C’est par l’étude d’un ouvrage général sur le yachting à
voile que le débutant commencera son initiation. Il pourra compléter ensuite
par quelques études spécialisées et plus techniques, s’il désire approfondir
certains problèmes. Mais les connaissances générales ainsi acquises vont lui
permettre alors — et alors seulement — de préciser ses intentions et
son choix. Certains font le contraire, en particulier pour l’achat d’occasion
d’un bateau. Il faut se méfier du coup de foudre en pareil cas ; il est
souvent suivi d’amères déceptions. Il faut donc lire attentivement un ou deux
de ces ouvrages. Les enseignements reçus faciliteront considérablement le
matelotage.
Il est une idée courante que personnellement je ne partage
pas, idée qui se résume ainsi : rien ne vaut la pratique. La pratique,
certes, est indispensable, mais elle n’est pas tout. La pratique sans les
connaissances théoriques est souvent la routine aveugle. On se gardera
d’accepter les yeux fermés les sages conseils du vieux loup de mer. La pêche
est une chose ; la plaisance en est une autre. Un de mes amis charentais
en fit un jour l’expérience à ses dépens.
Il considérait tous ces yachtmen en pantalons blancs et
casquettes plates comme des snobs et des cafouilleux. Désirant acheter un bateau
de plaisance, il préféra consulter un vieux pêcheur, qui, ayant pas mal
bourlingué, résumait à ses yeux toute la science nautique. Et mon ami d’acheter
une réduction de thonier à voilure aurique, immense bout-dehors, forts espars,
dans lequel il fit aménager une cabine. Le pêcheur lui avait formellement
déconseillé ces sacrés mâts bermudiens de hauteur démesurée qui vous claquent
comme des allumettes au moindre coup de chien. Parlez-moi de ce bon vieux
gréement de pêche qui a fait ses preuves ; et ces bordés, et ces couples ...
de quoi entamer la jetée. Pour du solide, c’était du solide ! Mon ami en
aurait pleuré d’attendrissement. Seulement, l’année suivante, le thonier était
revendu ; son ex-propriétaire se faisait inscrire au club nautique, ce par
quoi il aurait dû commencer. Outre le cordial accueil qui lui était réservé, il
recevait les conseils de quelques yachtmen avertis. Et bientôt un vrai yacht
remplaçait le thonier, qui s’était révélé lamentablement lourd et lent,
difficilement manœuvrable et très inconfortable.
Le bateau de pêche et le bateau de régate ne conviennent pas
pour la croisière. Le bateau idéal, le bateau à tout faire, ça n’existe pas.
Chaque type correspond à un but bien déterminé et doit répondre à des
conditions multiples : prix, nature des eaux fréquentées, hivernage,
transport ... et enfin goûts personnels. Que l’amateur fasse donc
confiance à ses connaissances toutes fraîches et à son discernement ; et,
s’il veut faire appel à des expériences qualifiées, qu’il commence par s’inscrire
à la société nautique de sa résidence ou de sa région. La pratique viendra
vite. La navigation n’est pas une science hermétique comme certains semblent le
croire. Même si l’amateur envisage une navigation hauturière, qu’il sache qu’il
n’est plus nécessaire de savoir jongler avec les logarithmes pour résoudre le
problème du point. Les Américains ont formé en un temps record des capitaines
de navires pour leurs « Liberty ships », et ces capitaines avaient
été choisis parmi des civils dont la plupart ignoraient tout de la
navigation : des épiciers, des voyageurs de commerce, des libraires, des
cultivateurs ... et ces capitaines se sont révélés excellents. Voilà qui
bouscule certaines idées reçues sur la nécessité et la puissance des traditions
maritimes. Je m’excuse de cette digression, mais je l’ai jugée nécessaire pour
aider les amateurs hésitants à prendre entièrement confiance dans leurs
possibilités.
Il faut aussi se garder d’une erreur qui résulte d’un manque
de psychologie concernant l’invité. Vouloir une embarcation plus grande, parce
qu’exceptionnellement un ou deux invités séjourneront à bord, se révèle à
l’expérience un mauvais calcul. L’invité qui accepte votre offre avec
enthousiasme se récusera huit fois sur dix au dernier moment. N’espérez même
pas la présence de votre petite amie. À votre canoé, elle préférera la conduite
intérieure de votre camarade ; ça fait plus d’effet ... Ne comptez
donc que sur l’équipage absolument sûr.
Voici donc le moment venu de commander les plans, puisque
vous avez décidé de construire vous-même votre bateau. Pour une petite
embarcation, il est inutile de passer commande à un architecte naval. Toute
étude nécessite des calculs et des dessins minutieux, plus compliqués qu’on ne
l’imagine généralement. Il y a presque autant de travail dans l’étude d’un
petit yacht de six à sept mètres que dans celle d’un yacht de quinze à vingt
mètres. Vous auriez, en conséquence, une surprise désagréable au moment du
règlement des comptes. Vous trouverez, par contre, dans des maisons d’éditions
spécialisées des plans standard publiés en série pour la construction des
petites et moyennes embarcations, ce qui réduit le prix de revient de ces plans
de 80 p. 100 environ.
Ces études sont souvent accompagnées d’une notice
explicative suffisante pour mener à bien la construction. Parfois cette notice
plus copieuse forme un véritable manuel de construction pratique, et les plans
y sont fragmentés et reproduits au fur et à mesure des nécessités du texte, ce
qui facilite la compréhension des dessins. C’est le cas pour les remarquables
études faites sur deux petits voiliers excellents : le Moth, le yacht de
course le plus petit et le plus économique qui soit (3m,35 de long
et 6m2,80 de voilure), et le Sharpie (5 mètres et 9 mètres
carrés).
Il existe également des études très complètes sur le canoé
et le kayac, et des éditions vont sortir pour la construction pratique de
yachts de croisière de neuf à dix mètres de long, limite extrême de
l’amateurisme.
En possession des plans, l’amateur peut être surpris par la
complexité apparente des lignes. Mais une étude lente et réfléchie de chaque
planche lui permettra de concrétiser bientôt les formes de l’embarcation. Ces
plans doivent lui devenir familiers. Ils doivent « parler en relief ».
On peut maintenant commencer la construction en grandeur
vraie. Aucune objection si l’on possède une parfaite compréhension des plans et
de la notice et de solides qualités de bricoleur. S’il y a hésitation, il faut,
avant d’entreprendre la construction définitive, faire un brouillon,
c’est-à-dire une maquette à l’échelle des plans ou à une échelle supérieure.
On choisira des bois tendres qui pourront être taillés au
couteau. Les petites pièces seront collées si le clouage s’avère difficile, et
les lames de bois trop minces seront remplacées par du carton ou du papier
fort.
Il n’est pas indispensable, d’ailleurs, de pousser jusqu’au
bout la construction de la maquette. Celle-ci peut n’être que partielle et
comprendre seulement le squelette de l’ensemble. Mais on ira certainement
jusqu’à la finition, car c’est un travail des plus attrayant, et une jolie
maquette peinte ou vernie sera un très cher souvenir qui vous rappellera votre
premier bateau et le début de votre aventure marine.
A. PIERRE.
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