E temps en temps, les journaux nous apprennent la
mort d’un des derniers cuirassiers de Reichshoffen ; ils ne doivent plus
être très nombreux à présent, les braves qui, le 6 août 1870, se battirent
glorieusement à Morsbronn et à Elsasshausen. Car, si nous croyons de bons
historiens, les cuirassiers chargèrent assez loin de Reischshoffen, dont ils
ont pris le nom, on ne sait trop pourquoi, lorsque s’est fixée cette immortelle
légende. Les récits de deux survivants du grand drame nous permettent d’évoquer
cette belle page de notre histoire.
Pinche, un sous-lieutenant de cuirassiers, nous a conté en
quelques lignes émouvantes la part qu’il a prise à la bataille. Depuis deux
heures, la grosse cavalerie chargeait ; les régiments étaient devenus
escadrons, les escadrons étaient devenus de simples pelotons. Avec ses hommes,
le sous-lieutenant part à la charge, le sabre haut ; mais
écoutons-le :
« Un obus tombe devant le peloton et l’arrête net, il
éclate avec un bruit assourdissant. Le commandant de Negroni a le casque
traversé par un éclat au ras de la tête, on lui voit les cheveux ; son
cheval est tué sous lui. Le commandant Brouta a le bras droit brisé au-dessus
du coude ; il tombe le bout du bras piqué en terre. J’entends encore son
cri de douleur ! Plusieurs hommes de mon peloton tombent également, tués,
blessés. Tous les chevaux, comme mus par un ressort, font demi-tour. » Le
jeune officier essaye, une fois de plus, d’entraîner ses hommes, mais c’est la
fin ...
Les détails donnés par le sous-lieutenant sont vérifiés par
le magnifique historique du 4e régiment de cuirassiers qui
contient un bon résumé de cette bataille célèbre.
Quelques années avant la guerre, un journal a publié
l’interview d’un vieux de la vieille, Dominique Calvy, qui habitait à Ways, près
Genappe, en 1931 ; il était né en 1847 et avait pris part à la charge
fameuse. Ce brave homme se souvenait très bien de cette journée ; il
revoyait son chef, le colonel de Lacarre, tomber, la tête emportée par un
boulet — ce qui est exact. La charge était commandée par le
lieutenant-colonel ; les hommes du 3e cuirassier, partis
au nombre de 840, ne revinrent que 9, les autres étaient tués, blessés ou
prisonniers.
Six régiments de cuirassiers —les 1er, 2e,
3e, 4e, 8e et 9e — qui
chargèrent le 6 août 1870 laissèrent sur le terrain nombre des
leurs ; il furent décimés. Le 2e régiment perdit 5 officiers,
plus de 129 tués et de nombreux blessés ; le 3e régiment,
plus de 70 hommes et 6 officiers, dont le colonel ; le 4e cuirassiers,
le tiers de son effectif : son colonel blessé est fait prisonnier. Ainsi
les cuirassiers, pour protéger la retraite de l’armée française de Mac-Mahon,
s’étaient courageusement sacrifiés.
Tout de suite, ils entrèrent dans la légende ; on se
répéta les mots prononcés sur le champ de bataille. Le prince royal de Prusse,
saluant le colonel Billet, du 4e cuirassiers, blessé et fait
prisonnier, lui dit : « J’ai remarqué vos charges, colonel :
dans un combat entre Français et Prussiens, il n’y a pas de honte à être battu.
Du reste, je ne suis pas orateur, mais je dois vous dire simplement :
votre honneur est sauf, et, comme preuve, donnez-moi votre main,
colonel ». Ce récit est absolument exact, il est relaté dans le carnet de
notes du colonel français et dans les mémoires de l’empereur Frédéric.
Le sous-lieutenant L. Pinte écrit dans son récit que le
roi Guillaume 1er s’écria devant les charges :
« Oh ! les braves gens. » Nous pensons que cette phrase n’a pas
été prononcée lors de la charge de la brigade Bonnemains, mais lors de celle
des cavaliers de Margueritte.
Mac-Mahon, lui, si nous en croyons le sous-lieutenant, dit
tout simplement : « Il n’y en a plus ! » Quelques instants
plus tard, Mac-Mahon, brisé par l’émotion et la fatigue, se mit à
pleurer ; un officier qui était près de lui eut alors ces paroles
sublimes : « Monsieur le maréchal, pourquoi pleurez-vous ?
Avons-nous donc refusé de mourir ? »
Roger VAULTIER.
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