Dans l’esprit de beaucoup de chasseurs, l’exercice de la
chasse à courre nécessite un certain décorum ; ils ne considèrent ce beau
sport que pratiqué seulement avec le faste des grands équipages, dont certains,
montés sur un pied presque princier, rappelaient ceux d’autrefois, ceux d’avant
la Révolution, où la vénerie avait atteint son apogée. Et, en une sorte de
défilé kaléidoscopique de souvenirs qui sembleraient illustrés par Oudry ou
Karl Vernet, ils revoient les meutes de grands chiens blancs, noirs ou
tricolores, derrière lesquels galopent des piqueux galonnés, d’ardents veneurs,
de pimpantes amazones, dont le groupe aux tenues éclatantes fait un cortège
multicolore ... Tout cet apparat, plus nécessaire qu’on pourrait le
croire, car il continue les traditions d’un art plusieurs fois centenaire et
uniquement français, est l’accompagnement obligatoire des chasses de la grande
vénerie, c’est-à-dire de celles du cerf, du chevreuil, du sanglier, du daim et
du loup.
Je ne vous apprendrais rien en vous disant qu’entretenir
semblables équipages est une chose fort coûteuse ; la nourriture des
chiens de meute — et des chiens d’élevage, — des chevaux, les gages
des hommes, les équipements, tenues, etc., les locations de territoires, droits
de passages, frais de déplacements, tout cela formait un total dont la lecture
en fin d’année contribuait pour beaucoup à la calvitie de nombreux maîtres
d’équipage !
Certains s’en tiraient en formant une société de chasse ou
en prenant des actionnaires qui, par leur apport annuel, permettaient de
boucler le budget.
Mais ces sortes d’affaires ne plaisent pas à tout le monde,
et une quantité de chasseurs qui ne pouvaient, pour bien des raisons, soutenir
un train si important n’ont pas voulu pour cela renoncer à chasser et à prendre
des animaux sauvages sans le secours du fusil. Voulant opérer à leur guise
— on a souvent grand’aise en petite maison ... — il ne
leur restait qu’à pratiquer la chasse à courre à pied, ne possédant qu’une
petite meute, mais dont ils étaient les maîtres.
Fallait-il y voir le désir d’êtres peu sociables qui se
sentaient incapables d’aliéner leur personnalité ou de subir sans les partager
les goûts différents de leurs associés ? Non, la plupart étaient des
convaincus, des fanatiques et qui, poussés par l’amour des responsabilités,
avaient, avant tout, le désir de créer et de diriger quelque chose qui fût bien
à eux. Choisir une race, acheter ses premiers chiens, trier parmi eux des
reproducteurs, élever, conserver ou perfectionner cette famille tout en sonnant
des hallalis, n’est-ce point là un programme capable de tenter bien des
chasseurs ?
Il ne restait donc qu’à courir le lièvre, premier des
animaux de vénerie et dont la prise est possible avec une petite meute de huit
à douze chiens, servie par un homme à pied. La partie financière se
simplifiait : plus de chevaux, plus de tenue, pas de location de forêt, un
effectif réduit, et voilà l’équipage prêt à opérer.
Il est de toute évidence que pour chasser à pied il faut des
chiens de train moyen. Quelque temps avant la guerre, certains avaient porté au
pinacle le chasser extraordinairement rapide de chiens d’un train très vif et
qui venaient de remporter un succès retentissant en épreuves de meutes ;
ce n’est pas moi, qui ai toujours aimé le chien vite et dépêchant, qui
condamnerai systématiquement ces meutes créées probablement pour un chasser
spécial dans un pays donné, mais il n’en demeure pas moins vrai que, dans la
généralité des cas, la chasse à courre du lièvre, à pied, ne peut être
pratiquée qu’en restant dans les traditions. Ce n’est pas grâce à des poussées
successives, menées d’un train fou, à des à vue étourdissants, qu’on peut
espérer, je ne dis pas prendre à chaque fois (pour le lièvre, il y a des jours
où les circonstances atmosphériques sont absolument contraires), mais
simplement chasser d’une façon correcte et régulière. La vérité est comme
toujours dans une sage moyenne. Et puis il est tout de même plus sport de
prendre avec des chiens de pied moyen, mais dotés des qualités de nez, de
sagesse et d’entreprise nécessaires pour défiler leur voie correctement, que de
faire du coursing ou de la corrida ...
Avant guerre, du Midi à l’Est, ces bonnes petites meutes
opéraient avec entrain ; dans le Bocage vendéen, il existait toute une
pléiade d’ardents chasseurs de lièvre ; partisans du grand basset à jambes
droites ou utilisant des briquets, ou même réunissant parfois briquets et
bassets au hasard de quelque expédition cynégétique de bon voisinage, ensemble
peu orthodoxe mais homogène, tellement il est facile d’ameuter des chiens de
pied différent pour chasser des lièvres, le nez aidant les pattes, et les
nombreux balancers, retours et difficultés permettant aux moins rapides de
rallier.
Chiens de Gascogne, d’Ariège, Porcelaines, beagles et
beagles-harriers, voilà les chiens qui composaient ces meutes, toutes servies
par des maîtres allants et vigoureux. C’est une chasse où il ne suffit pas de
bien marcher, mais où il faut savoir courir aussi.
C’est, de plus, une merveilleuse école de vénerie, beaucoup
de bons veneurs y ont fait leurs premières armes ; j’espère que bientôt
des jeunes pourront y penser à leur tour.
Guy HUBLOT.
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