La promenade de Versailles est certes une des promenades
favorites des Parisiens, qui aiment à aller, les beaux dimanches de printemps,
comme dans la chanson, admirer les appartements magnifiques, parcourir les
jardins à la fois si solennels et si intimes, ou encore voir jouer les grandes
eaux du palais que la volonté de Louis XIII et de Louis XIV édifia
dans un lieu auparavant désert. Nos ancêtres, eux aussi, aimaient à faire le
voyage — car c’en était un à l’époque — de la cité des eaux ;
ils n’étaient pas seulement curieux de visiter le château, mais aussi de voir
le roi ou la reine, de les contempler à table, d’examiner sur le lit royal le
chapeau tout simple que Louis XIV avait porté le matin à la chasse, ou
encore d’assister à une fête sur les pièces d’eau, fête qui devait ressembler à
quelque conte de fées oriental, avec tous ces courtisans et grandes dames vêtus
de soieries qui devaient si bien miroiter à la douce lumière des chandelles et
des torches.
Un service de voitures reliait Versailles avec la capitale.
Les voitures partaient de la place Louis-XV — aujourd’hui de la Concorde.
Elles étaient marquées de trois fleurs de lys sur leurs portières
démantibulées ; leur cocher, souvent sans culottes et sans bas, portait
néanmoins la livrée royale ; ces voitures portaient des noms
pittoresques : carabas et pots de chambre. Les voyageurs
étaient classés en singes et lapins ; en bref, c’étaient des
transports populaires, et les guides de Paris, dans leurs éditions successives,
se hâtent de conseiller aux étrangers désireux de visiter la demeure de nos
rois d’utiliser d’autres moyens de transport. Ajoutons que lesdites voitures,
sur lesquelles Louis-Sébastien Mercier a écrit une page charmante, empestaient
la belle promenade des Champs-Élysées lorsqu’elles passaient.
La baronne d’Oberkirch, qui vint à Paris en 1784 et assista
à plusieurs départs de véhicules pour la cité des eaux, nous a laissé de ce
spectacle un croquis charmant : « On aperçoit tout le temps les carabas
et les pots de chambre qui conduisent beaucoup de solliciteurs. Les carabas,
lourdes voitures qui contiennent vingt personnes, ont huit chevaux qui mettent
six heures et demie pour aller à Versailles ; il est curieux de voir ce
monde aussi entassé. Quant au pot de chambre, outre ses six habitants,
il y a encore deux singes, deux lapins et deux araignées. Les lapins sont
devant, à côté du cocher, les singes sur l’impériale et les araignées derrière.
Cela me paraît fort drôle, on n’a pas idée de cela dans nos provinces ».
Un édit du 3 janvier 1739 avait créé de nouvelles
voitures, propres, commodes, destinées à remplacer « les pots de
chambre, contre lesquels le public a toujours murmuré » ; on voit
que cette création ne réussit pas à supprimer les fameux pots de chambre,
qui, si nous en croyons plusieurs bons auteurs, étaient au contraire fort
populaires. En 1729, on avait fait poser des lanternes sur la route de
Versailles afin d’éviter les accidents.
À la fin du règne de Louis XV, un autre service de
transport en commun fonctionnait, concurrençant celui de la place Louis-XV.
« Vous pouvez aller de Paris à Versailles, écrit Le Rouge dans ses Curiosités
de Versailles, publiées en 1771, pour vingt-cinq sols, par le coche que
vous prendrez au bureau des voitures de la Cour, qui est à l’entrée du quai d’Orsay,
au bas du pont Royal ; il part deux fois par jour. Il y a aussi des
chaises à deux. On paye trois livres dix sols par place et on donne l’étrenne
au cocher, c’est-à-dire six à douze sols. Ceux qui veulent épargner vont par
eau pour cinq sols jusqu’à Sève (Sèvres), qui est la moitié du chemin, soit par
les galiotes de Sève ou de Saint-Cloud, qu’on trouve près du pont Royal
(ancêtres de nos bateaux-mouches) — elles partent à huit heures du matin
— ou par de petits bateaux qui partent à toute heure pour le même
prix. »
Mercier, dans son si amusant Tableau de Paris, nous a
dépeint les inconvénients de ces diverses voitures. « S’il fait soleil,
vous y arrivez grillé ; s’il pleut, vous êtes trempé comme une soupe.
C’est dans cet état qu’on débarque les Parisiens empressés de voir la majesté
du trône. » Arrivés devant la grille, le lapin et le singe s’ébrouent,
brossent sommairement leurs habits et entrent avec la plus grande dignité dans
le palais ; car rien ne les empêche d’aller assister au repas du roi, le
dimanche. Les bons badauds aiment, au temps de Louis le Bien-Aimé, venir
regarder le roi enlever d’un seul coup la calotte de son œuf à la coque.
« Promenade importante, dit Mercier, qui fournira un aliment aux
conversations de toute la semaine ; la servante des bons bourgeois
attrapera un torticolis à vouloir entendre le récit, maintes fois répété, de
cette équipée. »
Le dîner du roi est la grande attraction de Versailles. Un
touriste du temps de Louis XVI nous a laissé une description d’un repas
royal.
« Le dîner du roi en public, écrit-il, a plus de
singularités que de magnificence. La reine s’assit devant un couvert, mais ne
mangea rien ... C’eût été pour moi un très mauvais repas, et, si j’étais
souverain, je balayerais les trois quarts de ces formalités absurdes. Si les
rois ne dînent pas comme leurs sujets, ils perdent beaucoup des plaisirs de la
vie. » Le voyageur anglais qui écrivait ces lignes ne comprenait pas les
raisons profondes qui obligeaient le monarque à agir ainsi. Il est vrai que cet
insulaire regarda le palais d’un œil froid.
« Je l’ai vu sans émotion ; l’impression qu’il m’a
laissée est nulle. » Il est, empressons-nous d’ajouter, le seul de cet
avis.
Les visiteurs pouvaient, à leur aise, parcourir les pièces
magnifiques du château. Dampmartin, un brave provincial, se promène, en 1789,
dans tout le palais et est traité avec distinction, « quoique les boucles
de sa coiffure fussent horriblement dérangées et ses manchettes horriblement
froissées » ; il assista au jeu de la reine, regarda le dauphin
— le futur Louis XVII — jouer au loto. Certains visiteurs, afin
de ne pas s’égarer dans le dédale des couloirs, prenaient un guide, le plus
souvent un garde suisse. Des petits livres, d’ailleurs, donnaient toutes
indications utiles pour visiter le palais et les Jardins.
Parfois le visiteur va à l’aventure, comme Martin, un humble
faiseur de bas d’Avignon, qui, en 1789, parcourt tout le château.
Il regarde la reine dans son salon de jeux, note qu’elle
porte une robe d’indienne blanche parsemée de fleurs. Il furette dans
l’appartement du roi ; Louis XVI est à là chasse, Martin touche les
bas et la chemise préparés pour le monarque. Ces touristes sont évidemment de
tous les milieux. Il y a là de braves curés de campagne, qui, le parapluie sous
le bras, sont tout étonnés de contempler de près la majesté du trône ; des
étrangers éblouis de tant de richesses ; des solliciteurs venus présenter
un placet ; des gentilshommes provinciaux tout émus de voir de près leur
roi et leur reine : et enfin des filous attirés par l’espoir d’une
fructueuse journée. Car, malgré la surveillance très sévère exercée par des
gardes et des policiers en civil, on vole dans le château royal. Des coupeurs
de bourses soulagent les malheureux visiteurs de leur belle tabatière en or, de
leur bourse garnie de louis ; d’autres encore, plus effrontés, coupent
froidement les galons d’argent ou d’or des rideaux, ou s’approprient des objets
dans la chambre même du monarque. Mais le fait est à noter, à l’exception de
l’attentat de Damiens, le roi ne fut jamais, à Versailles, l’objet de tentative
d’assassinat, en dépit des règlements qui laissaient approcher de sa personne
les individus les plus suspects.
Roger VAULTIER.
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