Nous terminions la précédente chronique en appelant des
moyens de traction pour la terre, des engrais en abondance pour les plantes. La
campagne agricole 1945-1946 n’est plus guère en cause si l’on envisage l’action
du cultivateur ; c’est donc déjà à la récolte de 1947 qu’il faut songer et
pour laquelle il est nécessaire de préparer un plan de campagne.
Malgré tous les espoirs que l’on caresse en vue d’améliorer
les moyens de traction, la cadence d’apparition des tracteurs est tellement
lente qu’il convient de regarder la vérité en face, sans pessimisme, mais en
toute objectivité. Ou importe-t-il de faire pour la terre à l’aide des éléments
du bord, laissant aux moyens supplémentaires la possibilité de nous aider, de
nous permettre de faire mieux ?
C’est encore au blé qu’il est utile de s’attacher. Je ne
voudrais pas essayer de chiffrer combien de quintaux nous ramasserons à l’août
prochain, seulement, nous consommerons avec une telle rapidité les premiers
sacs ! L’Afrique du Nord donne de l’espoir, mais n’annonce-t-on pas que la
métropole va lui faire un emprunt en blé de soudure ? Il est indispensable
de songer au stock de sécurité destiné à la soudure 1947. Enfin les surfaces
ensemencées sont encore loin de celles de 1938. Soyons donc raisonnables et
préparons-nous à un sérieux effort cet automne.
La terre ? C’est à partir de mai que les premiers
fourrages sont enlevés, puis les récoltes se poursuivent. Afin de mieux occuper
le terrain, s’il est propre, pour accroître les ressources fourragères, on peut
recommander de conduire rapidement du fumier à mesure que les parcelles sont
libres, de labourer en vue d’une nouvelle production ; pas de maïs en
espérance dans les régions qui importent de la semence, tout le disponible va
servir à la préparation de notre pain ; je vois possible la culture du
moha, des semis successifs, et l’on ira jusqu’en septembre-octobre. Sans
fumier, sans bétail, tout de suite et sans perdre un instant, au travail
complet de la terre.
Il ne s’agit pas de se mettre partout au labour, mais
d’empêcher tout d’abord la terre de durcir, de se croûter ; un coup de
canadien, de scarificateur, et ensuite, quand on a paré au plus pressé, la
charrue commence son œuvre. Cette terre que la charrue retourne a été
médiocrement fertilisée depuis quelques années, il est inutile d’appeler à la
grande activité une couche épaisse, ou bien il faudrait disposer de fumures
importantes pour satisfaire ce premier besoin qu’éprouvent les particules
terreuses de tendre vers l’immobilisation des éléments apportés. Par
conséquent, dans les cas les plus généraux, un labour moyen, fait par temps
opportun ; ne pas gâcher la terre en la remuant si elle est humide ;
redouter aussi un nuage de poussière en attaquant ce qui est sec. Si le terrain
a été envahi par les chiendents, prendre moins de profondeur, plus de largeur
et préparer des mottes, des bandes fragmentées qui vont être pénétrées par le
soleil déjà chaud et se prêteront ensuite à une démolition progressive, à la
herse, au canadien, afin d’entreprendre une petite jachère fréquemment
travaillée pour extirper les rhizomes.
Si la terre n’est pas ainsi embarrassée, une fois ressuyée,
la herser et commencer à remuer également au canadien en vue d’un
ameublissement sérieux. Un peu plus tard, un second coup de charrue sera
effectué. N’allons pas plus loin dans la voie des précisions, car les aspects
sont tellement divers que ce serait illusoire. Retenons les principes
généraux : ouvrir rapidement, labourer en réglant le labour suivant l’état
de la terre et sa nature, puis passer dans les champs en préparation chaque
fois qu’on en trouve l’occasion ; par-dessus tout, ne pas laisser durcir,
et, si des mauvaises herbes apparaissent, les détruire sans tarder.
Ayant ainsi agi, le cultivateur n’aura rempli qu’une partie
de sa tâche ; physiquement, on sera satisfait après quelques opérations,
mais aura-t-on mis sur pied un programme complet ? Ce qui manque aux
terres, c’est de la matière organique. Les fourrages retournés laissent peu de
débris. Dans les terres propres, il n’est pas déplacé de songer aux engrais
verts. Le problème n’est pas d’une solution facile ; on voudrait bien, non
seulement préparer de la matière organique, mais parallèlement enrichir en
azote en s’adressant à une légumineuse. Le tour est rapidement fait des plantes
à cultiver et à enfouir avant les semailles de blés ; naturellement ni
trèfle ni minette, pas davantage de trèfle incarnat ; les vesces en
terrains assez frais semées en juin peuvent donner quelque chose fin août début
septembre ; c’est bien tard, car il faut songer au soulèvement de la terre
provoqué par la masse enfouie ; même réponse pour les pois ; il ne
saurait être question de la serradelle, qui pourtant est quelquefois l’objet de
présentations fallacieuses. Il ne reste plus qu’une crucifère, la moutarde
blanche, plante de secours qui a le grand mérite d’exiger peu de graines dont
le prix n’est pas trop élevé ; surtout, elle évolue en quelques semaines
et est possible dans toutes les terres.
Si l’on a la chance de semer par un temps couvert, en peu de
jours le terrain est garni, l’altise n’apparaît pas, et bientôt, étouffant les
mauvaises herbes annuelles, la moutarde s’étale, commence à monter ses tiges
garnies de bonnes feuilles, les fleurs apparaissent ; ne pas laisser les
graines se développer, et enfouir. L’enfouissement des plantes engrais verts
n’est pas toujours commode, le roulage préalable conviendrait avec labour en
planches plus ou moins larges ; pour le labour à plat, fauchage avec mise
dans la raie à la fourche, ou encore disposer sur la monture de la charrue une
chaîne avec un poids traînant dans le fond de la raie ; ainsi les tiges
sont courbées devant le coutre ; une rasette est utile.
Maintenant, avec une culture réussie de l’ordre de 12 ou 15 tonnes
de matière verte, la terre est soulevée, et, sauf dans les sols à éléments fins
et battants, il faut se méfier d’un état physique défectueux pour les jeunes
blés ; le tassement très énergique du sol s’impose immédiatement après le
labour, et l’on pourrait, quelques semaines plus tard, recouper, non pas à la
charrue qui sortirait tout, mais au pulvériseur à disques,
Cette matière organique incorporée donnera de l’humus,
source de vie pour les colonies bactériennes qui ont vu leur activité bien
ralentie au cours des mauvaises années et, en partant de cet état, il sera
possible d’espérer une meilleure utilisation des engrais complémentaires qui
seront peut-être au ... complet à l’automne prochain.
S’il est ainsi urgent d’envisager le travail des terres
ayant fourni les premiers fourrages, il est sage de procéder à un entretien
aussi parfait que possible des cultures sarclées ; que la houe passe et
repasse, là encore après avoir procuré des facilités de développement plus
grandes pour les cultures en terre, on améliorera la condition des blés qui
leur succéderont.
Souhaitons que, pendant ces mois d’activité aux champs, la
préparation des céréales en terre se poursuive favorablement et que, par
l’octroi de recettes suffisantes lors de la réalisation, les pouvoirs publics
fournissent aux cultivateurs les moyens financiers nécessaires afin qu’ils
travaillent en confiance.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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