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Chasses du Midi

Encore une légende, tenace, comme elles le sont toutes, et aussi, comme beaucoup, sans un grand fond de vérité. Je veux parler des chasses du Midi, dont tout le monde dit et croit, dur comme fer, qu’elles se réduisent aux casquettes. Eh bien ! non. Je m’inscris en faux contre cette affirmation purement gratuite et affirme à mon tour qu’au contraire le Midi offre des chasses variées, intéressantes et même, je lâche le mot, abondantes, en certaines régions du moins. Il y a, je le sais, certains coins où le gibier est clairsemé, où le lièvre surtout est fort rare, mais combien de régions en France ont ce même triste privilège ! On peut dire cependant que le Midi est surtout la région de la perdrix rouge, du lapin et des migrateurs. Et c’est déjà quelque chose. Il y a, bien sûr, certains abords de grandes villes où l’on ne saurait chasser avec succès. Mais, croyez-moi, on tire encore du gibier dans notre beau Midi de France, et bien autre chose que des pinsons et des rouges-gorges.

Voulez-vous faire un rapide voyage de l’Océan à la Méditerranée ? Partons de Bordeaux ou, mieux, de l’embouchure de la Gironde, de cette pointe de la Coubre réputée pour les longs becs. Peut-être savez-vous que c’est là un fameux coin pour la divine rousse : toute la côte d’Argent, jusqu’à Bayonne, offre, dans ses dunes et dans ses pinèdes, une douce région de repos pour les scolopax en migration. Et les ramiers, les palombes comme on les nomme là-bas ? Est-il un coin plus affectionné des beaux oiseaux gris-perle que la grande forêt landaise toujours verte comme l’océan qui la baigne ? Il faut avoir entendu, certains jours d’octobre ou de novembre, dans la lumière voilée des frondaisons, le vacarme des immenses volées à travers les pins, ou la fusillade partant le soir, à la couchée, dans la brume bleue qui vient, ou la rutilance des couchants d’automne, de tous les coins de la forêt, pour avoir une idée du nombre incalculable de palombes qui s’arrêtent dans cette région. Les palombières pyrénéennes en sont aussi un témoignage. Et qu’il vienne à faire un froid rigoureux, comme nous en eûmes ces dernières années, ce ne sont pas seulement bécasses et palombes que l’on rencontre en abondance, mais toutes sortes de migrateurs que le gel pousse en ce coin au climat plus doux qu’ailleurs. On a vu, lors des brusques poussées des grands froids, des quantités extraordinaires de bécassines, de grives, de vanneaux, de merles, d’étourneaux, de canards aussi, comme on ne peut s’en faire une idée. Les marchands de munitions étaient dévalisés en quelques jours. On tirait cinquante cartouches dans une sortie. Nous sommes loin, vous le voyez, de la chasse aux casquettes.

Mais filons plus à l’est. Remontons la Garonne. Nous trouverons en route du gibier ; là comme ailleurs, perdreaux, lièvres, cailles, lapins, et toujours, à l’arrière-saison, la tribu des migrateurs. Vous pourrez même, dans les grandes plaines toulousaines, rencontrer la canepetière que peu de chasseurs connaissent. L’Ariège est aussi un beau pays de chasse, et, dans l’Aude méridionale qui touche aux Pyrénées, vous trouverez même la chasse de montagne, avec isards et coqs de bruyère. Là, avec l’Aude, nous arrivons au vrai Midi : et c’est là que vous m’attendez, dites-vous, car c’est de ce Midi-là, le Midi méditerranéen, que l’on veut parler quand il s’agit de la chasse aux casquettes.

Eh bien ! là aussi, ne vous en déplaise, on trouve du gibier, et, si vous voulez venir avec moi dans les garrigues de l’Hérault, du Gard, du Vaucluse, vous y verrez perdreaux rouges et lapins en abondance, en particulier dans le haut Biterrois.

Le mal est qu’il y a trop de chasseurs ; et, au bout de deux semaines, il ne reste plus guère de perdreaux. Pourquoi, soit dit en passant, tant de chasseurs, bien plus, je vous assure, que partout ailleurs ? Parce qu’il y a du gibier. Un point noir, pourtant, et grave celui-là : le braconnage. Pièges à lapins, collets à perdreaux, filets pour les petits oiseaux allant à l’abreuvoir connaissent une vogue sans pareille et ont toujours été une habitude invétérée. Toute l’année ainsi, le gibier est attaqué et raflé. Même au fusil, car on ne se gêne guère. Et, enfin, les chiens de chasse ou autres qui divaguent du 1er janvier au 31 décembre viennent ajouter encore leurs dégâts à ceux des engins, et vous savez s’ils sont importants. Le miracle, c’est qu’il y ait encore du gibier. Alors, qu’on reste là-bas deux ou trois ans sans braconner, qu’on respecte les jours et périodes de fermeture, qu’on laisse les chiens à la maison quand on ne chasse pas, et cette région-là, merveilleuse comme terrain de chasse, deviendra, j’en réponds, un vrai paradis des chasseurs. Je parle de cette région biterroise que je connais bien. Mais le Gard offre, lui aussi, d’aussi belles ressources, et le Vaucluse, où j’ai chassé deux saisons, ne leur cède en rien, car rouges, lapins, bécasses, grives, notamment, y abondent.

Pour finir, descendons au bord de la mer : suivons, de l’Aude au Rhône, la suite presque ininterrompue des étangs, où, pendant huit mois, vous pourrez chasser la sauvagine. Tous ces étangs sont très peuplés en oiseaux d’eau de toute espèce : canards aux variétés infinies, sarcelles, échassiers de marais et de rivage, poules d’eau grosses et petites, tout cela grouille dans les roseaux, les joncs et les herbes aquatiques de ces eaux parfois dormantes et pleines de reflets lumineux, parfois agitées comme la mer par le mistral en courroux. Et, enfin, la Camargue, mot magique, enchanteur, que tout chasseur connaît de réputation. Bienheureux ceux qui se trouvent à proximité de ce lieu béni.

Je n’exagère pas, croyez-le. Ceux qui connaissent le Midi le savent bien. Quant à la chasse aux casquettes, eh bien ! elle n’est cependant pas un mythe. Mais c’est là encore l’expression de ce tempérament méridional où tout est bonne humeur et galéjade. J’ai vu, en effet, au retour de battues ou après le déjeuner suivant la grande randonnée matinale, les fusils partir sur les casquettes lancées à toute volée. Ceci, du temps heureux où les munitions étaient moins rares qu’aujourd’hui, et moins chères.

Ce n’est pas sans sourire que je me souviens du beau chapeau tout flambant neuf qui fut un jour imprudemment lancé en l’air par son propriétaire et retomba, le pauvre, criblé comme une écumoire. Ce qui n’empêchait pas, d’ailleurs, que l’on venait d’aligner sur la route, pour le partage traditionnel, une vingtaine de perdreaux et trois ou quatre capucins.

La casquette, vous le voyez, n’est pas l’unique gibier du Midi.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 135