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La pêche avec des insectes vivants

Depuis que l’homme a essayé de capturer les habitants de l’onde, il a utilisé, comme appâts, des insectes naturels. Bien qu’à notre époque la science halieutique ait évolué vers la perfection, les mêmes esches sont encore en honneur, et de nombreux professionnels des campagnes les emploient exclusivement.

Ils les présentent à leurs victimes éventuelles non pas comme un être vivant, mais comme une pauvre bestiole, roulée par le courant ou inerte en surface, en tout cas privée de mouvement.

Ils négligent ainsi un atout précieux, un phénomène attractif fort efficace : la manifestation de la vie. Il n’est pas un être aquatique qui ne soit sensible à un mouvement naturel de l’insecte immergé ou flottant; il n’en est pas un qui n’ait eu, dans son existence, l’occasion de happer une bestiole qui se noie et se débat.

Tous, sauf peut-être l’anguille, — et encore, — paraissent se défier de l’immobilité de l’insecte qui fut vivant et ne l’est plus : le gros chevesne happera, sans hésiter, un coléoptère plaqué en surface par le vent et qui se débat contre la noyade, mais il tournera longtemps autour d’une sauterelle posée sur le fond ou suspendue à une racine 6 X, dans une immobilité complète.

J’envisage, évidemment, la pêche diurne, la seule digne d’un pêcheur amateur, sauf en mer cependant.

Les insectes empalés sur l’hameçon sont tués presque de suite et perdent ainsi une grande partie de leur « valeur pêchante ».

Je sais bien que les initiés peuvent, par un léger tremblement de leur scion, donner un semblant de vie à leur appât, mais tout le bas de ligne et même la soie tremblent aussi, ce qui doit causer une réelle inquiétude, tout au moins de la méfiance, aux poissons, dont le faisceau nerveux dénommé ligne latérale est si sensible aux vibrations anormales de l’eau.

Ce n’est qu’une boulimie pressante qui aura raison de cette méfiance bien compréhensible.

Au temps où j’étais un fervent de la pêche aux insectes naturels, parce que je ne connaissais pas encore les pêches sportives ou que les cours d’eau que j’explorais n’étaient pas propices à cette pêche, j’avais remarqué que mes appâts étaient saisis plus souvent quand ils bougeaient que pendant une immobilité complète, et j’avais cherché à les conserver vivants le plus longtemps possible : je les piquais à l’extrémité du corps, vers les ailes, vers les pattes, partout où je supposais que la blessure serait légère.

Mais je ne pouvais les lancer au large, ils se déchiraient ou étaient gênés dans leurs ébats.

Comme Archimède, — en plus petit, — je m’écriai un jour : « Eurêka ! »

J’eus l’idée d’entourer mes insectes de 2 ou 3 fils de soie de couleur assortie à celle de leur corps, excessivement fine, et de passer mon hameçon dans les spires, par-dessous, de façon que l’appât soit posé sur la courbure. Et j’essayai ...

Est-ce le hasard, est-ce la récompense de mon idée ? J’eus du succès, et un succès persistant. Je pus lancer mes insectes au large, je les voyais encore bouger ; dans la pêche à la surprise, le même appât servait jusqu’à ce qu’il soit avalé ; il restait toujours vivant.

Mieux même : alors que, lestée d’un grain de plomb près de la tête, ma sauterelle ou mon grillon coulait dans un fond, je voyais bouger ses pattes aussi loin que ma vue pouvait le suivre. Évidemment, dans ce cas, la noyade était inévitable à bref délai. Aussi est-ce surtout une pêche de surface qui utilisera cette méthode de fixation.

J’eus encore une autre idée — c’est une marotte chez moi de chercher du nouveau — pour protéger plus efficacement mes appâts en surface et pour les faire flotter : j’humectais leurs ailes et leurs pattes, ainsi que le dessous de leur corps, de vaseline ou d’huile de vaseline, comme s’il s’agissait d’une mouche artificielle flottante, et c’était une réelle sarabande qu’ils dansaient sans s’enfoncer jamais.

Certains lecteurs vont penser : « Et l’hameçon, il doit se voir ? » C’est possible, quoique, s’il est peint en vert, il fasse tout à fait partie du corps de la sauterelle. Pour le grillon, l’hameçon bronzé est idéal : il s’identifie avec lui.

Une recommandation importante ; choisissez un hameçon à tige courte, très fin de fer.

Ce que j’écris pour la sauterelle et le grillon s’applique à tout insecte assez volumineux pour être attaché, mais ne saurait convenir aux mouches de maison, phryganes, etc. Il vaut mieux alors les fixer avec de la glu tenace sur l’hameçon et ne pas les lancer violemment.

J’ai appliqué mon procédé à la pêche au vif, avec deux ligatures de soie grise très fine, l’une derrière les ouïes du poisson, l’autre vers la queue, ces deux ligatures étant reliées entre elles afin d’éviter leur glissement ; les deux hameçons étaient passés dans ces ligatures, sous le poisson, et n’entravaient nullement ses évolutions.

Pendant plusieurs heures, le même goujon s’est promené, ainsi harnaché, sans en ressentir la moindre gêne et put réintégrer le seau à vifs en fin de pêche ; il eût, certes, été préférable qu’il terminât sa carrière dans le vaste garde-manger de messire Grandgosier.

Et maintenant, chers lecteurs, vous allez essayer cette pêche, et vous me direz si elle vous a donné les mêmes satisfactions qu’à moi, autrefois. Avec un vairon, explorez les trous, les chutes, les abords des obstacles ; il est à prévoir qu’une belle truite ou une perche, voire un brocheton, viendront confirmer le bon rendement du procédé.

Marcel LAPOURRÉ,

Délégué au Fishing-Club de France.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 144