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Cyclo-tourisme

Tourisme ou compétition

Les cyclotouristes ne sont pas tous gens paisibles épris de promenades à 15 à l’heure autour de leur centre et dont le but est un sillage pittoresque, déjà connu de la plupart, et qui ne chante dans leur mémoire que parce qu’il renferme un restaurant aux repas plantureux. Beaucoup éprouvent le désir de « se surpasser », de se mesurer sinon avec les plus vaillants, au moins avec eux-mêmes, c’est-à-dire avec leurs « temps » de fraîche date, ou plus simplement « contre la montre ». Ainsi s’infuse dans nos groupes de cyclotouristes promeneurs cette bête noire des dirigeants : l’esprit de compétition.

Doit-on l’en extirper résolument ? Il y a beaucoup à dire pour et contre.

D’abord, l’embarras de nos présidents est extrême, car la plus typique et spectaculaire et en même temps traditionnelle de nos réunions est cette journée Velocio, consacrée à la gloire du créateur du cyclotourisme, l’immortel Stéphanois De Vivie et qui est précisément une journée de compétition puisque les « temps » de montée au col des Grands Bois sont pris à la seconde et publiés.

Spectaculaire aussi et bien plus ardente quant à l’esprit de compétition est également la journée de Chanteloup, qui est bel et bien une épreuve de côte courue par des cyclistes en maillot de course … non obligatoire évidemment.

Mais voici mieux : le prodigieux succès remporté l’an dernier par le B. R. A., brevet des randonneurs alpins, comportant 250 kilomètres de parcours, l’ascension du Galibier, du Glandon et de la Croix de Fer. Sur ce parcours admirable, traversant le plus splendide et tumultueux paysage qui soit au monde, s’illustrèrent dans les délais fixés près de deux cents cyclotouristes, dont le plus rapide ne mit que deux minutes de moins à décrocher la palme que n’en employa tel coureur régional, peu de temps après, et celui-là pur professionnel.

Si le B. R. A. avait été un four, la cause était entendue et la compétition condamnée dans notre camp de « véritables cyclotouristes ». Mais il fut un triomphe, de sorte que la meilleure propagande en faveur de la bicyclette de tourisme semble être celle que lui font la montée des cols, la descente à tombeau ouvert et le trente à l’heure sur belles lignes droites.

C’est évidemment ce paradoxe qui taquine nos dirigeants et leur fait craindre que le cyclotourisme attire de plus en plus les « nerveux », les « durs », et que les gens paisibles s’en dégoûtent.

Ne prépare-t-on pas, à Pau, pour juillet prochain, une randonnée Bayonne-Ludion (325 kilomètres en deux étapes et ascension de cinq cols, dont l’Aubisque et le Tourmalet), avec catégorie spéciale ouverte aux « as » qui tenteront de couvrir cette étape formidable en dix-huit heures !

On trichera bien un peu, c’est entendu. Les « temps » ne seront pas publiés, mais gravés seulement au revers des médailles distribuées aux vainqueurs, c’est-à-dire aux cyclistes arrivés dans les délais. Mais ceci est jouer sur les mots et, si le B. R. A., si Bayonne-Luchon ne sont pas des courses (et j’affirme qu’ils n’en sont pas), ces épreuves font cependant appel à des gens qu’anime l’esprit de compétition et qui possèdent au plus haut degré l’amour-propre du grand sportif. Pour les arrivants bien placés, ce ne sera pas un triomphe, mais ils en éprouveront cette fierté qui caractérise le « victorieux », même s’il n’a remporté la victoire que sur lui-même.

Nous voilà bien loin des préceptes de Velocio qui proscrit l’amour-propre au lieu de la prescrire.

Mais le sportif, ou même l’homme tout court, peut-il rayer l’amour-propre de sa vie ? Et qu’est-ce qu’un cycliste pédalant sans amour-propre, sinon un simple usager de la bicyclette ?

H. DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 242