Nous recevons la lettre suivante, qui nous paraît
refléter l’opinion d’un grand nombre de chasseurs, à en juger par la
correspondance que nous avons reçue sur le même sujet.
La loi du 3 mai 1844 avait laissé initialement aux
préfets le soin de déterminer les dates d’ouverture et de fermeture de la
chasse. Ce régime ne dut pas donner pleine satisfaction, puisque, par la suite,
ces dates étaient déterminées par zones cynégétiques, avec faculté laissée aux
préfets de réglementer la chasse au gibier d’eau et celle de certains oiseaux
de passage.
Actuellement, et depuis la loi du 28 juin 1941, qui a
été maintenue par l’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la
légalité républicaine, les attributions des préfets ont été transférées au
ministre secrétaire d’État à l’Agriculture assisté du Conseil supérieur de la
chasse. C’est donc avec ce parrainage qu’est récemment paru l’arrêté du 25 juin
1946 fixant au 1er septembre l’ouverture de la chasse et au 5 janvier
sa clôture, sauf pour certains départements du Nord-Ouest, où l’ouverture est
retardée jusqu’au 15 septembre, et pour certaines espèces de gibier :
cerfs, chamois, faisans, cailles, râles de genêts et coqs de bruyère, qui sont
l’objet de restrictions particulières.
Mais il est, dans cet arrêté, une innovation qui mérite
d’être notée : la chasse au gibier d’eau est autorisée du 14 juillet
jusqu’au 31 mars, sauf pour le colvert, dont la chasse n’est permise que
du 4 août au 15 février.
Cependant, ces principes généraux étant posés, l’arrêté
laisse aux préfets la faculté de restreindre, en général, l’exercice de la
chasse pour certaines espèces et en ce qui concerne plus particulièrement le
gibier d’eau, cette faculté de restriction pouvant s’exercer après avis du
conservateur des eaux et forêts et du président de la société départementale
des chasseurs.
C’est donc la consécration officielle de la date du 14 juillet
choisie comme date d’ouverture de la chasse au gibier d’eau qui vient d’être
instaurée.
Je ne pense pas qu’on doive se réjouir de cette innovation.
Certes, il y a deux conceptions de la chasse : la conception destructrice
qui fait le plus large crédit aux forces de la nature et la conception
conservatrice qui tend à assurer l’existence d’une quantité de gibier
raisonnable. Il semblerait qu’à une époque où les chasseurs possèdent des
moyens sans cesse plus perfectionnés, soit pour la capture du gibier, soit pour
se rendre sur les lieux de chasse, et où leur nombre atteint près de deux
millions pour notre pays, on doive restreindre dans une limite raisonnable leur
pouvoir de destruction. Hélas ! il n’en est rien, et l’arrêté récent, en
autorisant la chasse au gibier d’eau au 14 juillet, en est une nouvelle
preuve.
Car je ne pense pas qu’il puisse être nié que, lors du 14 juillet,
tout le gibier d’eau est digne d’être chassé. La chasse ayant cessé au 31 mars,
comment concevoir qu’en trois mois et demi le gibier ait le temps de couver et
d’élever ses nichées ? Comme, d’autre part, le niveau des marais est très
bas en cette époque, beaucoup d’oiseaux sont victimes de la dent des chiens, et
ce n’est pas l’interdiction de chasser le colvert avant le 4 août qui les
empêchera de commettre de pareils méfaits !
Sans doute, le ministre et ses conseillers ont d’excellentes
raisons pour interdire la chasse du colvert avant le 4 août ; mais
comment penser qu’une pareille prescription pourra être respectée ? Quel
est le chasseur qui s’abstiendra de tirer un colvert qui partira à bon
port ? Il y a d’ailleurs gros à parier que la plupart ne peuvent
identifier le colvert des autres espèces, et combien d’autres seront excusables
de tirer cet oiseau, soit avant l’apparition du jour, soit à la tombée de la
nuit, c’est-à-dire aux heures de chasse les plus productrices. On est vraiment
étonné de la naïveté de pareille législation, et, sans vouloir en rien diminuer
la considération que l’on doit à mes confrères en saint Hubert, c’est accorder
beaucoup trop de crédit à leur sagesse ou bien les induire bien imprudemment en
tentation. De sorte que les excellentes raisons ministérielles qui tendent à
protéger le colvert ne seront, en réalité, nullement respectées, dans tous les
départements où les préfets n’auront pas retardé au moins au 4 août
l’ouverture de la chasse, et le colvert continuera à fournir la majeure partie
des tableaux de chasse de l’ouverture au 14 juillet ; car c’est bien
lui qui constitue, à cette époque, la plus grande partie du gibier d’eau.
Cependant ce gibier est en voie de raréfaction inquiétante.
Depuis quelques années, les râles sont moins abondants, et la marouette, qui
donnait lieu a de si belles chasses de printemps dans nos départements
méridionaux, a presque disparu. Il en est de même pour les échassiers
— que certains chasseurs méridionaux veulent quand même chasser jusqu’au
15 mai ! —et le stationnement des canards, à l’automne, sur les
étangs du Midi permet de se rendre compte de la diminution très rapide de
presque toutes les espèces de canards. Est-ce bien le moment de permettre à
deux millions de fusils parfaitement armés et motorisés de chasser tout comme à
l’époque du roi Louis-Philippe ? Il est regrettable que rien de tout cela
n’ait ému nos législateurs.
Il semblerait qu’en présence de cette inquiétante
disparition du gibier d’eau — qu’aucun repeuplement ne peut atténuer — on
dût prendre des mesures de protection. Il faudrait déterminer l’époque
d’incubation de la majeure partie des espèces, l’époque où le gibier est en
état de se défendre, et prohiber toute chasse durant cette période ;
ensuite, après avoir donné ce bon exemple national, exiger une protection
internationale des migrateurs, car, en définitive, les chasseurs européens sont
tous solidaires, depuis l’extrême Nord jusqu’aux rives de la Méditerranée.
Mais, avant d’arriver à ce stade, qui est peut-être lointain, il faudrait
donner le bon exemple, en instaurant chez nous une législation protectrice.
C’est bien ce qu’on espérait du Conseil national organisé
par la loi de 1941 et de ses conseillers auprès du ministère. À cet égard,
l’arrêté du 25 juin dernier est une déception.
Pauvre gibier d’eau dont on voudrait tuer les mères sur le
nid et les jeunes sujets dès qu’ils effectuent leurs premiers vols !
Comment s’étonner si nous regrettons son absence dans le ciel des longs soirs
d’hiver ?
Marcel FONTAINE.
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