Ces lignes ne seront pas, cette fois, quelque histoire de
chasse. Je vous demanderai, chers lecteurs, de me permettre de les consacrer à
celui qui, dix années durant, fut mon compagnon de chasse et vient de terminer,
bien tristement, hélas ! sa modeste vie de chien. C’est volontiers, j’en
suis certain, que vous m’accorderez la faveur d’évoquer son souvenir. Quel est
le chasseur qui n’aimerait en faire autant, car personne ne s’attache à son
chien comme un chasseur ? Vous connaissez la phrase célèbre, de Toussenel,
je crois : « Dieu créa l’homme et, le voyant si seul, il lui donna le
chien. » Boutade certes, mais qui n’en dit pas moins tout l’attachement
qui peut exister entre deux êtres aussi différents, et qui arrivent à se
comprendre tellement qu’ils finissent, en chasse, par ne plus faire qu’un.
Épagneul breton de bonne souche, puisque petit-fils du
célèbre Ajax, qui collectionna, des années durant, prix et récompenses
en expositions et en concours de chasse, son pedigree était constellé de
nombreuses étoiles qui brillèrent au sein du firmament canin et
cynégétique : les de Callac, les du Cosquérou, les d’Armorique, les de
Briange, avec noms de Rac, Pédale, Polka, Perle, Démone
et autres, y étalaient toute leur impressionnante renommée. Certains, je le
sais, se rient de ces considérations généalogiques et trouvent qu’un bon
corniaud, issu d’on ne sait où, est souvent aussi bon, sinon meilleur, qu’un
chien de race ; mais, s’il se trouve encore de ces gens-là, la majorité
des chasseurs est arrivée à comprendre, à présent, que le vieux proverbe
« Bon chien chasse de race » ne ment pas. Et ils ont raison. La preuve
en est que le nombre de beaux chiens s’accroît d’année en année et que la gent
corniaude trouve moins d’amateurs. Félicitons-nous-en et souhaitons que les
élevages, si désorganisés actuellement, retrouvent, bientôt, leur situation
florissante d’avant guerre.
Vous, les quelques-uns qui l’avez connu, vous savez, ce que
valait celui qui est l’objet de ces lignes. Certes, pour la plupart des
chasseurs, le chien que l’on possède est toujours un as. J’affirme, pour ma
part, n’être pas tombé dans ce défaut. Sa renommée locale, c’est lui-même qui
se l’est faite, et ce sont d’autres que moi, ceux qui l’ont vu à l’œuvre, qui
l’ont colportée à la ronde. Il la méritait bien d’ailleurs. Pourtant, je
l’avoue, certains défauts de structure l’auraient peut-être éloigné du ring des
expositions. Mais ses qualités de chasse n’en étaient pas diminuées pour cela,
et, mis six mois dans les mains d’un dresseur professionnel, il eût fait, j’en
suis sûr, une trialer capable de se mesurer avec beaucoup d’habitués des
concours de chasse. Une quête à l’anglaise, un arrêt superbe, un bon rapport,
et, surtout, un nez d’une puissance incomparable, que demander de plus à un
chien de service pratique ? Il n’en a pas fallu davantage au mien pour me
donner les suprêmes jouissances qui comblent l’âme du chasseur. Oh ! ces
arrêts en pleine course, dans des positions pétrifiées, parfois
invraisemblables, arrêts retournés, arrêts de côté, arrêts écrasés,
frémissants, en des poses dignes de tenter le ciseau du sculpteur ou le pinceau
du peintre ! Dans les chaumes dénudés, en bordure des taillis, dans les
dures pierrailles des garrigues, parmi les touffes bleues et embaumées des
lavandes, au marais surtout, au milieu des flaques d’eau morte ou des glaces
hivernales, la contemplation d’un chien à l’arrêt est, pour moi, un régal des
yeux. Plus encore que la quête, plus encore que le rapport. Et, pourtant, il
est beau le spectacle du chien qui, à la nage, fend les eaux en tenant un
colvert, en travers de sa gueule, ou qui, au galop et la tête haute, vous
rapporte la dame au long bec ou la perdrix rouge aux riches couleurs !
Près de dix années durant, j’ai joui de ces instants qui mettent en émoi le
cœur du vrai chasseur. Au marais surtout. Duc était admirable. Tenace,
intrépide par tous les temps, ne craignant ni l’eau profonde, ni la glace,
c’était, semblait-il, pour lui, une véritable passion. Les poules d’eau avaient
beau ruser ; elles n’avaient d’autre alternative que se lever ou se
laisser prendre ; les bécassines étaient arrêtées à cinquante pas dans un
beau style et les canards tombés à l’eau n’étaient jamais perdus. Bien au
contraire, en périodes de grands passages et les jours où la fusillade avait
été intense, ou bien le lendemain, il me rapportait bien souvent quelque pièce
perdue. Tel ce jour de Noël où, en quelques minutes, je le vis, par deux fois,
revenir vers moi avec une sarcelle ; une autre fois, c’était une cane
démontée de la veille qu’il était allé dénicher au plus épais des roseaux et me
rapportait triomphalement.
Je me souviens d’un jour où je tirai un lièvre qui, malgré
ses blessures, gagna le bois proche après avoir traversé un grand champ de
bruyères et de genêts épais et que, ma foi, je croyais bel et bien perdu. Le
chien, parti sur la piste, ne revenait pas malgré mes coups de sifflet répétés.
Enfin, au bout d’un bon quart d’heure, il arrivait et, bondissant autour de
moi, repartait, se retournant de temps en temps comme pour voir si je le
suivais. Il me mena ainsi jusqu’au lièvre étendu au bord d’un chemin ; il
l’avait apporté jusque-là, puis, le trouvant trop lourd ou trop encombrant,
était venu me chercher pour m’y conduire. Ce n’est certes pas là un exploit
extraordinaire, et je suis sûr que d’autres chiens ont pu en faire autant. Mais
ceci montre combien nos auxiliaires sont intelligents et précieux.
Le mien n’est plus. Quelques larmes émues, à la maison, ont
marqué le jour de sa fin. La place accoutumée est vide, et c’est bien souvent
que nos yeux l’y cherchent. J’eusse aimé qu’il reposât auprès de ces marais
qu’il avait tant parcourus en tous sens, dans les sables fins de cette île de
la Garenne dont il connaissait aussi bien que moi tous les recoins et où, à
présent, sans lui, je me sens si seul. Les circonstances ne l’ont pas permis.
Mais son souvenir m’y accompagnera longtemps.
Pauvre Duc !
FRIMAIRE.
|