C’est avec une très grande satisfaction que nous
enregistrons ici, en reprenant une rubrique qui nous est chère, la renaissance
et la vogue du sport hippique, qui, malgré les temps mécaniques que nous
vivons, garde de très nombreux et très fidèles partisans, tant acteurs que
spectateurs.
Après les tribulations et privations de toutes sortes qui
furent les inévitables conséquences de la guerre et de l’invasion, la reprise
des courses sur les différents hippodromes parisiens — et aussi en province,
ainsi qu’on peut le constater cette année dès le début de la campagne d’été,
— marquait déjà les promesses d’une rénovation qui s’accuse de jour en
jour. En même temps que s’effaçaient les affligeants souvenirs des pertes
considérables, et pour certaines irremplaçables, dont notre élevage hippique a
dû payer tribut, des suites des pillages méthodiques et renouvelés, à moins que
ça ne soit de destructions systématiques, perpétrés par les « hordes
nazies ». Car, non contents de nous voler le plus grand nombre possible de
sujets, ils s’efforcèrent surtout de nous priver des meilleurs qu’ils
recherchèrent dans les haras les plus célèbres, dans nos centres
d’entraînement, dans toutes les régions d’élevage où ils pensaient trouver les
représentants des sangs les plus précieux, dont ils ne négligeaient certes pas
la valeur vénale, mais dont ils appréciaient davantage la qualité pour
l’amélioration de leur production chevaline.
C’est ainsi que, durant la période d’occupation, environ 800 chevaux
de pur sang avaient été déportés en Allemagne. Parmi eux, 350 sujets :
étalons, poulinières et produits, dont 150 sont en état de courir, ont été
récupérés par les différentes missions envoyées sur place pour les retrouver.
L’importance de ces récupérations se manifeste à la simple énumération de
quelques noms pris parmi les étalons, tels que Pharis, dont ses
admirateurs ont voulu faire le cheval du siècle ; Biribi, qui
pourrait en être un autre et qui possède entre autres références, sinon
performances, celle d’être le père de Le Pacha, le meilleur cheval de sa
génération, et aussi celui de Birikil, qui est appelé à prendre sa
succession au stud ; citons encore Bubbles, Ping-Pong, Téléférique,
etc. Les poulinières ramenées en même temps que ces « sires », dont
elles ont reçu les services en Allemagne, appartiennent aux meilleures origines
de la race pure, et leurs produits, dont la Société d’encouragement s’emploie à
régulariser l’état civil, sous forme d’un certificat d’origine, pourront
bientôt paraître sur nos champs de courses, où leur présence contribuera à
augmenter le nombre souvent réduit des partants dans les différentes épreuves.
Par une heureuse coïncidence, le jeudi 6 juin, jour
anniversaire de la Libération, a eu lieu aux Établissements Chéri, à Neuilly,
au nom du baron Édouard de Rothschild, qui eut le plus à souffrir des
« razzias » des barbares, une vente de produits nés en Allemagne de
poulinières françaises enlevées en 1940, et dont la plupart ont été rapatriées
ces derniers mois.
Le lot comprenait :
Huit chevaux de cinq ans, dont les enchères ont produit
3.075.000 francs, le plus gros prix ayant été obtenu par Caletto, par Brantôme
et Captain’s Fancy ;
Un cheval de quatre ans, par Ping-Pong et Innoxa,
adjugé 80.000 francs ;
Onze chevaux de trois ans vendus globalement 5.830.000 francs,
dont deux fils de Biribi ont obtenu les prix records, Mangart par
Montagnana à 950.000 francs et Mannheimer ( ?) par Marylebone
à 920.000 francs ;
Cinq chevaux de deux ans adjugés pour 2.430.000 francs,
dont Loisirs, par Crapom et Loggia, pour 860.000 francs ;
Cinq yearlings adjugés pour 1.520.000 francs.
Au total général, la vente a produit 12.935.000 francs ;
chiffre relativement peu élevé comparativement aux prix actuels des chevaux de
course, ce qui tient sans doute à ce que ces produits ne sont pas encore
inscrits au Stud-Book et que, lorsqu’ils le seront, ce qui ne saurait tarder,
ils ne pourront pas prendre part aux courses réservées aux chevaux nés et
élevés en France. La Société d’encouragement en décidera.
Du côté du sport, nous avons un renouveau particulièrement
intéressant à signaler, celui du Derby anglais, qui s’est disputé à Epsom, le 5 juin
dernier, pour la première fois depuis 1939. Il a été gagné par le poulain gris Airbone,
un outsider parti à la cote de 50 contre 1, appartenant à M. J.-E.
Ferguson, monté par le jockey Lowrey. Le grand favori, Gulf-Stream, fils
d’un étalon d’origine française, appartenant à Priscilla Bullock, petite-fille
de Lord Derby, fondateur du prix, se classa second à une longueur, devant Radiotherapy
à Lord Astor. Le gagnant n’avait à son actif aucune performance pour laisser
prévoir un pareil succès ; son record de 2’ 44" 3/5 sur les
2.412 mètres du parcours n’a rien de sensationnel, mais, sur un terrain lourd
et par un temps pluvieux, après une course d’attente sagement menée, il a pu,
grâce à sa tenue et à son endurance, remonter et battre dans les 100 derniers
mètres le second et le troisième qui se sont mutuellement coupé la gorge dans
la ligne d’arrivée.
Le lendemain, le cheval français Ardan, à M. Boussac,
à qui la fortune du turf faisait grise mine depuis de longs jours, a gagné la « Coronation
Cup », 4.000 livres, sur 2.400 mètres, en battant facilement le
cheval du roi, Rising-Light. À noter que le gagnant, resté en panne à
Calais pendant cinq jours à cause du mauvais temps, n’était arrivé en
Angleterre que de la veille.
Enregistrons encore, à défaut du vrai Concours hippique de
Paris, dans le cadre imposant du Grand Palais, où se retrouvaient, aux temps
heureux d’avant guerre (d’avant deux guerres), tant d’amateurs de beau sport et
de beaux chevaux, que la Société hippique française (S. H. F.) a
donné au Bois de Boulogne, sur le terrain de l’Étrier, plusieurs réunions qui
ont été très suivies et très appréciées. Voilà qui est encore de bon augure
pour l’avenir de notre plus noble conquête, si tant vantée par M. de
Buffon. Et, ainsi que l’écrivait Miguel Zamacoïs, dans une spirituelle
chronique inspirée par une visite au Concours hippique où il était entré par
hasard, en profane, rapidement convaincu et converti ; « Petit cheval
vit encore ! Il n’est pas encore mué, quoi qu’en disent les intéressés,
les orfèvres à la façon de M. Josse, en bétail tout juste bon pour les
boucheries hippophagiques. La lutte entre le cheval et le pétrole continue, et
le moment n’est pas encore venu de brûler le cheval que l’on a si longtemps
adoré, ni d’adorer le pétrole que l’on a si longtemps brûlé. »
Les grandes épreuves hippiques du Grand Prix de Paris nous
fourniront certainement un témoignage probant de cette amusante manière de
voir.
J.-H. BERNARD.
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