Après les années sombres que nous venons de traverser, nous
voyons de temps en temps surgir quelque chose qui évoque cette période d’avant
guerre que nous sommes tentés d’appeler heureuse ... parce que tout est
relatif. La parution de notre chère vieille Revue est un de ces petits
événements qui nous apporte, avec une promesse de jours meilleurs, une bouffée
d’air pur, une vision spontanée de bois, de collines, de champs, et pour nous
autres, amateurs de yachting, c’est une évocation puissante et nostalgique d’un
canoé glissant au fil de l’eau, d’une mer bleue qui sort au creux d’un golfe,
d’une voile blanche qui s’enfle sous la brise.
Promesse de jours meilleurs ? Oui, certes, mais
l’optimisme doit être mesuré. Avec les restrictions qui pèsent sur le nécessaire
de notre vie quotidienne, il peut sembler inopportun de parler d’un superflu.
Mais, après tant de souffrances, les jeunes — car c’est plus
particulièrement à eux que je pense en écrivant ces lignes — n’ont-ils pas
un droit pressant à la joie de vivre ? Nous ne nous attarderons pas à
faire un bilan. Il est bien connu et il est plutôt sombre : matière
première rare, main-d’œuvre qualifiée chère, nombreux yachts détruits,
construction paralysée et coûteuse, danger des mines dérivantes dans certains
parages, bassins encore inaccessibles, etc. ...
La construction d’un yacht de haute mer exigerait
actuellement une fortune. Tel yacht de moyen tonnage qu’un constructeur pouvait
livrer, avant 1939, pour 100 à 150.000 francs coûterait environ un
million. Les prix des yachts d’occasion ont suivi la hausse générale, aggravée,
d’autre part, du fait des destructions. Une ressource cependant pour ceux qui
peuvent passer les frontières : acheter d’occasion dans un pays où le
change nous avantage ; encore faut-il avoir des capitaux disponibles à
l’étranger. Cette solution n’intéresse donc qu’un nombre très restreint
d’amateurs. Les prix actuels en France sont naturellement provisoires et sujets
aux fluctuations. Il faut attendre le retour à une vie économique stabilisée pour
établir des pronostics sur les possibilités commerciales de la construction des
bateaux de plaisance, de la construction en série des coques métalliques en
particulier, seule solution possible pour rendre le yachting vraiment
démocratique. Nous en suivrons l’expérimentation aux États-Unis, où elle est
certaine et proche. D’ores et déjà, nous pouvons dire que les progrès
techniques et l’emploi de nouveaux matériaux auront une incidence heureuse sur
la construction, qui gagnera en qualité, en confort et en durée. Nous
reviendrons sur ces éléments dans de prochaines causeries.
Mais pour l’avenir immédiat, pour les impatients (et nous le
sommes tous), pressés de reprendre la route de l’eau, de hisser les voiles, de
partir, pressés de vivre enfin, il reste le canoé, le kayak, le monotype, le
modeste petit voilier de croisière. Et je dis à tous ceux qui n’en ont pas ou
qui n’en ont plus : construisez vous-même votre embarcation s’il vous est
impossible de l’acheter. Vous économiserez la main-d’œuvre, qui représente la
moitié du prix de revient. Vous serez vite captivé par un travail passionnant.
Vous connaîtrez la joie profonde de créer cette chose vivante et harmonieuse
qui vous apportera des promesses de vacances, de solitude et de soleil.
Difficultés techniques ? Oui, certainement ; mais
il suffit, pour les vaincre, d’un peu d’adresse et de bonne volonté.
Difficultés pour trouver les matériaux ? Sans aucun doute. Certains
débrouillards trouveront bois, quincaillerie, toile ; beaucoup devront
attendre, mais il faut une attente active. Au risque de me répéter, j’insiste,
comme je l’ai souvent fait dans cette rubrique, sur la nécessité d’une
préparation initiale ; préparation en trois temps : documentation
théorique, choix et étude d’un plan ; construction d’une maquette à
l’échelle du 1/10 ou du 1/5.
Nous verrons dans une prochaine causerie le travail détaillé
de ces différentes phases. Ces travaux vous auront pris du temps. Vous leur
aurez consacré joyeusement tous vos loisirs; des jours, des mois auront passé ;
et, quand vous serez fin prêt pour entreprendre une construction en grandeur
vraie, bien des difficultés auront disparu, l’horizon sera plus clair, et nous
verrons enfin monter au sémaphore le signal triangulaire de prévision du
temps : « meilleur ; baromètre remonte ».
A. PIERRE.
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