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Le lancer léger

Le black-bass

Le black-bass, dont nous avons étudié les mœurs dans notre étude précédente, est extrêmement goulu, mais, comme tous les représentants de la famille des percidés, il ne mange qu’à ses heures, et ses heures ne sont pas du tout régulières. De sorte qu’il est un peu décevant : il boude complètement pendant des heures, et parfois des jours, et puis, tout à coup, il est pris de fringale et s’accroche sur n’importe quoi.

Si on n’est pas fixé sur le mode de pêche à employer, on peut toujours essayer n’importe quoi, car notre poisson est très éclectique : au vif, à la grenouille, au ver, aux asticots, aux insectes naturels, etc., vous le prendrez fort bien.

Mais c’est à la mouche, sèche ou noyée, et au lancer lourd et surtout léger que le black vous donnera le plus de plaisir.

Tous les appâts que nous avons décrits peuvent prendre du black-bass. C’est un poisson vorace et pourvu d’une gueule énorme ; donc, s’il le veut, il peut avaler n’importe quoi. Mais, pareil à une comédienne illustre en face de son débonnaire directeur, voudra-t-il !

J’ai cru constater qu’il « voulait » surtout quand il s’agissait de petites cuillers plombées allongées et garnies d’un pompon rouge (sans pompon, cela va bien aussi !), de poissons nageurs très mobiles et pas trop grands (taille goujon), surtout les leurres légers en matières flottantes qu’on peut faire plonger par saccades, laisser remonter, diriger parmi les nénuphars et autres végétaux, et aussi de grosses mouches à hélice très brillantes, plombées de façon à peser 2 à 3 grammes.

Les Américains, beaucoup plus férus que nous de la pêche de ce poisson (mais ça viendra !), ont inventé à son intention une quantité de leurres : grenouilles artificielles, flottantes, qu’on déplace par saccades, gros poissons nageurs à hélices indépendantes, et une sorte de bizarre petit œuf jaune en bois, avec une hélice à l’avant et une à l’arrière et deux grappins sur les flancs, qui se déplace en surface en produisant un remue-ménage effroyable et un grand sillage en forme de V, et qui, à mon avis, ne peut représenter qu’un très jeune caneton. Je pense que cela est excellent pour les énormes blacks des lacs canadiens, mais je l’ai vu employer en France sans succès (ce qui ne prouve d’ailleurs rien, comme toutes les observations négatives).

Chez nous, il semble qu’il faille s’en tenir aux appâts petits, légers et très colorés, pouvant être manœuvrés lentement et irrégulièrement.

Pour ce poisson, il est tout à fait inutile d’employer des cuillers à hameçons triples. L’hameçon simple accroche beaucoup mieux la capture et beaucoup moins les herbes.

Il faut pêcher avec précision et discrétion. Avec précision, pour placer le leurre dans les espaces libres parmi les herbes et aussi, lorsqu’on voit le poisson, pour poser l’appât, le plus doucement possible, non pas devant son nez (faute à ne pas commettre), mais avec délicatesse : un « plouf » violent le met en fuite. Une chute imperceptible, à bout de trajectoire, avec un rond minuscule, le fait se retourner et sauter sur ce qui bouge, là, tout petit et chatoyant.

Si le poisson est en mouvement, battant l’estrade comme un loup quærens quem devoret, lancez l’appât assez loin de lui pour qu’il ne l’entende pas tomber, puis ramenez-le de façon qu’il coupe sa trajectoire non pas devant lui, mais derrière. Le mouvement n’est pas facile à calculer. Mais, s’il est réussi, la capture est à peu près certaine. Le vorace « entend » vibrer le leurre, se tourne, l’aperçoit et saute dessus. Si le passage avait eu lieu devant son nez, il aurait probablement fui à l’ouïe et à l’aspect du bas de ligne tranchant l’eau.

Car, s’il n’est pas précisément timide, il est rusé.

Sa touche est aussi brutale que celle d’un brochet. Et sa défense est « spectaculaire » : non seulement il tire comme un sourd et multiplie les coups de sonnette, mais il n’est pas un poisson d’eau douce qui bondisse plus fréquemment et plus haut que lui hors de l’eau au cours d’un combat.

L’hameçon tient assez bien dans sa gueule et, comme celle-ci est plus solide que celle de la perche, on le perd moins souvent par décrochage que s’il s’agissait de cette dernière ou d’un brochet.

Appâts naturels.

— Un poisson mort : ablette, goujon, etc., sur monture tournante, ondulante ou vacillante, réussit très bien. Mais, étant donnée l’abondance des herbes dans la plupart des places où on le trouve et le fait que les leurres artificiels ont presque autant de succès, ces derniers, que les herbes ne déforment pas, sont à préférer.

Un petit poisson vivant, accroché par les deux lèvres à un hameçon simple, avec un léger flotteur à 0m,60 au-dessus de lui, est à recommander dans les places découvertes et étroites des étangs.

La grenouille vivante, pas trop grasse, est un appât de premier ordre : passez-lui l’hameçon dans la lèvre, tirez le bas de ligne et piquez l’hameçon dans le haut de la cuisse. Lancez dans un « clair » et laissez la rainette évoluer à sa guise. Après la touche, attendez un bon moment avant de ferrer.

Un gros ver de terre sur monture Stewart à trois hameçons avec émerillons entre bas de ligne et empile, et quelque peu alourdi de plomb, si nécessaire, réussit très bien. Il peut être pris « tombant » sur relâcher après lancer, ou, au contraire, tournant sur lui-même pendant la récupération.

Mouches plombées.

— J’aurais déjà pu et dû vous parler de ces excellents appâts à propos de saumon, de truite et de chevesne. Mais je vous confesse que j’en ignorais l’usage en 1939, au moment où je terminais mes articles sur le chevesne.

Ce sont les articles d’un confrère, à propos de saumon et de truite, qui m’ont ouvert les yeux et incité à essayer sur chevesne et black-bass, ce qui m’a parfaitement réussi.

Voici donc brièvement : plombez une grosse mouche-araignée quelconque, à corps mince, par quelques tours de « fusible » assez fort, jusqu’à l’amener au poids de 1 gramme et demi. Ou mieux, faites vous-même la mouche en couvrant d’abord l’hameçon (no 7) de fusible, puis celui-ci de plusieurs couches de soie floche brillante, jaune, rouge ou grise. En tête, une collerette fournie de hackle de coq bien raide et brillant, brun, roux ou noir. Une couche de vernis cellulosique sur le corps. C’est fini. Cette mouche de 1gr,5 peut être lancée avec du gut de 14/100 ou mieux 11/100, bobine bien pleine, et une canne de 200 grammes. Tout de même, un poids de 3 grammes serait préférable. Mettez donc deux mouches : une en pointe, l’autre en « sauteuse », sur un bras secondaire de 0m,70 à 0m,80 au-dessus de la première. Vous lancerez cela à 25 mètres, facilement. En eau morte, ramenez aussitôt par petits coups, au quart de tour, en « travaillant » du scion. En eau courante, laissez les mouches décrire un arc de cercle, tout en les travaillant à petits coups du scion ; arrivées en avant, récupérez par quarts de tour, très lentement.

Qu’il s’agisse de chevesnes ou de black-bass, les touches sont brusques et surprenantes. Sur le gut si fin, il faut manœuvrer avec douceur. C’est un plaisir de plus.

ANDRIEUX.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 240