Le Forestier a exposé dans sa première rubrique la situation
de la forêt française après six années de guerre et d’occupation ; une
double conclusion se dégage avec une grande évidence : la pauvreté de la
France en bois tendres, que nous devons importer, l’état clairière, trop
ouvert, de beaucoup de peuplements et en particulier des taillis.
Ces conclusions montrent la nécessité du reboisement et
indiquent dans quel sens il doit être entrepris, tant pour le choix des
essences que pour les méthodes à suivre.
Le Choix des essences.
— Dans son propre intérêt, le propriétaire n’utilisera
que des essences fournissant les bois tendres qui manquent à l’économie
française ; ces essences ont seules la réussite facile et la croissance
rapide qui rendent le reboisement rentable à une échéance relativement peu
éloignée.
Parmi les feuillus, nous ne retiendrons que les peupliers
de culture : on réunit sous ce vocable de nombreuses espèces ou
variétés obtenues par sélection ou par hybridation ; elles produisent en
peu de temps (vingt-cinq à trente ans), à un taux intéressant, un bois très
recherché pour les industries du contreplaqué et des allumettes (la rareté des
allumettes est en partie due aux difficultés que rencontrent les manufactures
pour s’approvisionner en bois de peuplier).
Dans toute propriété qui renferme des terrains profonds,
riches et frais, les peupliers seront à leur place le long des chemins, des
cours d’eau, des canaux de drainage ou d’irrigation, dans les
prairies ..., mais il ne faudra pas oublier qu’ils craignent l’eau
stagnante, l’ombre, et qu’ils n’ont une croissance rapide que s’ils sont
plantés à grand espacement (6 à 7 mètres en tous sens).
Malgré l’importance des peupliers, dont la culture est plus
agricole que forestière, la majorité des bois tendres est fournie par les
résineux ou conifères, essences sociales qui peuvent former des massifs purs et
denses. Certaines sont des essences de lumière très frugales, ce sont les
pins : pin maritime pour le Sud-Ouest et le Midi méditerranéen (il craint
les froids et le calcaire), pins Sylvestre et Laricio de Corse pour le reste de
la France (ils préfèrent les terrains siliceux), pins noir d’Autriche et d’Alep
pour les terrains calcaires les plus pauvres (le second n’étant utilisable que
dans la région méditerranéenne).
D’autres, au contraire, acceptent un léger abri dans le
jeune âge, l’épicéa par exemple, ou exigent un couvert suffisant, le
sapin : elles seront utilisées exclusivement en montagne ou tout au moins
dans les climats humides et nébuleux (Ardennes, Normandie, etc.).
À côté de ces « essences courantes », favorisées
de subventions au taux le plus élevé, les propriétaires ont souvent intérêt à
avoir recours à d’autres espèces à croissance rapide. Les frais d’achat, plus
élevés, ne sont pas intégralement remboursés par les subventions, mais le taux
d’accroissement compense et au delà cette dépense supplémentaire. C’est le cas
du Douglas (Pseudotsuga Douglasii), magnifique essence américaine qui
réussit remarquablement dans la majeure partie de la France et donne en
quarante ans un volume trois fois supérieur à celui du pin Sylvestre. On peut
encore citer le mélèze du Japon (Larix leptolepis), qui, sous climat
humide et assez chaud en été, a une croissance extraordinairement rapide (1 mètre
de hauteur par an).
Les méthodes de reboisement.
— La première tâche des reboiseurs est la
reconstitution de leurs bois endommagés par les bombardements, les incendies et
autres faits de guerre, ou simplement appauvris à l’extrême par la
surexploitation.
Ces terrains, où l’état boisé subsiste encore, doivent être
mis en première urgence, avant les terrains nus tels que friches, landes ou
garrigues, dans l’intérêt bien compris du propriétaire. La réussite y est, en
effet, beaucoup plus facile par suite de l’état du sol, de la protection donnée
aux jeunes sujets par les restes de la forêt, en un mot par suite de ll« ambiance
forestière ». Le nombre de plants à introduire à l’unité de surface
pourra-être réduit, car l’ensouchement primitif jouera un rôle de remplissage :
on se contentera de planter un plant tous les 2 mètres, soit 2.500 sujets
à l’hectare, mais on devra, pour éviter les dégagements trop fréquents et
onéreux, employer exclusivement des essences peu exigeantes en lumière, au
moins au début. Dans cet enrésinement des taillis ruinés, les pins ne seront
donc pas utilisés.
Enfin, le peuplement constitué, mélangé de feuillus qui
formeront un utile sous-étage, sera beaucoup plus « solide » qu’un
peuplement pur de résineux ; il craindra beaucoup moins les insectes et
les maladies.
Tous ces avantages compensent et au delà la diminution du
taux de la subvention qui, pour les terrains boisés, n’est que les trois quarts
du taux accordé pour les terrains nus. Il faut d’ailleurs préciser que cette
réduction ne s’applique pas aux forêts ruinées par faits de guerre, dont la
reconstitution est financée par le service de la Reconstruction.
Mais l’intérêt qui s’attache à l’enrésinement des forêts
ruinées ne doit pas faire oublier les terrains nus : ceux-ci sont de
divers types : landes siliceuses, friches et pelouses calcaires, terrains mouilleux.
Ils seront d’autant plus aisément reboisables qu’ils seront moins envahis par
la végétation, peu rocheux et sains. En effet, il importe de profiter de
l’absence d’ensouchement pour diminuer les frais de premier boisement en
utilisant des moyens mécaniques.
On procédera donc à un travail du sol et on y fera une
dernière culture dont les produits paieront les frais : si le terrain est
très propre, on fera une céréale, seigle ou avoine, et on y sèmera la graine de
pin comme un fourrage artificiel. Les jeunes plants, protégés par la céréale,
se développent après la récolte. Si le terrain est envahi par une végétation
vigoureuse, un profond labour permettra une culture de pommes de terre et,
aussitôt après la récolte, on plantera, suivant la région, un pin, l’épicéa, le
Douglas ou le mélèze du Japon. On peut même envisager de faire, après les
pommes de terre, une culture de céréale avec semis de pin comme dans le cas
précédent. Les meilleurs résultats seront obtenus dans les sols argilo-siliceux
ou siliceux ; les moins bons dans les sols calcaires très superficiels et
surtout les terrains mouilleux, qui ne peuvent être boisés sans assainissement
préalable.
Conclusion.
— De ce rapide exposé, tout propriétaire doit retenir
que, pour qu’un reboisement soit rentable, il faut qu’il soit fait
rationnellement. Il doit commencer par les terrains les plus favorables et
avant tout reconstituer ses forêts appauvries. Il doit choisir les essences qui
conviennent aux conditions locales de sol et de climat, mais aussi qui donnent,
dans le minimum de temps, le maximum de produits utiles. Il doit chercher à
diminuer les frais de boisement en réduisant le nombre de plants ou la quantité
de graines utilisés par hectare au minimum indispensable et en ayant recours à
des moyens mécaniques.
Il ne devra pas oublier qu’un reboisement doit être suivi et
que les premiers dégagements sont souvent une condition absolue de la réussite
finale.
En suivant ces règles simples, le propriétaire conciliera
son intérêt propre et l’intérêt national.
LE FORESTIER.
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