Le feu de camp constitue la cérémonie la plus prenante de la
vie scoute. Quiconque n’y a pas assisté ne saurait prétendre connaître le
mouvement éclaireur.
Alors que la nuit enveloppe lentement les tentes, les
éclaireurs, drapés dans une couverture, foulard noué autour de la tête, se
forment par petits groupes ... Quelques accents d’harmonica, ici et
là ...
Voici maintenant l’obscurité ... Soudain, d’une haute
pyramide dressée à quelque distance, une longue flamme jaillit. Et un chant
rompt la tranquillité du soir :
Holà ! dans le campement
Groupons-nous, c’est instant,
Près de la claire -flamme ...
C’est une belle voix grave qui a lancé cet appel. Une à une,
les patrouilles s’écartent des tentes pour aller prendre place autour du
foyer ... Les Hirondelles, les Chouettes, les Écureuils, les
Dogues ...
Lorsque le cercle est fermé, le feu de camp commence.
Danses, chants, « numéros » divers vont se succéder pendant deux
heures : de vieilles danses régionales, ou des ébats chorégraphiques plus
fantaisistes, nés spontanément de la joie scoute ; des chants de
l’ancienne France, de marins, ou de paysans, et qui, à travers les siècles, ont
conservé toute leur saveur, ou des chansons évoquant le ciel bleu, le soleil
qui flambe, les mésaventures de la charrette, d’un novice, d’un pauvre
citadin ...
Quant aux « numéros » ce sont des improvisations
comiques présentées par chaque patrouille. Elles sont inspirées soit par la vie
du camp, soit par le thème d’une chanson (Malborough s’en va-t-en guerre,
Trois jeunes tambours, Le sire de Framboisy), d’une fable, d’une
histoire connue (Le radeau de la Méduse, Le vase de Soissons ...),
voire d’une tragédie classique ! Le déguisement outré y tient une grande
place : masques en carton, barbes en raphia ou en légumes, coiffures ou
armes de guerre empruntées à la cuisine ...
Éclairés par le brasier d’où crépitent des gerbes
d’étincelles, les acteurs prennent des allures fantastiques ... Sur le
visage réjoui des spectateurs, les lueurs mouvantes passent.
Solennel dans sa couverture, le meneur de jeu
annonce, commente les « numéros », dirige les applaudissements. Les
scouts, en effet, ne se contentent pas, pour acclamer leurs camarades, de
battre des mains, même en cadence ... Du geste et de la voix ils imitent la
démarche et le cri de certains animaux, les efforts du petit train
départemental, l’automobile des pompiers ...
Mais le meneur du jeu veille à ce que l’entrain aille
« decrescendo ». À mesure que l’heure s’avance et que la flamme
baisse, les chants exubérants cèdent la place à des « canons » très
doux, à des chœurs graves ... Lorsque les bûches vont mourir, que leur
masse rougeoyante palpite, un calme extraordinaire plane sur tous. Alors le
chef prend la parole. Sous le ciel criblé d’étoiles, en quelques phrases simples,
il exalte les sentiments de ses garçons. Ceux-ci, comme hypnotisés par les
tisons qui noircissent lentement, l’écoutent en silence.
Le chef a fini de parler ... Les éclaireurs se lèvent,
resserrent leur cercle, et, sans se concerter — car le rite du feu de camp
est immuable, — entonnent doucement le Chant de la nuit ...
Ils continuent à le murmurer en regagnant leur camp. Aucun
rire, aucun cri. Une à une, les tentes s’allument. Sur la toile, des
silhouettes étranges se découpent. Quelques minutes après, bref coup de
trompe ... Tout s’éteint. Le camp s’endort.
F. JOUBREL.
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