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Cyclisme

En ville, il faut des garages de vélos

Nos dix à douze millions de cyclistes sont représentés en grande majorité par les « utilitaires » des grandes villes et de leurs banlieues. C’est que la bicyclette est, pour les ouvriers et les employés, le plus commode, le plus économique et, aussi, le plus hygiénique des engins de transport. Ces cyclistes urbains se multiplieraient bien davantage si on leur rendait plus facile l’emploi de leur machine au lieu qu’on s’ingénie à le contrecarrer.

La bicyclette, si peu encombrante quand on roule dessus, qui se faufile si aisément à travers piétons et véhicules, devient encombrante et gênante quand il faut la mener à la main, la transporter en train ou en car, et surtout la loger. Elle empoisonne, paraît-il, cheminots, chauffeurs, propriétaires et concierges.

C’est donc tout un drame d’avoir sa bicyclette chez soi, lorsque ce « chez soi » est un modeste logement qu’on n’atteint, au cinquième étage, que par un escalier étroit ; et, s’il s’agit d’un « appartement », il est généralement interdit d’y monter un vélo autrement que par l’escalier de service. Aucune garantie contre le vol si on laisse cette bicyclette dans la cour ou dans un couloir. Nulle possibilité pour l’ami qui vient vous voir de garer « en bas » sa bicyclette. Ce n’est pas qu’on n’ait souvent demandé aux propriétaires de prévoir un local où les bicyclettes et les voitures d’enfant pourraient être remisées en sécurité. Mais cette requête — si justifiée — des cyclistes et des mères de famille n’a été prise en considération que très exceptionnellement ; et nous pouvons être assurés que, dans tous les plans de reconstruction d’immeubles modernes, si l’on n’oublie pas le garage automobile, la remise à vélos doit être bien rarement prévue. Pourtant, ce serait là une grande commodité, qui assurerait un développement encore plus marqué du cyclisme urbain.

La difficulté est plus grande encore de garer sa bicyclette hors de chez soi. Sur le lieu du travail, les grandes usines ont bien établi des garages sûrs et commodes ; les administrations et entreprises commerciales l’ont fait aussi, mais pas toujours ; il ne peut en être question dans les bureaux et magasins d’importance moyenne. D’autre part, il n’y a rien d’organisé pour qu’un cycliste puisse garer sa machine pendant qu’il entre et séjourne, pour affaires ou visite, dans un immeuble quelconque.

Les vieux Parisiens peuvent se souvenir que, vers 1900, les « commissionnaires-cireurs de chaussures », porteurs d’une médaille les officialisant dans leur profession et qui se tenaient au bord des trottoirs avec leurs boîtes à cirage et leur crochet à bagages, acceptaient de garder, pour deux sous, lés bicyclettes des gens qui avaient affaire dans le voisinage ; et c’était vraiment fort commode.

Il ne semble pas possible de revenir à un tel système. Mais les garages automobiles, déjà fort nombreux et qui vont sans doute se multiplier, ne pourraient-ils envisager de garer aussi les bicyclettes à l’heure, à la journée ou au mois ? A priori, ils sont hostiles à cette idée ; mais c’est faute de l’avoir étudiée. Dans l’espace occupé par une auto, on peut loger une vingtaine de bicyclettes, qui, n’étant acceptées qu’avec anti-vol, seraient assez en sécurité. Bien des cyclistes gareraient au mois, plutôt que d’avoir leur bicyclette à domicile. Si on leur assurait nettoyage, graissage, réglage, menues réparations, c’est-à-dire l’analogue de la « Station-Service » pour autos, ils consentiraient sans doute à une mensualité d’une centaine de francs, ce qui, pour vingt vélos sur l’emplacement d’une auto, constituerait, semble-t-il, une recette intéressante. Enfin, une entente entre garages pourrait permettre à un « abonné » de trouver, dans chaque quartier, un garage où remiser sa machine au cours de ses pérégrinations à travers la ville.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 241