Il est question de tous côtés de plans de modernisation,
d’équipement ; on songe également à un plan général de production pour
l’agriculture française, afin de déterminer le genre de spéculations auquel il
serait utile de se consacrer. Vastes problèmes qui demandent une sérieuse
réflexion, car il ne saurait être question d’investir des capitaux à la légère
ou d’orienter les travailleurs de la terre dans des directions mal étudiées.
D’une manière très générale, il s’agit de pourvoir tout
d’abord aux besoins du pays, en tenant compte des désirs manifestés par les
consommateurs acheteurs directs ou par les industries de transformation partant
des produits de la terre. Dans l’établissement de ce bilan, il faut faire la
part des importations de denrées provenant des divers territoires de l’Union
française, en tenant compte largement des possibilités de ces territoires, des
besoins des populations locales, besoins qui se seront singulièrement
développés à la faveur des événements des dernières années ; on ne saurait
négliger non plus les courants commerciaux qui peuvent être développés partant
des territoires en question et se dirigeant vers les pays étrangers.
Cette satisfaction des besoins nationaux doit être
accompagnée d’une meilleure présentation et, dans la mesure du possible, d’une
diminution des prix de vente ; c’est en permettant à tous les
consommateurs d’être des acheteurs empressés que l’on développe la production,
qu’on l’excite. Cette production ne doit pas se contenter d’un programme
caractérisé par un gros volume d’affaires ; il faut encore qu’elle réalise
des profits tant pour la rénumération des capitaux engagés que pour la rénumération
de tous les efforts consentis. Ainsi se dessine une politique des prix de
revient améliorés laissant de la marge au moment de la vente.
En agriculture, la diminution des prix de revient correspond
à des frais moindres par unité produite, diminution résultant de l’augmentation
de la quantité produite ou de la réduction systématique des frais. Ainsi,
lorsqu’on étend la dimension des parcelles cultivées, on supprime des pertes de
temps pour les opérations culturales, les transports, etc. ; par
conséquent, les frais de production se trouvent réduits. Il est encore possible
de diminuer les frais totaux en employant des moyens plus rapides d’exécution.
À un autre point de vue, l’emploi d’une variété de plante
fournissant plus de quintaux ou de tonnes par hectare, d’une combinaison
d’engrais relevant les rendements, d’un animal produisant plus de lait pour la
même nourriture distribuée, tous ces moyens abaissent aussi le prix de revient.
Ainsi peut-on tenter d’établir un programme d’action en vue de développer la
production et d’en abaisser le coût unitaire. Si les prix se maintiennent, la
marge est plus grande, répétons-le pour rénumérer les capitaux engagés et pour
donner à tous les auteurs de la production une récompense plus large. Si les
prix baissent parallèlement, il reste un certain taux de rénunération qui se
relève relativement, puisque les prix ont baissé, et, si cette baisse atteint
tous les compartiments de la production, l’existence devient meilleure pour
chacun, du moins dans l’ensemble des populations.
Il est ainsi facile d’entrevoir l’importance et la diversité
de l’effort prodigieux à accomplir. Les difficultés apparaissent lorsqu’il faut
passer à l’exécution. S’il s’agit simplement de trouver le meilleur utilisateur
des éléments mis à la disposition de l’être vivant — plante ou animal,
— on conçoit qu’il soit relativement aisé de recourir à la sélection en
vue de peupler la ferme de variétés améliorées de blé, de pommes de terre, de
betteraves ou de sujets choisis en vaches, brebis ou porcs. Il s’agit de partir
de données connues quant aux caractères des sujets de choix, de les rechercher,
de les multiplier à l’échelle des opérations entreprises. Le problème se
complique relativement quand on recherche la meilleure formule d’engrais ou
d’aliments, quel équilibre il faut réaliser entre les éléments fertilisants
constituant la fumure, quelle ration il convient de composer.
Théoriquement, c’est à l’aide des capitaux normaux de
fonctionnement, de circulation, que l’agriculture fait face à ses diverses
acquisitions : semences, animal de choix, engrais, aliments concentrés.
Tout au plus, serait-il opportun de recourir au crédit agricole à court terme,
réalisable dès la fin de la campagne, si la trésorerie ne le permettait
pas : les risques sont mesurés, et, à coup sûr, la production de l’année
permet de rembourser la valeur du capital engagé en supplément, de payer l’intérêt
tout en laissant une marge bénéficiaire permettant de ne pas recourir au crédit
pour la campagne suivante ou d’étendre le champ des opérations.
Il n’en est pas de même lorsque l’on envisage l’achat d’une
machine perfectionnée : c’est l’amortissement qui correspondrait
théoriquement à l’intérêt annuel qui s’incorpore dans les frais de
production ; l’amortissement n’est complet qu’au bout de quelques
années : 5, 6, 7 s’il s’agit d’un tracteur, deux ou trois fois plus s’il
est question d’une charrue, d’un sacrificateur, etc. Il y a donc une avance à
faire, et l’agriculteur ne peut pas toujours la prélever sur ses fonds
courants ; s’il fallait recourir à l’emprunt, c’est le moyen terme qui
devrait aider, la durée du recouvrement de l’avance est d’ailleurs raccourcie
du fait que l’on a amélioré la production et qu’il en résulte un bénéfice qui
sert à couvrir le montant de l’avance.
Enfin, l’amélioration des conditions de la production peut
encore résulter d’aménagements à longue portée, réfection d’un chemin ;
sauf le cas de remembrement, acquisition de parcelles qui n’ont pu être
échangées et qui facilitent le groupement des champs ; même observation
pour les aménagements d’ordre intérieur destinés à faciliter l’emmagasinement des
produits, leur circulation, meilleurs logements pour les animaux, et il n’est
pas question des conditions de vie de l’exploitant et de ses collaborateurs,
qui n’interviennent que moralement pour rendre la vie plus saine ou plus
confortable. Tous ces problèmes de l’habitat rural ont été posés ; ce sont
des sommes considérables qu’il faut investir, et l’agriculture ne dispose pas
de ces ressources ; c’est de l’extérieur que doivent venir les moyens
financiers.
On pourrait ajouter à ces frais d’équipement les grands
travaux d’aménagements régionaux, d’irrigations qui dépassent le cadre normal
et qui, en dehors de toute autre considération, doivent rester à la charge de
la collectivité, quitte à faire payer un intérêt normal aux usagers. On voit
ainsi que l’attention des cultivateurs, celle des pouvoirs publics doit se
pencher sur tous ces problèmes dont la solution doit être poursuivie
parallèlement, quelle que soit la durée des réalisations ; c’est la vie de
la nation qui est en cause, tant dans la partie active qui se consacre à l’agriculture
que pour toute la population intéressée en vue de la satisfaction de ses
propres besoins.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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