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La mode de Paris

Voici donc que reparaît, après tant de mois cruels, émouvants, angoissants, puis apaisés, ce Chasseur Français aux lecteurs si nombreux, si fidèles, et nous voici à nouveau, mes chères lectrices, réunies, par le truchement de ces colonnes, pour papoter, discuter, critiquer sur ce sujet inépuisable pour des femmes : la mode parisienne ! Dieu sait si la couture a souffert, restreinte, entravée, grevée de charges, de taxes, gênée par les innombrables restrictions, et pourtant toujours bien vivante, ardente à demeurer elle-même, s’adaptant merveilleusement aux circonstances, en l’occurrence à la bicyclette, aux transports en commun surchargés, aux intempéries sans taxis, aux froids sans chauffage, aux lainages sans laine et aux soieries sans soie ... Et voici que c’est un nouveau printemps revenu et que nous devisons à nouveau de cette mode.

Elle est charmante, alerte, juvénile, ceci tient certainement aux tissus que lainiers et soyeux ont proposés aux couturiers.

Les lainages, tous encore laine et rayonne, sont arrivés à un degré de perfection inouï, légers, souples, duveteux, carrelés, chevronnés, rayés, côtelés, crêpés.

Une femme, fût-elle la plus exigeante du monde, n’a pas à se désespérer si elle ne trouve pas chez son couturier le tissu exact qu’elle cherche : il en est d’autres à côté aussi excellents, aux tons aussi délicats. Toutes les teintes claires sont à l’honneur : les beiges, du mastic au noisette le plus soutenu ; les gris, du gris-perle au gris-plomb le plus bleuâtre ; tous les bleus pastellisés et les roses éteints, et tous les verts très doux, amande, réséda, à l’exclusion des verts crus ; les rouges, anciens, étrusques et corinthiens, pourpre et amarante, très peu de marron et peu de bleu marine. Les beaux écossais aux vives couleurs, si riches, si variés des « clans » eux aussi ont perdu de leur vogue au profit d’écossais très pâles, très atténués, très fondus gris et jaune, bleu et rose, bleu et gris, gris et gris. Les femmes passeront-elles outre à ces suggestions pour revenir tout bonnement à leur cher bleu marine ou à leur presque classique écossais rouge et vert ? Ceci est une autre affaire et l’avenir nous le dira.

La mode est également très variée ; est-ce à dire que tout se porte ! Non, car à chaque saison Paris met sa note très particulière sur ses créations ; mais, à condition que votre costume, madame, soit bien épaulé, que votre manteau ait une belle emmanchure raglan ou kimono, large, que votre taille soit menue et vos hanches bien galbées, que la jupe de votre redingote soit ample et mouvante de tous ses godets, et que celle de votre tailleur noir soit étroite comme un étui mais pas trop courte, vous serez élégante.

À part cela, certains tailleurs sont d’un sévère classicisme à un seul ou à six boutons, basques moyennes et poches masculines, jupe fourreau ou portefeuille ; d’autres, plus « sport », sont classiques devant, mais, dans le dos, plissés, ceinturés, blousants, à empiècement, avec jupe à plis réguliers ou groupés. Les manteaux, toujours opposés de ton ou de tissus au vêtement qu’ils recouvrent, sont vastes et amples, portés avec ou sans ceinture, mais les épaules en sont très carrées, les manches très amples à larges entournures, ce qui est infiniment confortable. Pour l’après-midi, la redingote reste le manteau d’élection des femmes élégantes, mais elle aussi subit les caprices de la capricieuse mode ; elle se pare, elle aussi, de larges emmanchures kimono descendant parfois jusqu’à la taille, qui n’en paraît que plus étroite au-dessus des hanches bien marquées. Le manteau de l’année, c’est le paletot court ou trois quarts, en forme plus ou moins accentuée, plongeant un peu en arrière, soigné de coupe, mais sobre de détails, à manches pagode et poches coupées ou appliquées, avec ou sans col, et toujours de teinte tranchante sur la robe qu’il cache.

Les chapeaux de cette saison sont charmants, et j’espère que leur charme déshabituera un peu les femmes de sortir tête nue ; si jolies que soient les coiffures, elles ne complètent pas une toilette comme le fait un joli chapeau. Donc nos chapeaux de printemps sont plutôt petits, mais très équilibrés, avec des calottes normales, bien coiffantes, un peu volumineuses, mais rationnelles. Les petits canotiers à bords ronds ou doubles, les bérets, les bobs, les toques, les cloches sont faites de gros paillassons ou de fines pailles soyeuses unies ou fantaisie, de feutres clairs, de jersey ou de souples lainages tendus. Les fleurs abondent, naturelles, charmantes : les roses, les myosotis, les lilas, les mimosas eux-mêmes. La grande modiste Agnès, toujours en avant lorsqu’il s’agit de lancer une idée neuve, nous propose d’adorables fleurs de paille blanche ou blonde dont le cœur et les pétales sont à peine rehaussés de tons pastellisés exquis. Les oiseaux, les ailes, les couteaux, les rubans, minutieusement travaillés, font aussi de bien ravissantes et printanières garnitures, et tous ces chapeaux sont enveloppés de l’ombre légère des voilettes claires, si seyantes.

La coiffure, elle aussi, a subi une sérieuse évolution ; aucune femme élégante ne veut maintenant de ces échafaudages de rouleaux grimpés sur crêpé, de ces pièces montées qui sont devenues si vulgaires. Les jeunes filles et jeunes femmes adoptent volontiers cette libre et juvénile coiffure américaine qui dégage le front et boucle sur les épaules si joliment ; les autres ont conservé les cheveux nettement relevés sur la nuque et les tempes bien dégagées, les nattes généralement postiches portées en diadème ou tombant sur le cou venant compléter avec une élégance sûre certaines de ces coiffures.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 165