Tout paradoxal que cela puisse vous paraître, vous ne vous
assurerez une ponte raisonnable que si vous tenez peu de poules en élevage
familial, dans les circonstances actuelles, lorsque vous ne disposez pas de
grains ni d’autres provendes. À condition que ces poules soient de bonne
souche, que vous les logiez et les soigniez bien, moins vous en aurez, plus
vous récolterez proportionnellement d’œufs.
C’est ce qui se dégage de ma propre expérience de 1940 à
1945 dans la zone méditerranéenne. J’eus d’abord sept poules, dont je voulais
comparer le rendement : trois poules communes, du type Bresse, achetées
dans une ferme ; deux wyandottes blanches, deux Sussex herminées, ces
quatre derniers sujets provenant d’un excellent élevage de sélection.
Ne disposant pas de nourriture suffisante, je dus d’abord
éliminer graduellement les trois poules noires qui pondaient infiniment moins
que les quatre autres ; puis me limiter à deux : une wyandotte, une
Sussex, et définitivement à une.
Vos poules comme vos lapins doivent vivre sur vos propres
ressources : déchets et surplus de votre jardin ; déchets, reliefs et
dessertes de votre table et de votre cuisine, fortement limités ; vers,
escargots, insectes, larves, que vous pouvez trouver ; dans la mesure où
vous en pouvez ramasser : orties (feuilles et graines), feuilles de
trèfle, stolons de chiendent que vous coupez en morceaux, baies de maints
arbres et arbustes : sorbier des oiseaux, aubépine, buisson ardent,
cotonéaster. Êtes-vous à proximité de la mer ? petites crevettes,
coquillages, ceux-ci écrasés. Si vous pouvez donner à vos poules libre
parcours, elles trouvent une partie de leur vie dans les gazons : herbes
tendres, insectes, vermisseaux, larves, etc.
Les premiers résultats fragmentaires et tardifs de mon essai
avec sept poules furent nettement déficitaires en œufs. Leur alimentation était
trop limitée en quantité, malgré qu’elles absorbaient beaucoup de
verdure ; mais, surtout, en qualité. Une Sussex déclencha sa ponte fin
décembre, la seconde au début de janvier. Les premiers œufs pesaient 55 a 57 grammes ;
le douzième de la première, 70 grammes. Les autres poules n’avaient pas
encore pondu au milieu de janvier. Elles ne fournirent que quelques œufs et
plus tard, sauf les deux wyandottes, qui commencèrent leur ponte dans la
seconde quinzaine de janvier. La ration était suffisante pour l’entretien de
ces poules, insuffisante pour une production normale. Si je m’étais tenu a deux
poules nourries substantiellement, elles auraient pondu plus tôt et leur ponte
aurait été plus soutenue et plus abondante. Dans des conditions correspondant à
celles-ci, ne tenez qu’une poulette par deux ou trois personnes à table d’une
famille, deux au maximum pour quatre personnes. J’ai obtenu un résultat confirmatif
en ne tenant plus que deux poules, puis une. Et, lorsque ces poules ont dû être
graduellement sacrifiées, la ponte achevée et parce qu’elles demandaient à
couver, elles avaient pris du poids et elles étaient très grasses.
Mes poules recevaient :
1° le matin, une abondante
pâtée mi-cuite de feuilles de choux hachées, de toutes les épluchures de
légumes préalablement lavées et hachées, y compris même les pelures d’oranges,
de mandarines, de citrons qui les aromatisent. La cuisson attendrit et rend ce
mélange juteux. Également les escargots ramassés tôt.
2° À midi, des épluchures et des feuilles de légumes verts
hachées et crues : choux, chicorée, laitue romaine, bette, oseille avec
leurs pétioles, verts d’oignons, de poireaux, cosses de pois, etc. ; les
résidus du moulin à légumes ; dès juin-juillet, les résidus avec les
graines des tomates, piments doux et forts, aubergines. Elles raffolent des
graines de ces trois légumes, des graines de melon et concombre, des côtes de
melon. Selon les disponibilités, elles recevaient aussi toutes les miettes et
fragments de pain, marc de succédané de café, déchets de viande (peaux, nerfs,
etc.), têtes, queues, écailles, arêtes de poissons, croûtes de fromage
fractionnées en minuscules fragments.
3° Le soir, une grande heure avant le coucher du soleil, la
même pâtée mi-cuite que le matin leur était fournie, mouillée chaque fois que
cela était possible avec l’eau de cuisson de pâtes. Avec un complément, lorsque
mon jardin me le fournissait, de quelques grains de maïs, tournesol, sorgho, grains
dont elles raffolent, donnés à la dose nettement insuffisante de 5 à 6 grammes
par tête. À défaut, les fruits rouges des arbres et arbustes.
Enfin, chaque fois qu’il était possible d’en découvrir au
cours des façons culturales, de gros vers de terre rouges et d’autres plus
petits du fumier et des terreaux. Les poules sont avides de ces gros vers, mais
pas en permanence : d’abord quand la mue est déclarée (donnez-leur
également beaucoup de choux) et jusqu’au moment où les plumes sont repoussées.
Puis elles les dédaignent pour les absorber avec voracité lorsque la ponte se
déclenche et irrégulièrement pendant toute la durée de celle-ci. Ne rejetez
rien, même pas les intestins de lapin : lavés, cuits et hachés, ce sont
autant d’éléments dont vos poules profitent et qu’elles transforment en œufs.
Dans la mesure où vous pouvez le faire, coupez du petit
trèfle blanc ; incorporez-en haché aux pâtées ; faites-en sécher pour
l’hiver en le réduisant en farine. Sous les deux formes, ces feuilles de
légumineuses vous fournissent de la protéine végétale, à défaut de protéine
animale. Et, si vous pouvez vous assurer du sang et des déchets de viande, vous
augmentez vos possibilités et vos récoltes d’œufs.
Jean PIERRE.
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