Il aurait peut-être servi à peu de chose d’avoir taillé sa
vigne, l’avoir cultivée, traitée, protégée de l’attaque des parasites et sauvée
des intempéries, si le récoltant n’apportait pas, soit par ignorance, soit par
routine, tous ses soins à la cueillette, à la cuvée et à la conservation du vin
en fûts.
En effet, le jus de raisin qui va devenir moût est un milieu
très favorable au développement de beaucoup de microbes qui pullulent dans
l’air que nous respirons. Pour cette raison, il peut devenir rapidement un
foyer d’infection ; les vieux vignerons le savent bien.
Il arrive souvent qu’avec un moût sain, en année normale, on
obtienne un vin ayant un goût particulier ; il s’agit, le plus souvent, du
début de développement d’un ferment de maladie ou d’une futaille mal nettoyée.
Nous allons donc étudier quelles sont les meilleures
méthodes à employer pour obtenir un vin franc de goût, limpide, moelleux.
Il a été écrit sur ce sujet de nombreux ouvrages, mais il
est bon, après la période de vie latente que nous venons de traverser, de faire
le point.
Examinons d’abord quels sont les produits contenus dans une
grappe de raisin. La composition en étant très variable d’un cépage à l’autre,
les chiffres que nous donnons constituent une moyenne.
La rafle représente 3 à 7 p. 100 du poids de la
grappe et contient principalement :
Tanin |
1 à 3 |
p. 100 |
Acides |
0,2 à 0,9 |
— |
La rafle communique au vin un goût astringent.
La pellicule constitue un poids plus important que la
rafle, environ de 9 à 11 p. 100, et contient, comme la précédente, du
tanin et des acides, mais en plus elle renferme, à l’intérieur de ses cellules,
une matière colorante insoluble dans le moût et dans l’eau froide, mais soluble
dans l’eau chaude ou alcoolisée ; c’est à cette dernière propriété
que l’on doit, chez les cépages rouges, la coloration progressive des moûts
pendant leur fermentation.
Rappelons que les cépages teinturiers contiennent une
seconde matière colorante soluble dans la pulpe.
Enfin la pellicule contient aussi une matière odorante qui
donne le parfum particulier au cépage (celle-ci donnera plus tard au vin
commercial) : le bouquet.
La pulpe est la partie la plus intéressante de la
grappe, dont elle représente 85 à 90 p. 100 du poids ; sa composition
est la suivante :
Eau |
70 à 80 |
p. 100 |
Sucres fermentescibles |
20 à 25 |
— |
Bitartrate de potasse (crème de tartre) |
0,5 à 0,8 |
— |
Acides libres |
0,3 à 0,5 |
— |
Matières azotées |
0,08 |
— |
Matières minérales |
0,2 à 0,3 |
— |
Matières grasses |
faible quantité |
Notons que les matières azotées et minérales aideront au
développement des levures.
En résumé, la pulpe contient, surtout de l’eau, des sucres,
des acides ; ces produits nous aideront, plus tard, à comprendre les
différences de composition des vins.
Les pépins constituent environ 3 à 4 p. 100 du
poids total du grain de raisin ; ils contiennent des huiles,
environ 10 p. 100 de tanin et des acides volatils.
Au foulage, ne jamais écraser les pépins, car ils
contiennent une matière résineuse qui communiquerait au vin un goût
désagréable.
Munis de ces données, nous déduisons de suite que, si nous
suivons dans la pulpe le développement des sucres, nous aurons, avec certitude,
la date de la vendange. Remarquons que les vignobles à appellation contrôlée et
ceux organisés en coopérative ont à leur disposition les moyens techniques que
nous allons exposer. Ce que nous écrivons s’adresse surtout au moyen et petit
exploitant.
Nous retiendrons deux procédés pour fixer la date de la
vendange :
1° Procédé empirique. — On a observé que la
richesse en sucre de la pulpe augmente à partir de la véraison et s’accroît
assez vite jusqu’à atteindre 10 grammes par litre de jus et par
jour ; cette richesse se stabilise et augmente ensuite au moment où le
grain commence à se dessécher par suite de l’évaporation de l’eau qu’il
contient ; c’est ce qu’on désigne par le mot de surmaturation : le
grain commence à se flétrir.
2° Par pesée du moût au moyen du mustimètre ou du
glucomètre.
Ce matériel comprend un densimètre, un thermomètre,
une éprouvette en verre, des tableaux de calcul, une notice explicative,
accessoirement une presse.
Opérer comme suit : choisir dans la vigne un certain
nombre de ceps sur lesquels on prélève des grappes saines, placées à mi-hauteur
et dans des orientations diverses. Prélever un nombre de grappes d’autant plus
grand que le nombre de ceps est plus élevé.
Fouler les grappes, les essorer dans un linge propre, ou
avec une petite presse de ménage.
Introduire le moût dans l’éprouvette en verre, y plonger le
densimètre (mustimètre ou glucomètre) et le thermomètre ; faire la lecture
des deux instruments selon les indications de la notice.
Sur les tableaux de calcul, on trouve la richesse du moût en
sucre et le degré alcoolique probable. Deux ou trois prélèvements faits à deux
ou trois jours d’intervalle, sur les mêmes souches, permettent de constater si
la richesse en sucre est arrivée à son point maximum.
La vendange étant mûre, on procède à sa cueillette et au
foulage. Il est recommandé d’utiliser un fouloir mécanique. L’égrappage n’est
conseillé que pour les cépages teinturiers et les vendanges altérées (grêle,
mildiou, cochylis, etc.).
Le moût est dans la cuve (bols ou ciment), les levures vont
commencer leur travail. Celles-ci sont des micro-organismes comprenant une
seule cellule dont les dimensions varient de 4 à 10 millièmes de
millimètres. Il en existe de nombreuses variétés, celles qui sont déposées sur
la pulpe du grain sont au nombre de trois. La plus petite, la levure apiculée,
en forme de citron, produit 1° d’alcool avec 21 à 22 grammes de sucre. La
seconde, allongée et portant le nom de Pasteur, produit 1° d’alcool avec
20 grammes de sucre. La troisième, en forme d’œuf ou elliptique, la plus
intéressante, donne 1° d’alcool avec 17 à 18 grammes de sucre.
Nous voyons immédiatement que nous avons intérêt à nous
débarrasser des deux premières pour ne conserver que la troisième.
Il y a soixante ans qu’on y a pensé, et, après bien des
recherches, on s’est arrêté comme antiseptique au gaz sulfureux ; c’est,
du reste, le seul produit autorisé par la loi.
Quand on introduit le gaz sulfureux dans le moût, on
constate que les ferments de maladies (microbes) sont tués les premiers,
ensuite la levure apiculée, enfin la levure Pasteur. Par conséquent, le gaz ou
acide sulfureux joue un rôle purificateur en détruisant les germes des maladies
et en favorisant le développement de la levure elliptique.
D’après les études de M. le professeur Ventre sur de la
vendange d’Aramon atteinte de maladie cryptogamique et sur le moût de laquelle
il a fait agir des doses croissantes d’acide sulfureux, il a été établi, alors
que le moût témoin était cassé et piqué, qu’il n’y avait que quelques bactéries
pour une dose de 50 milligrammes par litre, aucune bactérie pour une dose
de 100 milligrammes, et qu’ à partir de la dose de 150 milligrammes,
le vin obtenu était « rose vif, brillant, droit de goût ».
Comment employer l’acide sulfureux ? Nous avons deux
procédés.
Liquide, cet acide est livré en bouteilles d’acier, le
dosage se fait en plaçant sur le trajet de la bouteille au liquide à traiter un
appareil doseur appelé « sulfitomètre », dont le premier en date est
le modèle de P. Pacottet, conçu et construit vers 1902. En général, ce
matériel est utilisé par les grands vignobles.
Pour le petit et moyen exploitant, on emploie un produit
solide, le métabisulfite de potasse (et non de soude) qui contient la moitié de
son poids d’acide sulfureux.
La loi fixe à 20 grammes par hectolitre l’emploi
maximum de ce produit. En pratique, on fait une solution dans l’eau à
10p. 100 (1 kilogramme pour 10 litres), un litre de la solution
obtenue contient 50 grammes d’acide sulfureux.
Quand on emploie une cuve à vendange, il est bon d’y
introduire un quart ou un tiers de la quantité totale qu’on se propose
d’introduire, et le reste dans la cuve à fermentation. C’est ainsi que nous
avons nous-même procédé et nous en avons été satisfait.
V. ARNOULD.
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