qu’il a rendus à la
chasse à la sauvagine. C’est en songeant à lui que j’écris ces souvenirs.
Pourquoi ai-je été séduit par la chasse au gibier
d’eau ? Pour bien des raisons.
La chasse au gibier de passage est la plus prenante de
toutes. Ils viennent de loin, les migrateurs, et ils vont loin. Si vous les
manquez aujourd’hui, vous ne les reverrez jamais ! Et, si cela est vrai
pour les bécassines, les canards et les oies, c’est aussi vrai pour nos chères
palombes !
On est attiré par le coup de fusil à l’allure définitive.
C’est, d’autre part, uns chasse qui, pour le sauvaginier,
suppose une grande endurance physique, un moral élevé, une patience quelquefois
déçue.
Oui, il faut être armé de volonté pour parcourir à pied, de
longues heures, le grand marais à fond de tourbe qu’est la Brière ou des
territoires de même ordre. Il y a des bains forcés dans les endroits
difficiles. En hiver, de l’eau à 1°, lorsqu’elle rentre à flots dans vos
bottes, n’a rien de très attrayant. Vidons cette eau et en
avant ! ... «Crac, crac», une bécassine, entre deux touffes de
roseaux, nous surprend par son brusque départ en un moment d’instabilité, une
jambe enfonce à mi-cuisse et l’autre ne va guère mieux.
En ces conditions de tir vraiment défavorables, vous lâchez
les deux coups du désespoir. La bécassine, à tire d’aile, monte vers le ciel
gris !
Après quelques kilomètres de terrain difficile, la fatigue
est bien grande en fin de journée. Mais que de récompenses ! « La
Grande Mademoiselle » est, de loin, à mon avis, le gibier dont l’envol est
le plus brutal, dont les zigzags sont les plus déconcertants, celle dont la
montée en flèche à toute allure peut décourager les jeunes tireurs. Approchez
le vent dans le dos ou de trois quarts, tirez-la au coup d’épaule, très vite.
L’arrêt de la bécassine bien pelotée est vraiment une sensation de rare
qualité.
Endurance physique ? L’attente avant le jour dans votre
hutte à ciel découvert ... La pluie tombe menue, venant du sud-est, votre
vieux manteau est transpercé, vos doigts sont gourds, il faut tenir !
Demain, le vent aura tourné au nord, vous songerez à un bon lit, bien chaud,
alors que vos moustaches seront prises de glace. Il faut tenir ! Non, la
chasse au marais n’est pas jeu de petite fille. Mais que de joies dans
l’imprévu ! Un bruit d’ailes, baissons-nous bien, cinq petits colverts à
pattes orange ! Les voilà ! suivons-les des yeux, la main sur la
détente du cœur. Mes canes rappellent impérativement, mon malard fait entendre
un couinement de satisfaction, ils s’éloignent. Non ! Ils vont prendre le
vent. Un bruit d’eau. Ils se posent un peu loin. Les jolis colverts ! Tous
des malards. À la nage, ils se rapprochent des appelants, puis s’éloignent.
Soixante-dix mètres, quatre-vingts mètres, je perds l’espoir. Non, en voilà un
qui se lève et vient se poser dans les appelants ; à la nage, à nouveau,
voici les autres; minute d’anxiété. Ils sont bien en ligne. Le premier coup en
retourne deux, pattes en l’air ; je me relève et, de mon second coup, je
casse un fouet d’aile à l’un des trois autres ; il essaye de s’envoler et
plonge aussitôt. Glissons notre punt dans sa direction, non, rentrons au plus
vite ; une belle bande de sarcelles arrivent à vive allure du fond des
Avortes, passent au-dessus de nos appelants, font deux fois le tour de la
hutte, mais ne sont pas en ligne pour être tirées efficacement. Brusquement,
elles montent et, comme si leur inspection était suffisante, je les vois
s’éloigner en pointillé vers la baie de la Loire. Mon colvert a plongé, où
est-il maintenant ? Il sera demain le repas du faucon.
La passée se poursuit, des vanneaux au vol balancé et
indécis passent au-dessus de la hutte. Au premier coup de feu, comme des
acrobates, ils piquent affolés, en zigzaguant. Essayez donc le second coup, je
le juge très difficile. Une bande de pluviers dorés passent à quelque distance,
je les siffle, ils arrivent en planant et successivement se font tirer,
revenant docilement au sifflet. Cinq victimes, les autres sont partis. Quelques
sarcelles encore volent au loin, puis le marais semble vide un long moment. Il
va se réveiller dans quelques instants. Des bandes de canards de fond, milouins
et morillons à l’allure si rapide, ont été levées au nord du marais et me
permettent de compléter mon tableau.
Variété de tir très grande ! Chasse à la bécassine, à
la marche ou à l’approche en bateau. Passées du matin ou pose du soir, nous
vous aimons pour vos incertitudes, pour nos luttes, nos revers ou nos succès.
Nous sommes aussi amoureux de nos lieux de chasse, nous avons été envoûtés par
le marais pour ses grisailles du matin, sa solitude, le chant plaintif de ses
oiseaux, le mystère de ses grandes étendues.
Jean de WITT.
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