Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°609 Août 1946  > Page 246 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Scoutisme

Le feu de camp

Le feu de camp constitue la cérémonie la plus prenante de la vie scoute. Quiconque n’y a pas assisté ne saurait prétendre connaître le mouvement éclaireur.

Alors que la nuit enveloppe lentement les tentes, les éclaireurs, drapés dans une couverture, foulard noué autour de la tête, se forment par petits groupes ... Quelques accents d’harmonica, ici et là ...

Voici maintenant l’obscurité ... Soudain, d’une haute pyramide dressée à quelque distance, une longue flamme jaillit. Et un chant rompt la tranquillité du soir :

Holà ! dans le campement
Groupons-nous, c’est instant,
Près de la claire -flamme ...

C’est une belle voix grave qui a lancé cet appel. Une à une, les patrouilles s’écartent des tentes pour aller prendre place autour du foyer ... Les Hirondelles, les Chouettes, les Écureuils, les Dogues ...

Lorsque le cercle est fermé, le feu de camp commence. Danses, chants, « numéros » divers vont se succéder pendant deux heures : de vieilles danses régionales, ou des ébats chorégraphiques plus fantaisistes, nés spontanément de la joie scoute ; des chants de l’ancienne France, de marins, ou de paysans, et qui, à travers les siècles, ont conservé toute leur saveur, ou des chansons évoquant le ciel bleu, le soleil qui flambe, les mésaventures de la charrette, d’un novice, d’un pauvre citadin ...

Quant aux « numéros » ce sont des improvisations comiques présentées par chaque patrouille. Elles sont inspirées soit par la vie du camp, soit par le thème d’une chanson (Malborough s’en va-t-en guerre, Trois jeunes tambours, Le sire de Framboisy), d’une fable, d’une histoire connue (Le radeau de la Méduse, Le vase de Soissons ...), voire d’une tragédie classique ! Le déguisement outré y tient une grande place : masques en carton, barbes en raphia ou en légumes, coiffures ou armes de guerre empruntées à la cuisine ...

Éclairés par le brasier d’où crépitent des gerbes d’étincelles, les acteurs prennent des allures fantastiques ... Sur le visage réjoui des spectateurs, les lueurs mouvantes passent.

Solennel dans sa couverture, le meneur de jeu annonce, commente les « numéros », dirige les applaudissements. Les scouts, en effet, ne se contentent pas, pour acclamer leurs camarades, de battre des mains, même en cadence ... Du geste et de la voix ils imitent la démarche et le cri de certains animaux, les efforts du petit train départemental, l’automobile des pompiers ...

Mais le meneur du jeu veille à ce que l’entrain aille « decrescendo ». À mesure que l’heure s’avance et que la flamme baisse, les chants exubérants cèdent la place à des « canons » très doux, à des chœurs graves ... Lorsque les bûches vont mourir, que leur masse rougeoyante palpite, un calme extraordinaire plane sur tous. Alors le chef prend la parole. Sous le ciel criblé d’étoiles, en quelques phrases simples, il exalte les sentiments de ses garçons. Ceux-ci, comme hypnotisés par les tisons qui noircissent lentement, l’écoutent en silence.

Le chef a fini de parler ... Les éclaireurs se lèvent, resserrent leur cercle, et, sans se concerter — car le rite du feu de camp est immuable, — entonnent doucement le Chant de la nuit ...

Ils continuent à le murmurer en regagnant leur camp. Aucun rire, aucun cri. Une à une, les tentes s’allument. Sur la toile, des silhouettes étranges se découpent. Quelques minutes après, bref coup de trompe ... Tout s’éteint. Le camp s’endort.

F. JOUBREL.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 246