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Cidrerie

Pour obtenir du bon cidre bouché

Par ces temps de restrictions, quoi de plus agréable que de déguster une bonne bouteille de cidre limpide, bouqueté et pétillant, dont les propriétés au point de vue hygiénique sont incontestables et qui, d’autre part, est d’un prix modique, puisque fabriqué chez le producteur ?

Pour obtenir de bons résultats, il est toutefois indispensable de prendre certaines précautions, afin d’éviter des ennuis, des pertes de cidre et de temps. Trop souvent, hélas ! le cidre en bouteilles est peu gazeux, la dégustation de chacune des bouteilles n’est pas uniforme, on ne peut parfois les déboucher sans que le contenu saute avec violence en arrosant les invités, ou qu’au contraire la pression soit complètement nulle et le cidre sans qualité.

Le principe de la conservation du cidre en bouteille est basé sur une fermentation incomplète du jus qui, mis en bouteilles, produit un dégagement de gaz carbonique restant dissous dans le liquide et qui, pour cette raison, y donne une pression qui varie suivant la quantité de sucre qu’il contenait au moment de l’embouteillage. Pour être conservé avec toutes chances de succès, le cidre doit d’abord être limpide, et ceci n’est possible qu’avec des soutirages pratiqués au moment opportun. Un premier soutirage fait aussitôt après le débourbage, puis un second vers mars préparent parfaitement le cidre dans ce but.

Il est parfois nécessaire, si la clarification est insuffisante, de pratiquer un collage, soit à la colle de poisson dissoute dans un peu d’eau bouillante ou, mieux, avec du tanin à l’alcool, à raison de 10 grammes par hectolitre. Pour cela, faire dissoudre le tanin dans un verre d’alcool ou d’eau-de-vie et verser dans le tonneau en agitant.

Huit jours après, exécuter un dernier soutirage ; le cidre est alors clair et peut être mis en bouteilles. Opérer par temps froid et le plus possible à l’abri de l’air, en se servant d’un caoutchouc amenant le cidre au fond des bouteilles, pour éviter une perte de gaz carbonique.

Le remplissage réalisé, aucune chambre à air ne doit exister dans la bouteille, le cidre venant en contact avec le bouchon. En opérant ainsi, il se produit, grâce au petit nombre de globules de levure contenus dans la bouteille, une fermentation à l’abri de l’air. Cette fermentation spéciale est caractérisée par sa lenteur. La levure, incapable de se reproduire à l’abri de l’air, perd peu à peu sa vigueur, fait fermenter seulement une partie du sucre renfermé dans le cidre, laissant intacte l’autre partie destinée à fournir au liquide la douceur recherchée.

L’acide carbonique provenant du sucre fermenté donne une pression convenable sans amener la casse des bouteilles ou très rarement. Le bouchage sans air présente enfin un autre avantage : les bouteilles ne laissent jamais échapper violemment leur contenu au moment du débouchage. Toute perte de liquide est supprimée.

Cependant, le remplissage complet des bouteilles n’est à recommander que lorsque celles-ci ne doivent sortir de la cave que pour une rapide consommation, car, si on les soumet à un long transport par une température assez élevée, comme dans le cas de l’exportation dans les pays chauds, il est bien à craindre que la dilatation du liquide, supérieure à celle du verre, ne le force à s’infiltrer entre le bouchon et le col de la bouteille, ou ne provoque la casse.

L’époque de la mise en bouteilles est fournie par le densimètre, instrument très pratique et que chaque cidrier devrait posséder.

En règle générale et d’après l’expérience, un cidre de 1,015 de densité renferme de 30 à 40 grammes de sucre par litre, quantité suffisante pour former une atmosphère en acide carbonique de 6 à 7 kilogrammes. La prise de densité, pour une mise éventuelle en bouteilles, concordera, si possible, avec un temps clair, beau et froid, comme pour tout soutirage.

Plus la densité est élevée, sans excès toutefois, plus le cidre sera mousseux et doux, car il reste dans le liquide une quantité plus grande de sucre.

À 1,020-1,022, le produit obtenu est doux et mousse beaucoup. À 1,018-1,015, un peu moins.

Aux environs de 1010, le cidre est légèrement mousseux, Enfin, à 1,005-1,003, il est sec ou pétillant.

Cependant, ces chiffres n’ont rien d’absolu, la fabrication et les soins intervenant pour une part dans le résultat escompté.

Certains moûts à faible densité peuvent ne jamais donner un produit doux, car, la fermentation terminée, il ne reste que très peu de sucre.

Dans ce cas, on est obligé de remonter la densité ; il suffit alors d’ajouter par litre autant de fois deux grammes de sucre qu’il y a de degrés de densité à gagner. Si, par exemple, la densité est de 1,005 et qu’on veuille avoir du cidre mousseux à 1,015, on doit incorporer 1,015 - 1,005 = 10 x 2 = 20 gr. de sucre par litre, sous forme d’un sirop épais additionné de quelques gouttes de bonne eau-de-vie de cidre pour ne pas enlever au contenu son bouquet agréable.

La qualité des bouchons joue un grand rôle. Les bouchons bon marché laissent filtrer le gaz et doivent être exclus complètement.

On ne se servira que de bouchons neufs, mis à bouillir avant l’emploi et trempés au moment du bouchage dans un petit récipient d’eau-de-vie ordinaire.

Pour les cidres mousseux (1,020), des bouteilles champenoises sont indispensables, et les bouchons doivent être maintenus au fil de fer. Les cidres secs peuvent être conservés en bouteilles ordinaires. À côté de cette fabrication simple, il est possible de fabriquer à la ferme un cidre mousseux à la méthode champenoise, mais celle-ci nécessite un matériel et des soins particuliers que nous envisagerons prochainement.

P. LANEUVILLE.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 159