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Travaux d’un garde chasse

S’il est un métier bien peu connu du public, c’est bien celui de garde chasse. Certains se le représentent sous la forme d’un garde champêtre du siècle dernier, d’autres, sous la forme d’un monsieur pas commode qui n’a pas grand’chose à faire, et se promène tout le temps, d’autres, enfin, estiment que c’est le métier qui convient très bien à un retraité de trente années de bons et loyaux services et qui a besoin de grand air. Laissons là ces différentes impressions et tâchons de faire le point exactement.

Un vrai garde-chasse ne s’improvise pas. C’est un véritable métier qui demande beaucoup de qualités et qui ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Métier qui demande une robuste constitution et une résistance de tout premier ordre. En dehors des connaissances techniques et pratiques indispensables, le garde doit chercher à se perfectionner. Il a tout loisir pour mettre en application ses qualités de travail, d’intelligence, de finesse, de minutie et de régularité. Au moral comme au physique, on ne doit pas trouver de brèches dans son honnêteté, sa tempérance, sa tenue extérieure, .son énergie et sa droiture. Mais, direz-vous, quels sont donc les travaux qui lui reviennent ?

Tout dépend de la chasse qui lui est confiée. Pour mieux faire voir l’étendue du métier, je vais le situer dans une chasse importante.

En premier lieu, lui revient la question de surveillance ou contre-braconnage. Cette surveillance constante demande une endurance de premier ordre, car les nuits sont souvent passées dehors. L’esprit d’observation, la connaissance de tous les procédés de braconnage, la façon de les combattre figurent parmi le bagage indispensable du garde, et sa ruse jouera souvent un rôle plus considérable que sa force.

Vient ensuite tout ce qui a trait à la protection du gibier. Or cette protection ne sera efficace que si le garde connaît parfaitement les ennemis, les mœurs, les besoins de chaque espèce de gibier qui lui est confié. Protéger le gibier, c’est détruire les animaux qui lui sont nuisibles, sans se rendre soi-même plus nuisible qu’eux, c’est piéger, empoisonner, gazer au besoin. C’est mettre le gibier à l’abri de la famine par des agrainages, des apports de fourrage, des cultures spéciales. C’est le mettre à l’abri des éléments par des couverts judicieusement placés, par des abris. C’est lui fournir l’eau indispensable à son existence en toutes saisons. C’est enfin savoir déceler les épidémies et les combattre.

Tout cet ensemble demande déjà un joli petit bagage de départ.

Ce n’est pas tout que d’avoir du gibier, il faut aussi savoir le faire tuer. C’est là tout l’art de la conduite des chasses. Connaître tous les genres de chasse, savoir faire un fermé, conduire une battue, savoir combien il a de pièces de gibier à faire tuer, combien il faut en ménager, savoir édifier une ligne de tir, faire le tableau des battues, vendre le gibier abattu, recruter les rabatteurs, etc. ...

Au point de vue légal, le garde doit connaître parfaitement toute la législation de la chasse, savoir dresser un procès-verbal, connaître ses droits et ses devoirs, non seulement pendant la chasse, mais aussi en battues de destruction d’arrière-saison. Connaître la législation sur la destruction des nuisibles, sur les reprises de gibier, etc. ...

Enfin, il doit être à même de pouvoir élever le gibier. Or l’élevage a lui seul peut remplir une carrière. Savoir reprendre les reproducteurs, les entretenir en parquets, mener à bien les couvées de faisans ou de perdreaux, sauver celles qu’on lui apporte, surveiller les portées de levrauts ou de chevreuils, savoir effectuer ses lâchers de gibier, au besoin acheter des reproducteurs, savoir ménager son gibier pour garder la graine suffisante pour la chasse prochaine, savoir déterminer l’emplacement d’une réserve, les sentiers d’agrainage, supprimer les voies d’émigration de son gibier, tout ceci ne s’invente pas et ne s’acquiert pas du jour au lendemain.

En plus du gibier, il devra connaître tout ce qui a trait à l’entretien de la chasse proprement dite. Édification des clôtures, grillages, sentiers d’agrainages, sentiers à fauves, sentiers de ronde, affûts de tir, affûts de surveillance, parquets, abris à gibier, abreuvoirs à gibier, ponceaux, entretien des tirés, layons de tir, fermés à lapins, entretien des huttes dans les chasses de marais, des sentiers dans les joncs, des bateaux, entretien de tout le matériel de piégeage (pièges, boîtes, assommoirs rustiques), de tout le matériel d’élevage (boîtes d’élevage, abreuvoirs, abris).

Souvent on confiera au garde l’entretien du chenil et même l’élevage des chiots, leur dressage, encore de quoi occuper une carrière.

Enfin, parfois, on lui confiera les armes (bien que je n’en sois pas du tout partisan).

Avec un tel programme, on comprendra aisément qu’un garde, un vrai garde, n’ait pas beaucoup de temps de libre devant lui. Il sera fort bien secondé par sa femme ou son fils. Dans les chasses moyennes, il faut ajouter que bien souvent la femme du garde a sa part de travail dans l’ensemble et que, de plus, la confection des repas des jours de chasse lui revient généralement.

Et, maintenant que nous avons vu tous les compartiments de l’activité du garde-chasse, je crois que nous sommes loin du métier de tout repos pour petit retraité ayant besoin de grand air ! Un bon garde doit commencer jeune ; il serait heureux que les propriétaires et les présidents de sociétés comprennent la valeur d’un vrai garde, et lui assurent honnêtement son existence. Mieux vaut un seul « vrai garde » que deux ou trois fantaisistes qui coûtent en définitive beaucoup plus cher. Le gros écueil de ce métier, c’est qu’il est instable, l’exemple tiré des trente dernières années le prouve pleinement. Que de bons gardes ont perdu leur place après les guerres de 1914 et de 1940 ! Que de fortunes ont sombré, combien sombreront encore ! Que de sociétés ont été formées qui ont disparu maintenant ou disparaîtront demain ! Il y a là un point vital à étudier de très près, d’autant plus près qu’on voudra remonter la chasse en France, cette chasse qui rapportait des millions, c’est-à-dire des milliards d’aujourd’hui.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°608 Juin 1946 Page 183