Les courtes études que nous avons faites sur la chasse à
pied, en parlant du courre du lièvre, nous ont valu un abondant courrier, ce
qui prouve que, par les temps actuels, cette question semble intéresser les
chasseurs. Beaucoup, en effet, n’ont plus de chevaux et, pour houspiller les
sangliers ou les renards, sont obligés de suivre en piétons, ce qui les fait
entrer dans la cohorte des fanatiques dont nous parlions.
Cependant, la chasse des grands animaux, si on ne les
assassine pas, dès le lancer, en entourant une petite enceinte avec un grand
nombre de tireurs, n’est pas des plus facile quand on veut poursuivre avec une
certaine quantité de chiens et jouir, avant le coup de fusil final, des
péripéties d’une belle menée.
Il y a plusieurs façons de tuer des lièvres : on peut
les fusiller au gîte ; on peut aussi les tirer au débouler, ou les tuer
après une bonne randonnée devant des chiens courants ; cependant, le plus
sportif est, personne ne nous contredira, de les prendre à courre.
De même, pour chasser les bêtes noires, il y a des degrés
dans l’échelle du sport, et plus le nombre de chiens augmente (c’est-à-dire le
train effectif) et plus les difficultés s’avèrent sérieuses.
C’est pour avoir oublié cela que nous verrons bientôt
disparaître ces sangliers qui, pour certains, semblaient inépuisables.
Quand, sur des territoires bien connus et depuis longtemps
prospectés, on totalise le nombre des victimes de la dernière saison, il y a de
quoi frémir ! Surtout que, pour un sanglier tué dans ces parties de
chasse, on oublie le nombre des blessés qui vont crever dans quelque
coin ... Et cela fera voir qu’il aurait mieux valu chasser correctement
que de pratiquer cette « chasse cuisinière » qui restera sans
lendemain.
Du fait de la guerre et de l’abondance temporaire des
sangliers, de nombreux petits vautraits se sont montés. Il n’est pas besoin de
donner des conseils à ces maîtres, chez qui l’amour de la chasse avec des
chiens de bonne espèce est une garantie et qui certainement pratiquent les
règles du beau chasser. Au lieu de créer des équipes de destruction (quel
horrible terme pour un chasseur ...), j’espère plutôt que les petits
équipages de chasse à tir se reformeront et, très sportivement, pourront aussi
forcer des lièvres ou des renards à l’occasion.
Cela fut fait en des temps qui ne sont pas si lointains. Il
ne faut qu’un peu de feu sacré et, si j’en juge par les jeunes maîtres qui ont
présenté en expositions canines, cette année, de si jolis ensembles, tout
espoir n’est pas perdu.
Certains disciples de saint Hubert qui ont peu chassé ou, ce
qui revient au même, seulement sur le même terrain, s’imaginent que la chasse à
courre du lièvre, par exemple, est la même pour toute la France. Ils oublient
que la qualité de la voie diffère grandement et, que fort légère et médiocre
dans le Midi, elle s’améliore à mesure que l’on monte vers le Nord. L’aspect du
pays, sa culture, la densité des animaux chassés modifient la physionomie du
courre. Lorsque les champs sont morcelés, quand on passe d’un chaume de blé en
un boqueteau où l’animal se fait battre, pour ensuite se relaisser dans une
vigne, avant de repartir, en longeant des haies, pour se taper de nouveau dans
des choux ; quand il passe d’un coteau dans un vallon, que la voie change
avec l’altitude ou le terrain, qu’il donne dans des troupeaux, qu’il traverse
des routes goudronnées et empoisonnées par les autos, que les mâtins et chiens
errants abondent et viennent voler la voie ou gober l’animal de chasse sur ses
fins, il est facile d’imaginer que les différences sont sensibles et que la
durée d’une chasse peut varier du simple au double ; comme les résultats.
C’est pour cela que le chien de petite vénerie, surtout
l’anglo-français de petite taille, ne peut être enfermé dans les descriptions
étroites et immuables d’un impossible standard. Suivant le pays où il opère, le
maître dosera le degré plus ou moins grand de sang français, à moins qu’il ne
soit obligé d’avoir recours à la formule anglaise, avec l’appoint de nez et de
gorge nécessaire chez nous.
Mais que les débutants n’oublient pas que nous sommes en
France, en un pays où l’on chasse toujours et, nous pouvons le dire, mieux que
partout ailleurs ; que les vieilles races avaient été amenées à un point
de perfection que nous avons peine à imaginer, par des gens aussi chasseurs et
aussi connaisseurs que nous et qui, de plus, avaient bien d’autres
moyens ...
Si les conditions de la chasse ont changé, le fond doit
demeurer, et il ne faut pas perdre sous ce prétexte, en des croisements de
hasard, ce magnifique patrimoine que représentent les races de chiens courants
français qui fut l’œuvre de générations de veneurs.
Guy HUBLOT.
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