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La misère du vignoble Français

Il y a une douzaine d’années, la France avait une telle surproduction de vin que le Gouvernement prit alors des mesures radicales : distillation, arrachage, interdit sur certains cépages tels le Noah et l’Othello et quelques autres, contrôle sévère des importations de nos vins algériens et tunisiens.

À cette époque, la mévente des vins de consommation courante était telle que certains producteurs connurent la gêne, sinon la misère.

Les temps ont bien changé.

Six ans de guerre avec les destructions par bombardements ou mines, défaut de main-d’œuvre et de traction, de produits de toute nature, les mauvaises conditions climatériques ont appauvri notre vignoble de façon si appréciable qu’il ne suffit plus à satisfaire les besoins des consommateurs.

Nous ne dirons rien du manque de transports et de nos exportations !...

Il semble donc urgent de rénover le vignoble français. Si on en croit la presse, notre actuel ministre de l’Agriculture y a pensé.

Mais comment rénover ? Dans le désordre actuel des esprits, quel programme va-t-on adopter ? Faudra-t-il abandonner ou non les plants à grand rendement type Aramon au profit de la qualité ?

Les progrès scientifiques en agronomie et les expériences culturales de ces cinquante dernières années devraient suffire à établir un plan précis par les organes responsables.

On est confondu, quand on visite certains vignobles produisant des vins de table très ordinaires, de constater la variété considérable des cépages (variant d’une exploitation à l’autre) et semblant avoir été mis là sans but précis.

Quelle que soit la décision qui intervienne, il nous paraît indispensable de produire dans les années à venir des vins de qualité pour la consommation courante ; car, s’ils ne sont pas exportés, ils serviront à la fabrication du moût de raisin, dont il faut prévoir un accroissement sensible de la consommation.

Loin de notre esprit de prévoir un vin type, dont la réalisation serait impossible. Chaque région doit conserver son caractère propre.

Nous ne parlerons pas des vignobles donnant des crus classés, dont les cépages sont bien sélectionnés et bien adaptés, mais des vignobles faisant partie d’exploitations de polyculture et dont l’exploitant est le plus souvent, et par force, un vigneron d’occasion.

Voici quelques principes généraux qui permettront de le guider : il a été établi depuis fort longtemps que la plante se modifie avec le terrain et le climat.

La vigne ne fait pas exception : à titre d’exemple, des plans bourguignons, tel le Pinot, possèdent une vingtaine de variétés ; le Gamay en possède une douzaine. Enfin le Chasselas, si réputé, en possède une demi-douzaine.

La reconstitution peut avoir simplement pour but le remplacement de plants vieillis, ou morts ; dans ce cas, il s’agit d’un simple entretien, ou la création d’un nouveau vignoble.

Choix du terrain.

— Nous savons que la vigne a des racines peu profondes, mais qui s’allongent horizontalement.

Partant de cette observation, il faut un sous-sol assez profond ; si le sous-sol est rocheux, il devra être constitué par une roche effritable très fissurée, perméable aux racines, des terrains graveleux ou caillouteux ont la préférence. Il a été constaté que les cailloux, conservant la fraîcheur, limitent la pousse des mauvaises herbes et, pendant les chaleurs, ralentissent le refroidissement nocturne. Il est donc inutile d’épierrer les terrains qui doivent porter un vignoble.

Un défonçage précédant la plantation est conseillé.

L’orientation sera au Sud-Est.

Choix de cépage.

— Que l’on s’adresse aux producteurs directs ou aux plants greffés, le choix du cépage est de la plus haute importance, et le viticulteur doit opérer avec la plus grande prudence en tenant compte des considérations suivantes tirées de la pratique :

Choisir de préférence un cépage déjà acclimaté dans la région immédiate (nature du sol, exposition), résistant aux maladies, vigoureux, donnant une bonne récolte moyenne et produisant un vin franc de goût, parfumé, d’un degré alcoolique élevé assurant sa conservation et sa vente (les vins se vendent au degré).

Le plant choisi, encépager avec une seule variété dominante, corriger les défauts du vin produit par ce cépage par un ou deux cépages complémentaires de même maturité, ainsi que cela se pratique dans les vignobles de certains crus classés.

Ceci amènera le cultivateur-vigneron à s’adresser presque toujours à un voisin capable ou à son organisme professionnel.

Qu’il s’agisse d’un producteur direct ou d’un plant greffé, il faudra choisir avec soin des sarments sains, de même grosseur, récoltés sur des ceps n’ayant pas perdu leurs feuilles prématurément à la suite de maladies cryptogamiques, ces mêmes feuilles ne devront pas être très découpées, ce qui indiquerait un signe d’infertilité, elles doivent être entières, c’est-à-dire le moins découpées possible.

Le bouturage se fera de la façon habituelle. La mise en terre de novembre à mars, suivant les régions.

S’il s’agit de greffes, le choix du porte-greffe sera une chose très délicate ; il en existe, en effet, un nombre assez considérable bien adaptés à un terrain donné ; qu’il s’agisse de terrains compacts, humides, secs ou calcaires ; la richesse en calcaire joue toujours un rôle prédominant.

Nous terminons en faisant connaître aux vignerons français qu’il y a exactement quarante ans nos Services techniques de viticulture ont aidé les Argentins à fonder à Mendoza (au pied de la Cordillière des Andes) un vignoble de plants fins en leur fournissant cépages et levures sélectionnés.

Les Américains du Nord ont fondé de toutes pièces le village de Saint-Émilion !... Les Hongrois produisent un cru renommé : le Tockay. Enfin, nous avons dégusté, avant l’autre guerre, du vin rouge russe d’Odessa, ce vin était un peu dur, mais parfaitement buvable.

On prête aux viticulteurs de cette dernière région l’intention d’augmenter leur vignoble de plusieurs milliers d’hectares ?...

Allons-nous rester inactifs ?

V. ARNOULD,

Ingénieur-agronome.

Le Chasseur Français N°608 Juin 1946 Page 204