Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°607 Avril 1946  > Page 151 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Tourisme nautique

Perspectives.

Après les années sombres que nous venons de traverser, nous voyons de temps en temps surgir quelque chose qui évoque cette période d’avant guerre que nous sommes tentés d’appeler heureuse ... parce que tout est relatif. La parution de notre chère vieille Revue est un de ces petits événements qui nous apporte, avec une promesse de jours meilleurs, une bouffée d’air pur, une vision spontanée de bois, de collines, de champs, et pour nous autres, amateurs de yachting, c’est une évocation puissante et nostalgique d’un canoé glissant au fil de l’eau, d’une mer bleue qui sort au creux d’un golfe, d’une voile blanche qui s’enfle sous la brise.

Promesse de jours meilleurs ? Oui, certes, mais l’optimisme doit être mesuré. Avec les restrictions qui pèsent sur le nécessaire de notre vie quotidienne, il peut sembler inopportun de parler d’un superflu. Mais, après tant de souffrances, les jeunes — car c’est plus particulièrement à eux que je pense en écrivant ces lignes — n’ont-ils pas un droit pressant à la joie de vivre ? Nous ne nous attarderons pas à faire un bilan. Il est bien connu et il est plutôt sombre : matière première rare, main-d’œuvre qualifiée chère, nombreux yachts détruits, construction paralysée et coûteuse, danger des mines dérivantes dans certains parages, bassins encore inaccessibles, etc. ...

La construction d’un yacht de haute mer exigerait actuellement une fortune. Tel yacht de moyen tonnage qu’un constructeur pouvait livrer, avant 1939, pour 100 à 150.000 francs coûterait environ un million. Les prix des yachts d’occasion ont suivi la hausse générale, aggravée, d’autre part, du fait des destructions. Une ressource cependant pour ceux qui peuvent passer les frontières : acheter d’occasion dans un pays où le change nous avantage ; encore faut-il avoir des capitaux disponibles à l’étranger. Cette solution n’intéresse donc qu’un nombre très restreint d’amateurs. Les prix actuels en France sont naturellement provisoires et sujets aux fluctuations. Il faut attendre le retour à une vie économique stabilisée pour établir des pronostics sur les possibilités commerciales de la construction des bateaux de plaisance, de la construction en série des coques métalliques en particulier, seule solution possible pour rendre le yachting vraiment démocratique. Nous en suivrons l’expérimentation aux États-Unis, où elle est certaine et proche. D’ores et déjà, nous pouvons dire que les progrès techniques et l’emploi de nouveaux matériaux auront une incidence heureuse sur la construction, qui gagnera en qualité, en confort et en durée. Nous reviendrons sur ces éléments dans de prochaines causeries.

Mais pour l’avenir immédiat, pour les impatients (et nous le sommes tous), pressés de reprendre la route de l’eau, de hisser les voiles, de partir, pressés de vivre enfin, il reste le canoé, le kayak, le monotype, le modeste petit voilier de croisière. Et je dis à tous ceux qui n’en ont pas ou qui n’en ont plus : construisez vous-même votre embarcation s’il vous est impossible de l’acheter. Vous économiserez la main-d’œuvre, qui représente la moitié du prix de revient. Vous serez vite captivé par un travail passionnant. Vous connaîtrez la joie profonde de créer cette chose vivante et harmonieuse qui vous apportera des promesses de vacances, de solitude et de soleil.

Difficultés techniques ? Oui, certainement ; mais il suffit, pour les vaincre, d’un peu d’adresse et de bonne volonté. Difficultés pour trouver les matériaux ? Sans aucun doute. Certains débrouillards trouveront bois, quincaillerie, toile ; beaucoup devront attendre, mais il faut une attente active. Au risque de me répéter, j’insiste, comme je l’ai souvent fait dans cette rubrique, sur la nécessité d’une préparation initiale ; préparation en trois temps : documentation théorique, choix et étude d’un plan ; construction d’une maquette à l’échelle du 1/10 ou du 1/5.

Nous verrons dans une prochaine causerie le travail détaillé de ces différentes phases. Ces travaux vous auront pris du temps. Vous leur aurez consacré joyeusement tous vos loisirs; des jours, des mois auront passé ; et, quand vous serez fin prêt pour entreprendre une construction en grandeur vraie, bien des difficultés auront disparu, l’horizon sera plus clair, et nous verrons enfin monter au sémaphore le signal triangulaire de prévision du temps : « meilleur ; baromètre remonte ».

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 151