Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°607 Avril 1946  > Page 153 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Salsifis et scorsonères

Légumes abondants et précieux

Voici deux légumes racines de premier plan qui ne sont pas assez largement produits et même presque ignorés dans maintes régions. Ils assurent pourtant d’amples provisions automnales, hivernales et de premier printemps, même estivales dans le Midi. Il en est ainsi d’ailleurs pour quantité d’autres, notamment parmi les légumes verts : la tétragone ou épinard d’été, succédané de premier plan de l’épinard ; de la poirée ou bette (qu’à tort on nomme blette, même dans les tableaux de taxation des services de ravitaillement), à la fois succédané du cardon par ses côtes et de l’épinard par le limbe de ses feuilles.

Les avantages des salsifis et scorsonères.

— Il est vrai, en ce qui concerne surtout le salsifis, que, dans maintes régions, on présente comme salsifis de longues racines bottelées, à la façon de ceux-ci, de la chicorée sauvage et de la chicorée améliorée, lesquelles sont amères « comme chicotin ». Cette substitution nuit beaucoup à la réputation du salsifis ; car les personnes qui ne goûtent pas l’amertume intense des mets ont de ces derniers une fâcheuse impression et font la plus détestable des réputations au salsifis.

Salsifis et scorsonère, la scorsonère surtout, ont un délicieux goût de noisette. Rien n’est perdu dans leur emploi : les pelures provenant du grattage des racines préalablement lavées sont consommées par les lapins ; elles entrent aussi dans les pâtées mi-cuites des poules. Les feuilles vertes à la texture dense font également les délices des lapins, alors que celles du cœur, blanchies et très tendres, constituent les éléments de savoureuses salades.

Les racines de scorsonères et de salsifis sont, par surcroît, très résistantes au froid, ce qui permet de les arracher au fur et à mesure de vos besoins, quitte à couvrir une partie de la planche ou du carré de culture dans les régions au climat rigoureux, afin d’éviter que le sol ne gèle profondément pour en faciliter l’arrachage. Ainsi vous pouvez les employer dans toute leur fraîcheur et leur turgescence. J’ajoute encore que le rendement des salsifis et scorsonères atteint et surpasse même souvent celui du topinambour, à l’unité de surface, et qu’ils lui sont bien supérieurs comme goût et finesse.

Ces deux légumes sont connus depuis les XVIe et XVIIe siècles. Olivier de Serres mentionne le salsifis dans son théâtre d’agriculture (1600) et l’auteur du Jardinier François (1651) dit avoir cultivé la scorsonère le premier. Tous deux sont très nutritifs, contenant, d’après Alquier, le salsifis 3,44 p. 100 de matières azotées, 1,06 de matières grasses, 12,15 de matières hydrocarbonées, et la scorsonère respectivement 1,50, 0,34 et 20,42 p. 100.

Quelles exigences culturales ?

— Les salsifis et scorsonères donnent les meilleurs résultats dans les terres humeuses de jardin et dans tous les sols argilico-siliceux et profonds. Les terrains pierreux sont défavorables, car les racines qui touchent une pierre ne s’allongent plus, se ramifient et deviennent fourchues, ce qui est particulièrement défavorable à leur développement et à leur emploi.

Comme c’est le cas pour quantité d’autres légumes racines, les fumures fraîches sont plutôt défavorables à la bonne croissance des salsifis et scorsonères. Réservez-leur par conséquent une planche ou un carré fumé par une précédente culture, ou employez du fumier ou du compost très décomposé, réduit en quelque sorte en terreau; mieux encore un engrais complet ou 40 à 50 grammes de superphosphate de chaux, 20 à 25 grammes de chlorure ou de sulfate de potasse, enfin 40 grammes de sulfate d’ammoniaque.

Incorporez ces engrais au cours du labour profond et bien ameubli à la bêche ou à la fourche bêche (au moins 28 centimètres de profondeur) au cours duquel vous enlevez les pierres que le sol peut contenir, afin d’éviter que des racines « fourchent » dessus. À défaut de sulfate d’ammoniaque, vous pouvez enterrer, au cours des deux premiers binages, 10 à 12 grammes de nitrate de soude, ou de nitrate de potasse, ou de nitrate de chaux au mètre carré. Notez de suite que, si vous cultivez la scorsonère comme plante bisannuelle, épandez au printemps, lors du binage, 10 grammes de sulfate d’ammoniaque ou d’un des nitrates ci-dessus, 15 à 20 grammes de sulfate de potasse et 10 à 20 grammes de superphosphate d’os ou de superphosphate de chaux au mètre carré.

Quelles variétés choisir ?

— Le salsifis (Tragopogon porrifolius) et la scorsonère (Scorsonera hispanica) sont deux genres différents appartenant à la même famille, celle des Composées.

Ils se différencient assez nettement : la racine pivotante et fusiforme du salsifis, plante bisannuelle, est d’un ton jaunâtre vieil ivoire extérieurement, blanc-crème intérieurement ; ses feuilles, d’un vert clair et glauque, sont comme rubannées, étroites et très longues, beaucoup plus étroites que celles du poireau et d’une tenue différente, alors que l’appellation scientifique à feuille de poireau (porrifolius) semble le préciser ; les fleurs sont rose violet.

La racine de la scorsonère, plante vivace, est brun noirâtre, de ce ton que l’on désigne par tête de nègre, extérieurement, blanc nacré intérieurement ; ses feuilles, d’un vert assez soutenu et un peu luisant, sont plus larges et moins longues, quelque peu lancéolées et d’apparence parcheminée. Ses fleurs sont jaunes.

Chaque sorte comporte deux ou trois variétés. La plus qualifiée et recommandable chez le salsifis est le Mammouth, aux racines infiniment plus volumineuses que celles des deux variétés ci-après, à fleurs roses ou rouges légèrement violacées ; le blanc amélioré (ou Géant de Russie ou des Iles Sandwich), amélioration du type, à racines nettement lisses, à fleur bleu violacé ; enfin le type ...

La scorsonère noire géante de Russie est à très longue et très volumineuse racine, de conformation régulière, généralement cylindrique, obtuse et à peau lisse. C’est une amélioration très nette de l’espèce. La racine de cette dernière est assez longue, mais moins volumineuse.

Ces indications fixent votre choix ; mais les conditions actuelles vous obligent à semer celle des variétés que vous pouvez obtenir, quelles que soient vos préférences. Après essais comparatifs, je continue à semer de front scorsonère et salsifis des deux meilleures variétés, dans mon jardin familial expérimental, tout en reconnaissant une supériorité marquée à la scorsonère.

Semez en lignes.

— La durée germinative des semences de salsifis et de scorsonère n’est guère que de deux ans, et cela vous indique la cause de mauvaises et irrégulières levées dès que les graines entrent dans leur troisième année. Leur couleur est à l’inverse de celle des racines. Les graines de salsifis sont brunes, longues, effilées, pointues, rugueuses parce que recouvertes d’aspérités ; elles sont assez légères puisqu’un gramme en contient de 90 à 100 environ. Celles des scorsonères sont blanches, lisses et pointues à une extrémité et d’un poids correspondant à celui des graines de salsifis. Comptez en employer environ 1 gramme à 1gr,5 au mètre carré, le semis étant effectué en ligne.

Semez salsifis et scorsonères à partir de mars dans les régions climatériquement favorisées, comme celles du Sud-Ouest et du Sud-Est, en avril-mai dans celles plus au Nord. Dans la zone méditerranéenne, vous pouvez même effectuer un second semis en juin-juillet pour échelonner la production en l’amplifiant ; ainsi une partie seulement de votre culture occupe le terrain toute la belle saison. Ailleurs, et lorsque la place est mesurée dans votre jardin, vous n’avez pas intérêt à laisser la scorsonère en place une seconde année, ainsi qu’on le recommandait autrefois, bien que la chair des racines qui continuent à grossir reste aussi tendre, parce qu’alors elles tiennent l’emplacement trop longtemps ; mais vous pouvez en faire un semis en août-septembre après d’autres cultures, pour récolter les racines à partir de l’automne suivant, le rendement pouvant ainsi être amplifié d’un quart où d’un tiers.

Ouvrez des rayons distants de 20 à 25 centimètres, profonds de 2 à 3 centimètres. Dans les conditions habituelles, semez assez dru, quitte à procéder à un éclaircissage des jeunes plants lorsqu’ils ont développé 2 ou 3 feuilles. Dans les circonstances actuelles, en raison de la pénurie et du prix de la semence, répartissez celle-ci isolément dans les rayons tous les 5 à 6 centimètres ; recouvrez la graine de 1 centimètre de terreau, affermissez légèrement le sol avec la batte ou, sur la raie, avec le dos du râteau, arrosez et maintenez la terre fraîche jusqu’à la levée et par la suite.

La levée a généralement lieu une douzaine de jours après, surtout celle des semis d’avril-mai ou d’automne ; mais elle est souvent irrégulière pour s’échelonner sur deux à trois semaines. Évitez cet inconvénient et obtenez-la simultanément et régulièrement en arrosant copieusement le sol après le semis et en recouvrant celui-ci d’un long paillis, d’aiguilles de conifères ou de paillassons, ce qui maintient la terre régulièrement humide tout en évitant qu’elle se croûte. Dès que les premiers germes pointent, enlevez ce revêtement en fin de soirée et arrosez.

Ayant réparti les graines et la levée étant régulière, vous pouvez laisser les semis en l’état ; sinon, éclaircissez-le lorsque les plantes ont 2 à 3 feuilles, afin de les distancer de 6 à 8 centimètres les unes des autres et obtenir ainsi de plus volumineuses racines. Les soins culturaux ultérieurs consistent en binages répétés assez souvent au début, pour maintenir la terre meuble, et en arrosages, de façon à obtenir une végétation active.

Il arrive que des pieds développent une tige florale prématurément, car vos plantes ne doivent pas monter à graine. Coupez ces tiges dont vos lapins font leurs délices, sans quoi la racine se vide et devient filandreuse. À partir d’octobre, vous pouvez arracher à la bêche-fourche des salsifis, au fur et à mesure de vos besoins.

Une telle production, dont le rendement s’établit à environ 2 kilogrammes au mètre carré, occupe le sol pendant environ huit mois, si vous récoltez en octobre-novembre ; ce rendement atteint 3 kilogrammes pour les semis effectués en septembre et occupant le sol pendant quatorze mois. Ce sont là des légumes de tout premier ordre et de soudure particulièrement précieux, étant donnée la longue période d’utilisation dans un état de fraîcheur absolue.

A. DE BRETEUIL.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 153