Le passage du mois d’octobre dernier a été dans ma région,
au nord des Landes, caractérisé par un mouvement très abondant de palombes.
Très peu de glands pour les attirer vers le bois, grande sécheresse pour les
inciter hors bois à rechercher les points d’eau. Cependant un adroit paloumaire
a réussi, dans un petit bois proche de chez moi, à capturer au filet et à tirer
au fusil environ 540 palombes, ce qui, dans ma région, est un beau succès.
Dans les prairies longeant de petits cours d’eau dont on
avait provoqué l’inondation, beaucoup de palombes, poussées par la soif, sont
venues à tire-d’aile se faire tirer, avant le verre d’eau tentateur. Il est
passé vraiment beaucoup plus de palombes qu’avant la guerre. Le passage de
retour hors bois fut aussi excellent.
En 1943, j’avais en octobre fait un assez long séjour chez
moi au moment du passage. « Les bêtes qu’on appelle sauvages », comme
les a si justement dénommées Demaison dans son admirable livre, étaient, comme
celles du parc Monceau, tout à fait domestiquées et se laissaient approcher.
Elles vous contemplaient gentiment sans crainte, du haut de leurs pins, et ne
se levaient que lorsque vous leur en intimiez l’ordre, en hurlant dans un
porte-voix.
Depuis lors, la grenaille, cependant peu abondante, leur a rendu
la crainte de l’homme, et l’approche d’un vol de palombes est, comme toutes les
tentatives de ce genre sur des oiseaux très sauvages, parfois très amusante.
Mais l’attente du vol qui doit être attiré par les appeaux est, pour moi, je
dois l’avouer, un jeu passionnant. Je me souviens d’une journée d’avant guerre
dans les bois de pins de Saint-Christophe, au nord des Landes, où j’ai vécu
longtemps de si belles heures de chasse. Nous attendions les palombes. Pas un
vol. De temps en temps, une troupe de geais apparaissait ; ils étaient de
passage. Mais le passage des geais est comme le voyage d’un touriste qui n’est
pas pressé. Il va d’un arbre à l’autre, fait cent mètres, d’un chêne bourré de
glands à un chêne-liège, s’arrête encore, puis repart. J’en ai vu voler aussi
très haut, comme si rien de la terre et des arbres ne devait plus les
intéresser. Je regardais les geais, les pins qui découpaient si bien leurs
troncs noirs et leurs fines aiguilles vertes dans le ciel bleu. Tout paraissait
d’un calme reposant. J’ai souvent constaté dans la vie de la nature, comme dans
celle des hommes d’ailleurs, que le calme plat et la tranquillité qui ressemblent
au bonheur sont brutalement dominés par l’adversité. Les appeaux étaient là
devant nous. Ils voletaient de temps en temps comme pour se dégourdir les
ailes. Il faut avouer qu’il n’est pas drôle de rester ainsi perché sur une
barre toute la journée. Il est pénible de supporter longtemps le sentiment de
son inutilité, et les palombes de la servitude étaient inutiles, puisque la
migration de leurs congénères tardait tant à se déclencher. Le sentiment du
veilleur attentif était d’ailleurs le même. Sans palombes, il passait son temps
à scruter l’horizon et éprouvait une grande lassitude. Il était 10 heures,
le 6 octobre, le jour de la foire de Puch, qui est généralement un jour de
grand passage. Pas une palombe. À 11 heures, un épervier fonce sur un
appeau. À temps, nous tirons en l’air un coup de fusil et le rapace, grand
ennemi des palombes, s’échappe effrayé, à tire-d’aile. Cet oiseau de proie
était le premier d’une bande de migrateurs de son genre. Nous prîmes un parti.
Toutes les fois qu’un épervier se présentait à l’horizon, au-dessus des petits
chênes et des pins avoisinant notre chasse, nous tirions sur la ficelle du
premier appeau, il fonçait dessus, et nous l’abattions en plongée à 5 mètres
de son but. Le tir était amusant. Ce fut une matinée d’utile destruction. Sans
doute avions-nous manqué quelques oiseaux. Mais nous avions abattu cependant
treize éperviers divers et une buse en une heure et demie, ce qui est, vous le
savez bien, mes amis les chasseurs de palombes, une utile opération. Puis ce
passage de rapaces terminé à 15 heures, le passage de palombes reprit
jusqu’à la nuit. L’appeau, qui avait si bien attiré son plus grand ennemi une
partie de la matinée, se mit à battre des ailes de la même façon pour attirer
vers le pin de pose ses sœurs ailées et libres. Et, quand je vis dans la
cabane, en un étrange mélange, les oiseaux chasseurs et les oiseaux chassés, je
fus pris, moi, vieux chasseur, d’une grande commisération pour les
« chassés », mais je réfléchis et pensai que la réussite de la chasse
aux oiseaux de proie des premières heures avait peut-être sauvé beaucoup plus
de palombes innocentes que celles que nous emportions dans notre petit panier à
gibier, après une bonne journée au bois de Saint-Christophe.
Jean de WITT.
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