Ce début de printemps nous a valu quelques nouvelles
agréables, qui prouvent que rien n’est perdu, que notre petit monde sportif se
réveille et que, alors que nous avons tant de mal à nous redresser, après six
années d’enfer, dans le domaine du pot-au-feu ou des finances, le sport ne va
peut-être pas tarder à reprendre son essor.
C’est la reprise des courses automobiles, si prisées du
grand public, et des combats de boxe avec des vedettes dignes de ce nom. Ce
sont surtout trois beaux succès sur nos amis anglais, qui furent, à l’origine
du sport en France, nos maîtres sur tous les chapitres. Il ne faut d’ailleurs
pas en exagérer la portée, car nous devons tenir compte de ce fait que nos amis
d’outre-Manche ont supporté presque seuls, pendant de longs mois, les frais de
la guerre, que leurs villes, leurs stades et leurs effectifs ont effroyablement
souffert. Nous ne devons donc pas « crâner » devant des triomphes
faciles, mais nous pouvons nous en réjouir.
Tout d’abord, deux victoires écrasantes en cross-country,
Pujazon en tête et notre équipe presque complète dans le peloton, et en tennis
avec Pétra et Pelizza dans la Coupe Davis renaissante. La qualité du jeu est
encore loin de l’époque glorieuse de Cochet et de Lacoste, mais elle parvient
peu à peu à la classe internationale. Et ces deux victoires ne sont pas à
proprement parler des surprises, puisque aussi bien en tennis qu’en
cross-country, nous avons souvent déjà, dans le passé, triomphé non seulement
des Anglais, mais de toutes les autres nations.
Mais une victoire plus inattendue est celle que vient de
remporter sur les Britanniques notre « onze » national de football,
sport national des Anglais, considérés à juste titre comme les meilleurs
joueurs du monde. Aussi, sera-ce cette dernière qui retiendra aujourd’hui notre
attention, car elle mérite quelques commentaires qui dépassent le cadre du
match que nous avons gagné à Colombes.
Un fait est évident, c’est que notre football français a
progressé de façon incontestable depuis l’installation dans notre pays du
professionnalisme, qui compte autant de partisans enthousiastes que
d’adversaires farouches.
Sur le plan matériel, les avantages techniques des
organisations professionnelles sont évidents. La réunion des vedettes sous un
même drapeau entraîne de grosses recettes. Les grosses recettes permettent non
seulement d’entretenir les vedettes et de former des remplaçants, mais de leur
offrir des entraîneurs, des terrains bien achalandés et le confort nécessaire à
maintenir la forme (vestiaires aménagés, transports dans de meilleures
conditions, masseurs, professeurs d’éducation physique, sélectionneurs,
soigneurs, etc.). Elle permet aux joueurs non seulement de consacrer deux ou
trois jours par semaine à l’entraînement physique, mais à l’amélioration de la
technique, par des démonstrations, des films, des conférences. Seules, des
équipes professionnelles ont la possibilité et le loisir de préparer avant
chaque match une stratégie appropriée à l’adversaire prévu pour le dimanche
suivant, qui différera selon les caractéristiques de l’équipe adverse, et de la
modifier si besoin selon la température, l’état du terrain, les incidents en
cours de partie. C’est ainsi que le principal progrès accompli par nos équipes
nationales — qui viennent de triompher successivement de l’Autriche, de la
Tchécoslovaquie, de la Suisse et de l’Angleterre — est dans
l’assouplissement de la technique. On fut, au cours des dernières années, trop
intransigeant sur la formation en W ou sur la formation en ligne, par exemple.
En réalité, une équipe n’est pas composée, a partir du moment où le coup
d’envoi est sifflé, de cinq avants, de trois demis, de deux inters. L’idéal est
une équipe composée de onze joueurs qui, tout en étant spécialisés chacun à sa
place, soient dans une certaine mesure interchangeables, capables de renverser
la vapeur ou de modifier la tactique prévue selon les résistances ou les
faiblesses qui se manifestent chez l’adversaire au cours du match.
* * *
Sur le plan moral, si discuté, le professionnalisme me
semble très légitime, à une condition : c’est de limiter son accès à une
élite, c’est-à-dire au nombre nécessaire et suffisant pour remplir des cadres
dont la limite est indiquée, à la fin de chaque saison, par les budgets des
grandes équipes et par les résultats sportifs qu’elles ont obtenus. Il faut
évidemment éviter qu’un recrutement trop large ne laisse sur la touche, chaque
automne, des hommes encore très jeunes qui, depuis leur adolescence, ne savent
que jouer au football et qui n’ont pas d’autre métier, alors que, si leur
nombre est limité, on peut prévoir pour eux une sorte de retraite comme
moniteurs, entraîneurs, conseillers techniques, arbitres, etc. Question de
prévoyance et d’organisation.
Mais, cette condition posée et remplie, je ne vois pas en
quoi il serait plus immoral pour un honnête homme doué de qualités athlétiques
ou d’une technique supérieure dans un sport donné, de retirer un profit
matériel de ses aptitudes ou d’en faire un métier, que, pour un peintre ou un
sculpteur, de vendre ses croûtes ou ses statues, ou, pour un musicien, de
monnayer son talent.
Certes, pour la masse, je suis de ceux qui ont toujours
défendu et continuent à défendre l’amateurisme, le sport étant pour un
travailleur manuel ou intellectuel le plus magnifique des violons d’Ingres et
des loisirs. Mais je ne vois pas de quel droit on empêcherait certains
phénomènes ou certains talents de se produire, contre un cachet, sur le stade,
au même titre qu’une vedette sur les planches. Et, dans un cas comme dans
l’autre, s’il se produit parfois des excès regrettables, ce n’est pas, au fond,
de la faute de celui qui est sur la scène, mais des organisateurs qui flairent
la bonne affaire et du public qui est assez poire pour payer 300 francs
une place pour un spectacle de second ordre.
Robert JEUDON.
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