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Gelées de printemps

La période qui s’étend entre la floraison et la formation des fruits est particulièrement critique pour les cultures fruitières. Dans nos régions, de fortes gelées de printemps sont en effet possibles jusqu’au 15 mai. Elles peuvent réduire à néant, presque instantanément, les espoirs que l’on mettait jusque-là dans la future récolte.

C’est du début d’avril à la mi-mai, parfois même un peu plus tard, que se place l’époque critique. Au cours de celle-ci, en effet, les organes floraux de la plante évoluent, tandis que leur sensibilité au froid augmente de façon progressive. C’est ainsi qu’à la suite de nombreux essais il est admis que le bouton clos de la fleur du pommier peut supporter près de – 4°, tandis que la fleur ouverte ne supporte guère que - 2° et que le jeune fruit vert gèle si la température descend au-dessous de - 1°,5. Ceci est d’ailleurs encore variable avec la variété, plus ou moins résistante, et avec l’état hygrométrique de l’atmosphère.

Les autres arbres fruitiers sont à peu près dans les mêmes conditions de résistance que le pommier, exception faite cependant du cerisier, qui semble un peu plus sensible, et de la vigne, qui l’est beaucoup plus.

Prévision des gelées.

— Les gelées de printemps peuvent survenir de deux façons différentes :

    1° Par l’arrivée d’une masse d’air froid entraînant un refroidissement général de l’atmosphère : ce sont alors des gelées à glace ou gelées noires. Assez rares dans nos régions, elles sont difficiles à combattre ;

    2° Par suite du rayonnement intense du sol, quand la nuit est claire et l’atmosphère calme, rayonnement qui refroidit les couches d’air inférieures. Lorsque la teneur en vapeur d’eau est forte, la gelée est blanche. Lorsqu’elle est moindre, il peut y avoir gelée noire, ce qui est rare. La température augmente alors au fur et à mesure que l’on s’élève au-dessus du sol, ce qui fait que les cultures basses sont plus exposées que les cultures plus hautes.

Les gelées blanches sont difficiles à prévoir, car, très souvent, elles ne sont pas consécutives à un refroidissement progressif de la température.

Cependant, un appareil rustique, d’emploi assez pratique, le pagoscope, peut renseigner sur l’imminence de la gelée.

Moyens de défense.

— Il est possible de combattre l’action néfaste des gelées de deux façons :

    En atténuant le rayonnement nocturne ;
    En réchauffant l’air au voisinage des plantes à protéger.

On peut atténuer le rayonnement en plaçant, au-dessus des arbres à garantir, un écran (étoffe ou autre). Mais ce procédé, fort coûteux, ne peut guère s’appliquer qu’à quelques arbres.

Il en est autrement des nuages artificiels que l’on peut produire en faisant brûler de la paille ou des feuilles humides imprégnées de goudron, en se servant d’appareils fumigènes capables de fournir une fumée très dense et lourde.

Ce système a été longtemps l’un des plus employés en France. Il peut procurer, par temps calme, un relèvement de température atteignant 1°,5 à 2°, ce qui peut, dans bien des cas, suffire pour permettre de réaliser la protection des cultures.

Le second système — réchauffement direct de l’air au voisinage des végétaux à défendre — est utilisé davantage depuis quelques années chez nous. Il était déjà auparavant très en faveur aux États-Unis.

Il consiste à répartir, dans la culture à protéger, des réchauds alimentés à l’aide de combustibles liquides ou solides.

Les réchauds à huiles lourdes étaient les plus usités avant guerre. Le nombre peut en être plus ou moins important et varier suivant l’effet à produire : lutte contre une faible gelée ou contre une forte gelée. De toute façon, ces réchauds sont mis en place à l’avance et allumés selon les besoins.

Dans le Sud-Ouest, on utilisait couramment, ces années dernières, des réchauds à gas-oil, d’une contenance de 10 litres, dont la durée de chauffage, qui est normalement de trois heures, peut être portée à huit heures si l’on place sur ces appareils des couvercles spéciaux ralentissant la combustion.

Pour les faibles gelées, il peut suffire d’une centaine de réchauds à l’hectare, tandis que, pour les plus fortes, deux cent cinquante peuvent être nécessaires.

Les foyers à combustibles solides étaient également utilisés. Ils sont constitués par des fûts usagés, percés de nombreux trous à la base, qui peuvent être chargés soit avec des briquettes de charbon de battage et du coke, soit avec des boulets. Dans le premier cas, on utilise des fûts de cyanimide, de 60 centimètres de haut et 45 centimètres de diamètre, remplis avec une couche de paille, une couche de bois, 5 kilogrammes de briquettes et 15 kilogrammes de coke, dont la durée de combustion est de trois heures et peut être augmentée par l’emploi de couvercles.

Dans le deuxième cas, on emploie des fûts à huile de 0m,40 de haut et 0m,30 de diamètre, chargés de paille, de bois et de 12 kilogrammes de boulets, dont la durée de combustion est la même que ci-dessus.

Les réchauds ou les foyers doivent être judicieusement disposés dans la culture, dès le début de la période de floraison. On en installe une double rangée du côté le plus exposé, c’est-à-dire face aux vents dominants. Le chargement en est protégé par les couvercles. En outre, il est nécessaire, pour lutter pendant toute la saison, de stocker la quantité de combustible nécessaire à cette lutte. En moyenne, on compte trois à quatre nuits par an susceptibles d’être dangereuses. Mais il y en a parfois davantage.

L’allumage des réchauds est rendu plus facile si l’on possède une torche spéciale d’allumage, ressemblant à une grosse burette d’une contenance de dix litres, remplie, par parties égales, d’essence et de pétrole, et munie, à la base du tube d’écoulement, d’une petite grille qui empêche le feu de se propager au liquide contenu dans le réservoir.

Conclusion.

— On voit, par l’étude précédente, qu’il est désormais possible de lutter contre les gelées. Évidemment, la mise en œuvre des procédés indiqués ci-dessus est actuellement rendue très difficile, en beaucoup d’endroits, par la pénurie de combustibles liquides ou solides et le prix élevé de ceux-ci. Mais il ne faut pas perdre de vue que les cultures fruitières sont suffisamment rémunératrices pour pouvoir supporter de semblables dépenses. Il faut, toutefois, réduire celles-ci au minimum et, pour cela, traiter à bon escient, ce qui n’est possible que si les prévisions ont été faites avec sûreté et si elles sont complétées par des observations personnelles du cultivateur tenant compte, à la fois, du climat local, de la nature des cultures et de leur exposition.

E. DELPLACE.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 155